Présidentielle 2020 en Côte-d’Ivoire: Pourquoi Bédié pourrait aller dans la logique de Ouattara (1ère partie)

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Pascal Eblin FOBAH, Maître de Conférences à l’Université Alassane Ouattara, Analyste politique

La polémique en Côte d’Ivoire depuis quelques temps est alimentée par un possible troisième mandat du Président Alassane Ouattara et par les contradictions entre ses déclarations antérieures et celles faites récemment. Cette polémique intervient sur fond d’une autre alimentée depuis par les dissensions au sein de la coalition RHDP au pouvoir. Celles-ci portent sur le parti unifié et l’alternance en 2020 sur laquelle nous avons beaucoup écrit. A l’évidence, le Président Alassane Ouattara et son aîné Henri Konan Bédié ne regardent plus dans la même direction. Malgré les dénégations, les pugilats verbaux des lieutenants laissés libres de parler démontrent, à l’arrière-plan, l’existence de combats par procuration. Après l’entente survient la mésentente, le conflit larvé puis le conflit ouvert si les choses restent en l’état. Malgré ces apparences pugilistiques, nous pensons que le président Bédié pourrait aller dans la logique du Président Ouattara. Nous nous en expliquons dans les lignes qui suivent.

I/ Henri Konan Bédié : la constance dans le flou et la fidélité dans le soutien

Depuis 2007 que le président Henri Konan Bédié a décidé d’accompagner Alassane Ouattara dans sa conquête du pouvoir, il n’a pas encore dérogé à ce principe sacro-saint de leur alliance. Mais Henri Konan Bédié a aussi des partisans qui espèrent voir le PDCI-RDA reconquérir le pouvoir perdu en 1999 par le coup d’Etat de Guéi Robert et de ses jeunes gens. Il se doit de maintenir vive la flamme militante de cette éventualité. C’est ce qui explique que la stratégie du PDCI qu’il dirige sans partage depuis 1993 semble quelque peu brisée, molle et peu efficace en terme de conquête du pouvoir puisqu’il n’arrive pas à capitaliser le soutien des déçus de tous bords de la gouvernance Ouattara pour se positionner comme une alternative crédible mais souhaite une alternance qui se veut la continuité indirecte du ouattarisme, un ouattarisme qui sera dilué, édulcoré au fur et à mesure que passeront les années de gouvernance PDCI-RHDP-isante.

1) Rappel synoptique de quelques déclarations majeures

Juin 2013 : Propos du président Bédié lors de l’interview qu’il a accordée le dimanche 13 juin 2013 à la chaîne de télévision internationale TV5 :
TV5 : Si le PDCI et le RDR sont allés en rangs dispersés aux législatives, aux municipales et aux régionales, qu’en sera-t-il en 2015 pour la présidentielle ?
HKB : C’est ce que nous verrons après la tenue du congrès pour ce qui concerne le PDCI. C’est le congrès qui décidera s’il faut soit présenter un candidat contre Alassane Ouattara soit de le soutenir encore comme nous l’avons fait en 2010. Comme on le dit, on ne change pas une équipe qui gagne.
Octobre 2013 : Déclaration du président Bédié à l’issue du 12e Congrès du PDCI : « Concernant la prochaine élection présidentielle, il est évident pour chacun qu’en tant que parti politique, nous ne pouvons pas ne pas avoir de candidat ».
Septembre 2014 : Déclaration du président Bédié le 17 septembre 2014 lors de ce qui a été baptisé « Appel de Daoukro » : « sans trahir les décisions du XIIème Congrès du PDCI-RDA, je donne des orientations fermes pour soutenir ta candidature à l’élection présidentielle prochaine. Je demande à toutes les structures du Parti Démocratique de Côte d’Ivoire et des partis composant le Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix, de se mettre en mouvement pour faire aboutir ce projet ».
Avril 2017 : Lors de sa rencontre avec le groupe parlementaire PDCI-RDA et le Secrétariat Exécutif dudit parti, le jeudi 27 avril 2017, le président Bédié demande au Secrétariat Exécutif d’assurer la promotion et le succès de la candidature d’un militant actif du PDCI-RDA à la présidentielle de 2020.
Avril 2018 : Conférence de presse du président Bédié le 19 avril 2018 : « Cet Accord Politique ne signifie nullement la dissolution du PDCI-RDA auquel j’ai souhaité une longue et longue Vie. Par ailleurs, le PDCI présentera, en RHDP, un candidat en 2020. Un candidat à l’élection présidentielle de 2020 en souhaitant l’appui de ses Alliés compte tenu des sacrifices qu’il a consentis pour les uns en 2010 et 2015 ; mais cela est en discussion avec les alliés ».
Ces déclarations montrent que la volonté du PDCI d’avoir un candidat pour l’élection présidentielle rivalise avec cette autre d’accorder son soutien au RHDP et à son candidat qui n’a été jusque-là que le Président Alassane Ouattara, la seconde option finissant par l’emporter sur la première.

