Jean-François Fakoly
L’évènement politique majeur de ce mois de mars restera sans aucun doute la réunion des fescistes à l’invitation de Guillaume Soro. Ils étaient tous là ou presque, ce samedi 17 mars 2018, les anciens leaders de la fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI), brillants de mille feux. Sur les dix secrétaires généraux qui ont dirigé l’organisation depuis sa création en 1990, sept étaient présents. Par ordre de succession à la tête de l’organisation : Ahipeau Martial (1990-1993), Eugène Djué (1994), Blé Guirao (1994-1995), Guillaume Soro (1995-1998), Jean-Yves Dibopieu (2001-2003), Mian Augustin (2008-2014) et Assi Fulgence Assi (2014-aujourd’hui). Bien sûr on compte des absents de taille Charles Blé Goudé (1998-2001), emprisonné à la Cour Pénale Internationale (CPI), Kuyo Serge (2003-2005) décédé dans un accident de voiture et Serge Koffi dit STT (2005-2008) en exil au Canada.
La nouvelle de cette rencontre a suscité comme il fallait s’y attendre des réactions vives et opposées : espoirs et compliments dans un camp, fiel et imprécations dans l’autre. Si dans l’opinion générale, l’image de la FESCI est couramment associée à la violence, cela n’empêche pas que les partis ayant pignon sur rue en fassent leur principal vivier de recrutement. L’ascension fulgurante de Guillaume Soro au RDR, de Blé Goudé dans la galaxie patriotique et de Blé Guirao à l’UDPCI est emblématique en la matière. Comment l’organisation la plus décriée de la société, peut-elle en même temps cristalliser tous les espoirs ? Comment rendre compte de la place incontournable que les fescistes occupent sur l’échiquier politique ivoirien et de cette ambivalente répulsion-attraction qu’ils suscitent ? Une analyse fine de la trajectoire de cette organisation donne la clé de l’énigme. La FESCI a acquis une légitimité historique, grâce à son rôle dans la lutte pour la démocratie qui l’auréole encore (1). Un prestige fortement terni par la terreur de la décennie 2000 (2). Depuis 2010, l’organisation tente de redorer son blason et renaît de ses cendres (3).
L’espérance démocratique (1990-1999)
La lutte pour l’avènement de la démocratie en Côte d’Ivoire a marché sur deux pieds : les partis d’opposition, notamment le FPI et les organisations syndicales, notamment la FESCI, créé le 21 avril 1990 à 9 h à l’Église Sainte famille de la Riviera. Selon le Maréchal Eugène Djué, cité par Grah Mel (2010b) la fesci est née de la fusion de cinq organisations estudiantines en l’occurrence l’Organisation nationale des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire (ONEECI) dirigée par Eugène Djué lui-même ; de la Conscience estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (CESCOCI) conduite par Mampo Gérard et Ahipaud Martial ; de l’Union des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire (UEECI) de Kadio Appia André ; du Syndicat des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire (SEECI) de Clément Gogoua et de l’Union nationale des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire (UNEECI) dirigée par Bandama. D’autres acteurs ont pu jouer un rôle clé dans cette genèse notamment Kouadio N’dri, Azowa Beugré Amos et bien d’autres illustres inconnus.
Au début des années 1990, l’esprit contestataire est à son paroxysme. La fronde contre le régime autoritaire de Houphouët-Boigny semblait la chose la mieux partagée parmi les étudiants, voire au-delà. La célèbre formule « la FESCI est un esprit », qui traduit cette symbiose parfaite entre le mouvement et les aspirations de la plupart des étudiants, n’a jamais été autant vrai. Ce n’est pas un hasard si en moins d’une décennie mettra sous l’éteignoir sa concurrente, le Mouvement des Élèves et Étudiants de Côte d’Ivoire (MEECI) créée en 1969 par le Parti unique et imposé comme le syndicat unique des étudiants.
Avant 1990, aucune organisation estudiantine non gouvernementale n’avait réussi l’exploit de s’imposer à l’université encore moins hors des murs de l’Alta mater. Les initiatives furent nombreuses, mais éphémères. Que ce soit le Front uni des étudiants ivoiriens (FUEI) ou l’UNEECI avant elle (N’da Paul,1987). Il faut dire que la FESCI a bénéficié d’une conjoncture favorable. En 1990, le contexte international vient de changer avec la chute du mur de Berlin. En Côte d’Ivoire, au Mali, au Bénin et partout en Afrique, le message est bien perçu, la France enjoint désormais, les régimes de son pré carré à s’ouvrir à la démocratie pluraliste et au respect des droits de l’homme (Francis Akindes, 1996). Sur le plan interne, les étudiants constitueront le fer de lance ce changement (Nabi Youla Doumbia, 2017).
