Asmâa Bassouri
Bien que la situation des mères célibataires marocaines soit taboue, elle n’en demeure pas moins réelle. D’après l’association «100% maman», 50.000 naissances hors mariage sont enregistrées annuellement. Être mère célibataire au Maroc serait la pire des malédictions, mais ce serait aussi et surtout une preuve de grande bravoure, car en acceptant de garder son enfant (plutôt que de se faire avorter clandestinement, ou de l’abandonner dans une poubelle), la maman s’expose à la marginalisation dans une société qui reste d’une implacable cruauté envers les mères célibataires. Pourquoi cette aberration se perpétue-t-elle ? Et quelle issue pour s’en sortir ?
Des prescriptions religieuses obsolètes
Du point de vue de la religion, ou du moins de l’interprétation actuelle qui en est faite, c’est à la femme qu’incombe la responsabilité des enfants nés d’une relation extraconjugale. Cette position aberrante trouve appui sur un fameux hadith que brandit les fouqahas («Le garçon au lit et au salace les pierres»). Or, cette pénalisation unilatérale va à l’encontre même de principes cardinaux de l’islam que sont la justice et l’équité où certains versets traitent les acteurs d’une relation sexuelle extraconjugale sur le même pied d’égalité. Si l’interdiction des relations sexuelles extraconjugales (taxées de zinâ) est un classique des religions monothéistes, il n’en demeure moins pas que l’incrimination unilatérale de la femme, sur laquelle campent les fouqahas (docteurs en droit musulman), est une position archaïque et dépassée, car conditionnée par un contexte particulier n’existant plus de nos jours. En effet, la sharia est très soucieuse de la question de la filiation quand une grossesse hors mariage a lieu. Comme à l’époque du prophète, il n’y avait pas de moyens fiables à même de vérifier le lien de filiation. Il s’en suivait que l’homme est naturellement exempté, et c’est la femme qui assume le pêché du fait d’être la procréatrice, l’actrice de l’enfantement. Ce dernier la rendant responsable vis-à-vis de l’enfant, de sorte que le papa biologique n’aura pas à être inquiété. Or, aujourd’hui avec l’évolution scientifique et le progrès technologique, les tests ADN pourraient répondre à ce besoin sans continuer à faire subir une injustice aux femmes.
Un droit positif léthargique
Quant aux lois du statut personnel régissant la question, celles-ci restent en grande partie imprégnées par la sharia, et donc, le traitement qu’elles réservent aux mamans célibataires n’est guère meilleur. Bien sûr, il y a des progrès, mais qui restent trop timides pour révolutionner le statu quo. Il en est ainsi de la loi n° 37-99 de 2002 relative à l’état civil, permettant à la maman célibataire de choisir un nom patronymique pour l’enfant (un nom de famille propre avec un prénom de père comprenant le préfixe ‘abd’), ou lui donner son nom de famille à elle. On peut citer aussi la réforme du code de la famille en 2004, qui va permettre la reconnaissance d’enfants nés en période de fiançailles. Mais le texte reste sans attrait pour les femmes violées, ou encore celle tombées enceinte à la suite de rapports consensuels. Même le texte de loi sur les violences contre les femmes, attendu de longue date, et adopté enfin par le parlement en février dernier, ne consacre aucune disposition applicable à la situation des mères célibataires pour améliorer leur condition. Pire, la jurisprudence (source importante de droit) n’a pu s’affranchir du lit de Procruste auquel elle continue de s’attacher par cette interprétation rétrograde, limite misogyne. En témoigne l’annulation en appel de la décision du juge de première instance à Tanger qui était sur le point de reconnaître, sur la base d’un test de paternité, la filiation d’une petite fille née hors mariage, et ce, sans exiger la preuve concrète de ce qui unit le couple, en l’occurrence un mariage ou des fiançailles connues et approuvées des deux familles. Si l’intention du juge d’appel était celle de rester conforme à la sharia, encore faut-il adapter celle-ci, car elle ne peut prétendre à l’universalité, temporelle et spatiale, tout en restant hermétique à l’évolution de la société.
Les valeurs et les mœurs ne se décrètent pas
La notion de protection de l’ordre social est ici présente, bien qu’étant considérée comme une incitation à la débauche. Cette attitude trouve racine dans la fausse dichotomie existant entre libertés individuelles et ordre public et/ou bonnes mœurs. Or, la chasteté tout comme la volupté sont des choix personnels relevant de l’intimité de chacun. On ne peut imposer un ordre des valeurs par un texte de loi, encore moins quand ce texte est inéquitable. Il s’en suit que l’ensemble des libertés individuelles doit être dépénalisé, à leur tête les rapports sexuels hors mariage par l’abrogation d’une prescription moyenâgeuse du code pénal, à savoir l’article 490. Dans le même ordre d’idées, l’avortement doit à son tour être dépénalisé et démocratisé, et non plus bénéficier aux seules femmes mariées en cas de « souffrances maternelles graves » (article 453 du code pénal). Parallèlement à cela, la loi devrait devenir contraignante à l’égard des papas biologiques, en rendant obligatoire les tests ADN (et s’ils sont positifs, ils produiront leurs effets vis-à-vis de l’enfant en matière de pension alimentaire et héritage).
En attendant que ces réformes que nous appelons de nos vœux se concrétisent, grâce à l’action militante de la société civile, ce sera l’action caritative de celle-ci qui prendra en charge les mamans célibataires, et ce en l’absence d’action publique dans ce domaine. Outre l’accompagnement juridique et administratif, ces mamans doivent être prises en charge psychologiquement, ainsi que financièrement autonomisées car elles deviennent malgré elles des chefs de familles monoparentales. Autre mesure importante à prendre, celle de sensibiliser sur la question pour la « détabouiser », et ce en en débattant dans les médias, ainsi qu’en intégrant l’éducation sexuelle dans les curriculums scolaires. Et enfin, l’éducation dans l’espace familial ne doit plus faire le lit de la culture du machisme pour les garçons, et celle de la soumission pour les filles. Les parents doivent être conscientisés quant à l’idée que la sauvegarde des mœurs qu’ils jugent pertinentes pour leur progéniture passe par l’éducation et la persuasion et non pas par la loi et la répression.
Asmâa Bassouri, doctorante en droit international, Université Cadi Ayyad Marrakech (Maroc)
Article publié en collaboration avec Libre Afrique.
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