2) Retour sur l’épisode de 2015 et projections pour 2020

Après avoir fait croire que le PDCI aura un candidat à l’élection présidentielle de 2015, le président a poussé son parti à accorder son soutien total à la candidature unique du Président Ouattara. De même qu’on ne change pas une équipe qui gagne, selon les propres aveux du président Bédié, il faut s’attendre qu’il ne change pas une stratégie qui marche bien. La stratégie du clair-obscur du sphinx, buste de femme (donc doux et malléable) corps de lion (donc insaisissable et agressif) reste d’actualité dans ses manœuvres pour 2020. Bédié a l’art d’agacer Ouattara et les irréductibles de son camp tout en affichant la volonté de son parti d’en découdre, en 2020, avec les candidats des autres partis. Il apparaît ainsi insaisissable comme une anguille ; ce qui lui permet de glaner des lauriers ici et là. Vis-à-vis de Ouattara, sa stratégie apparaît comme une surenchère pour avoir encore plus d’égard et arracher la candidature unique du RHDP. Vis-à-vis des militants de son parti, elle se veut double : aux yeux de certains, elle apparaît comme une volonté de saborder le parti au profit du RDR et de son champion alors qu’aux yeux de bien d’autres, l’attelage avec le RDR se veut la seule possibilité pour le PDCI de préserver ses acquis dans un environnement politique de plus en plus concurrentiel et dans lequel, le PDCI qui a perdu, depuis 1960, la culture de l’opposition ne peut se payer le luxe de se battre pour conquérir le pouvoir en adoptant les stratégies qu’adopterait un parti d’opposition mais aspire à un legs de type monarchique : utilisation du schéma de la guerre psychologique faite de persécution, harcèlement, dénigrements et de critiques acerbes pour amplifier le désaveu du président actuel afin de tirer le meilleur parti de ses ratés et se positionner comme une alternative crédible ou la seule capable de sauver les meubles de la maison ivoire.

Certes, des lieutenants s’agitent pour se positionner mais la gouvernance du RHDP n’est pas remise en cause encore moins ses acquis pour chaque camp. Cela laisse penser que, dans une large mesure, le président Bédié est en phase avec le Président Ouattara et que la pierre d’achoppement entre les deux ne concerne que l’occupant du fauteuil présidentiel que chacun voudrait voir provenir de son camp. Si le Président Ouattara fait des concessions majeures à son aîné, l’on ne devrait pas être surpris qu’un autre appel de Daoukro soit lancé. Certains schémas, s’ils venaient à être mis en œuvre, dessineront cette éventualité :

– Ouattara case certains proches de Bédié et non des moindres dans un douillet fauteuil.
– Ouattara maintient Kablan Duncan comme son colistier à la présidentielle de 2020.
– Ouattara fait de la paire Gon Coulibaly-Ahoussou Jeannot le ticket du RHDP, se retire du jeu politique et pousse aussi Bédié à enterrer ses ambitions d’un mandat de rachat après l’épisode du coup d’Etat de 1999.

ELECTION PRESIDENTIELLE DE 2020 : POURQUOI BEDIE POURRAIT ALLER DANS LA LOGIQUE DE OUATTARA (2ème Partie)
II/ Boulevard 3e mandat

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