De 1990 à 2000, les événements touchant la FESCI deviendront un enjeu majeur de la lutte pour le pouvoir que se livre la nouvelle opposition et le parti au pouvoir. Ainsi, la descente punitive des militaires à la cité universitaire de Yopougon de 1991 sera le mobile de la marche de l’opposition de 1992 ; évènement capital dans la carrière de Laurent Gbagbo, qui affirme que c’est en échappant à la mort lors de cette manifestation qu’il sut qu’il serait un jour président. Songeons, à la promotion de Guillaume Soro comme prisonnier de l’année 1998 par Amnesty international, symbolisant a contrario le blâme international du régime PDCI qui l’a traqué et emprisonné. Songeons enfin au scandale suscité par l’image d’un Blé Goudé enchainé sur son lit d’hôpital ; image qui fera le tour du monde grâce au journal Le patriote et livrera une autre facette de la « démocratie apaisée » de Konan Bédié. Les racines de la légitimité du PDCI étaient largement pourries lorsque le coup d’État de 1999 du général Guei abatti le régime. La liesse populaire qui sanctionna ce putsch témoigne du succès de ce travail de sape idéologique entrepris par la FESCI et les deux sœurs ennemies, le RDR et le FPI. Au lendemain de la victoire devait débuter une guerre intestine pour l’hégémonie entre ces deux formations politiques. Celle-ci débuta évidemment à la FESCI. Ainsi commença le déclin.
La terreur (2000-2010)
La violence peut être utile en politique, tout dépend du but, du degré et des circonstances. Comme l’affirme Oscar Wilde « Quiconque a étudié l’Histoire sait que la désobéissance est la vertu première de l’homme. C’est par la désobéissance et la rébellion, qu’il a progressé » (L’âme humaine). En matière de démocratie, il est presque impossible de changer pacifiquement un régime autoritaire qui s’obstine dans la bêtise. Carlos Linz (2006), un des plus illustres chercheurs sur les transitions démocratiques nous délivre la leçon : la frontière entre l’autoritarisme et la démocratie est si étanche qu’elle ne peut être franchie qu’au moyen d’une cassure violente et de procédés irréguliers. Si la violence de la FESCI, grèves, séquestrations de proviseurs indélicats, affrontement avec les forces de l’ordre visait à l’origine le bien-être des étudiants et une fin démocratique, elle changera radicalement de cours à partir de 2000 pour se muer en la terreur.
Tout débute en 2000 avec la guerre des machettes que se livre par procuration le RDR et le FPI avec pour objectif la prise de contrôle de cette organisation. Blé Goudé affirmera en 2002 : « ma victoire sur Yayoro Karamoko, Doumbia Major et Faya, c’était la victoire de Laurent Gbagbo sur Alassane Ouattara » (Yacouba Konaté, 2003). Bientôt la violence de l’organisation se retournera contre les étudiant eux-mêmes. Racket systématique des boursiers, bastonnades des élèves et professeurs, interdiction de création de nouveaux syndicats, confiscation des chambres et autres œuvres sociales, engraissage sur le dos des étudiants : loi d’airain de l’oligarchie (Michels, 1910) poussée à l’extrême.
Bref, on assiste surtout à partir de 2002, avec l’avènement de la guerre, au détournement des objectifs de l’organisation, sa mutation en une mafia, qui terrorise et rançonne les étudiants. La FESCI est également devenue une milice au service du pouvoir : interdictions d’activités politiques du RDR dans les campus et leurs alentours, traque des « rebelles embusqués ». Le symbole le plus notable de cette descente aux enfers sera l’assassinat d’Habib Dodo. Le mercredi 23 juin 2004, l’infortuné, mentor d’un syndicat en gestation, l’Association générale des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire (AGEECI) est enlevé à son domicile à Yopougon par des étudiants se réclamant de la FESCI. Il est conduit à Cocody où il aurait été horresco referens soumis à un interrogatoire musclé, torturé, puis finalement pendu à un arbre. Dans Les possédés, Dovstoisky (1872), le grand écrivain russe s’appuyant sur un passage de la Bible, le chapitre VIII de L’évangile de Luc dans lequel Jésus délivre un homme en transférant ses démons dans un troupeau de porcs, qui se jeta du haut des falaises dans un lac, dépeint la situation d’un groupe de révolutionnaires russes des années 1830 pour qui la vie n’avait plus aucune valeur et qui finiront tous mal. Comme ces possédés, certains fescistes implacables et fanatiques sombreront dans une sorte de nihilisme ne rechignant devant aucune atrocité contre leurs « ennemis » fussent-ils étudiants. Mus par ses démons ils se jetteront tous finalement à l’eau. Beaucoup ont combattu jusqu’au bout pour le régime de Laurent Gbagbo. À la fin de la guerre, dans un contexte défavorable, commençait pour la FESCI une nouvelle phase de son histoire : s’adapter ou périr.
La renaissance 2011-aujourd’hui?
La politique disait Félix Houphouët-Boigny est la saine appréciation des réalités. Après la date fatidique du 11 avril 2011, la FESCI n’avait d’autres choix que de faire profil bas. L’atmosphère était hostile. On sein du nouveau régime, on a même évoqué l’idée de dissolution de l’organisation. Sur le campus d’autres organisations dont la FESCI avait été le bourreau, notamment l’AGEECI avaient voix au chapitre et contenaient difficilement l’envie de venger leurs morts, leurs estropiés et autres dents cassées. Auprès des étudiants et de la société, la réputation de la FESCI était au plus bas. Aussi, la FESCI a dû faire d’abord faire amende honorable (le pardon de Mian Augustin), puis revenir aux fondamentaux de l’organisation, à savoir la défense des intérêts des élèves et étudiants. Depuis, elle a remporté des batailles, dont la dernière sur les COGES, et reconquis une partie de l’estime perdue. Son leader actuel Assi Fulgence Assi promeut, à coup de conférences, de procédures judiciaires et d’interviews, l’idée d’un syndicalisme intellectuel non violent. Mais, faut-il croire Makélélé lorsqu’il affirme : « plus jamais de blousons noirs et de machettes sur les campus ». Rien n’est moins sûr. Il faudra pour cela surmonter trois défis. Premièrement, l’idéologie de la FESCI reste marxiste pour ne pas dire martiale. Il faudrait sans doute dans ses références et son panthéon remplacer Marx et Fanon par Gandhi et Mandela. Deuxièmement, la violence est toujours relationnelle. Une terrible répression du pouvoir pourrait réveiller les vieux démons. Troisièmement, le dé-apparentement au FPI ou plutôt aux anciens de la FESCI qui restent majoritairement FPI n’est pas amorcé. L’organisation pourrait-elle résister longtemps dans ces conditions aux sirènes des partis politiques ? L’histoire nous le dira.
En conclusion
La FESCI a connu jusqu’ à présent trois métamorphoses. Elle a cristallisé les espoirs et incarné le renouveau démocratique des années 1990, au fil d’une lutte héroïque. Puis elle a sombré dans le nihilisme en retournant sa violence contre ses mandants. Enfin, elle vient d’amorcer une phase de renaissance. Mais à toutes ces étapes, elle a été au cœur de la société, en première ligne des combats qu’elle n’a pas déclenché mais qu’elle a mené de façon ancillaire au profit du RDR et du FPI : la lutte pour la démocratie et l’alternance politique, le conflit hégémonique durant la transition militaire (guerre des machettes), la guerre de 2002. En 1963, Houphouët-Boigny s’adressant aux jeunes de l’UNEECI accusés alors de menées communistes affirma ceci : « Vous n’êtes pas une entité particulière. Vous êtes le prolongement de chacun de nous ». En paraphrasant le vieux sage, on peut dire que la FESCI est le prolongement de chacun de nous, sa violence est celle de notre société. La grandeur et la misère de cette organisation viennent de son engagement pour les problèmes sociétaux, la capacité de ses leaders à engager leur propre vie pour des problèmes qui nous tiennent à cœur avec des méthodes souvent brutales, pour le meilleur et pour le pire.
Au travers de ses avatars, dans cette fresque à la fois espérantiste et sanglante, une chose semble caractériser la FESCI : c’est une école de formation de leaders. Elle sait inoculer ce quelque chose qui plait au peuple ; une chose qui à travers les âges a toujours constitué la graine des grands hommes politiques et que Danton dans la Révolution française a résumé de façon fort éloquente : de l’audace encore de l’audace.
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