Côte-d’Ivoire arriérés, contribution et impôt sur les traitements et salaires, réformes scolaires : Un enseignant fait le point

blank

Education nationale

Le monde enseignant depuis bientôt huit ans, connait de profonds bouleversements liés tant à la qualité de son système d’enseignement que des revendications salariales. Interrogé sur la question, le secrétaire national du réseau des instituteurs de Côte d’Ivoire (RICI) M. Kouamé Bertoni dresse le bilan de la plateforme revendicative (arriérés de salaires, conditions de travail) mais aussi les maux qui minent le système éducatif ivoirien. Dans cette interview, l’homme affirme que l’Etat doit repenser tout le système par une autre pédagogie ; il parle également de ses rapports avec ses camarades dissidents et son message pour un RICI encore plus fort et dynamique.

Koaci : Bonjour M.Kouamé Bertoni, quel bilan faites-vous de la plateforme revendicative du RICI en rapport avec le gouvernement ?

KB : Je tiens à vous dire merci pour l’opportunité que vous me donnez de parler des problèmes de l’Ecole ivoirienne.
Ceci dit, concernant le bilan de la plateforme revendicative du RICI, il faut retenir que nous avions les revendications suivantes : 1- Le déblocage des salaires ;
2- Le paiement du stock des arriérés ;
3- le retrait de la contribution nationale(CN) et de l’impôt sur les traitements et salaires (ITS) ;
4- la suppression des cours de mercredi ;
5- Le reclassement des Instituteurs Adjoints(IA) ;
6- L’Ouverture des concours d’IEPP, de Professeur de Lycée aux Instituteurs,
7- Le reclassement des Instituteurs Adjoints (IA) en B3 admis au CAP INTEGRATION de 2009
Si le reclassement des Instituteurs Adjoints admis au CAP INTEGRATION 2009 en B3 depuis janvier 2015 ainsi que le déblocage des salaires depuis mai 2015 et le paiement du SDA depuis janvier 2018 est une effectivité, ce n’est pas le cas pour les autres revendications qui demeurent en souffrance notamment la question relative à la suppression des cours de mercredi. Notons aussi que la question de la liberté syndicale demeure toujours une préoccupation.
Nous voulons saisir votre lucarne pour remercier le gouvernement et lui demander de faire encore plus.

Vous avez dénoncé il y a quelques mois les tares ou carences du système éducatif ivoirien dans votre lutte syndicale. Quelles sont ces anomalies que vous dénoncez ?
En clair, que reprochez-vous à l’éducation nationale ivoirienne ?

Le système éducatif ivoirien est en proie à différents problèmes :

1- Absence de choix pédagogique clair
On assiste à une absence de choix pédagogique clair. Ce qui a pour conséquence, une multitude de profils pédagogiques pour arriver à une même finalité : c’est que rien ne va. Nous avons par exemple au début, la formation par objectif ; ensuite la formation par compétence(FPC) et enfin l’approche par compétence(APC).
En fait, la formation par objectif telle que pratiquée en Côte d’Ivoire depuis la nuit des temps présente ceci de négatif : l’enfant n’arrive pas à se prendre en charge une fois sorti du système. Et si l’on veut utiliser un autre profil partant des compétences de l’enfant, alors le profil indiqué n’est pas une formation par compétence mais plutôt et surtout, une formation avec les compétences, ce qui serait plus juste. Car la formation avec les compétences à ceci de particulier : il n’existe pas d’enfants nuls mais des enfants qui ne sont peut être pas bons dans les cours généraux tels que le français, les mathématiques mais excellents en informatique, en menuiserie, en maçonnerie, en cordonnerie, etc.
En la matière, nous avons un exemple tout près de nous : le Ghana.
Au Ghana, la formation avec les compétences a montré son efficacité : dans la première demi-journée, les élèves font les cours généraux et dans l’autre moitié, ce sont des ateliers en menuiserie, en informatique, en maconnerie, en coiffure, etc. Ce qui, à l’évidence, a pour conséquences, une prise en charge de l’élève par lui-même, une fois sorti du système.
Par ailleurs, ce profil est une solution durable à la question de l’emploi jeune. Alors si la Côte d’Ivoire veut adopter un tel profil, cela doit être suivi d’infrastructures où nous aurons des personnes formées en menuiserie, en informatique, en maçonnerie, etc. Ce qui n’est pas le cas du maître qui, lui, a reçu une formation purement pédagogique et non dans ces éléments sus cités. Pour dire que tant qu’il n’y aura pas de telles dispositions, la formation par compétence (avec les compétences) ne sera qu’un leurre.
Il urge qu’on puisse faire un choix pédagogique clair afin de répondre aux défis de l’avenir, de l’émergence de l’école à l’horizon 2020.

2- Absence d’une finalité éducative précise
Quelle est la finalité recherchée auprès de nos élèves ?
Si l’objectif visé est de permettre à tout le moins à nos élèves de savoir lire et écrire alors, nous devons employer de façon rationnelle les heures de la semaine d’apprentissage des elèves.Ce qui pose l’éternel problème de la finalité recherchée par notre système éducatif. Si nous voulons que nos enfants sachent au moins lire et écrire à leur sortie de l’école, nous devons adapter notre système éducatif à cela et définir des plages horaires plus importantes pour ces disciplines fondamentales que sont le français et les mathématiques. Ce qui équivaudrait à l’adoption de nouvelles programmations, de nouveaux contenus et aussi l’établissement d’un nouvel emploi du temps qui puisse alléger la journée de classe et programmer les enseignements à des moments où la faculté de concentration des élèves est la plus grande. D’où la question du rythme scolaire.

3-Absence d’une reforme véritable du rythme scolaire

Qu’est-ce que le rythme scolaire ?
C’est l’intelligente répartition des heures d’apprentissage sur la semaine d’apprentissage de l’enfant.
Une reforme des rythmes scolaires se pose avec acuité car elle viserait à mieux répartir les heures de classe sur la semaine, à alléger la journée de classe et à programmer les enseignements à des moments où la faculté de concentration des élèves est la plus grande.
L’absence d’un bon rythme scolaire favorise des journées plus longues pour nos élèves. Or cette extrême concentration du temps d’enseignement est préjudiciable aux apprentissages. Elle est source de fatigue et de difficultés scolaires. Voici pourquoi, l’instauration des cours de mercredi vient en rajouter sur la fatigue intellectuelle et physique de l’enfant.
Cette absence de reforme du rythme scolaire et la mauvaise utilisation des heures d’apprentissage ont amené le ministère à croire que l’instauration des cours de mercredi va permettre d’augmenter le quantum horaire. Or à la réalité, ce n’est pas l’augmentation du quantum horaire qui favorise un bon apprentissage et donc de bons résultats, mais l’utilisation rationnelle des heures de classe en favorisant des plages horaires plus importantes pour les disciplines dites fondamentales telles le français et les mathématiques.
 inopportunité et incongruité des cours de mercredi
Les cours de mercredi sont intervenus pendant la rentrée scolaire 2016/2017 faisant du mercredi un jour ouvrable dans le primaire avec l’emploi du temps suicidaire qu’il génère.
Il faut indiquer que le Jeudi autrefois, aujourd’hui mercredi, n’a jamais été un luxe accordé par les décideurs qui ont eu en charge l’Education en Côte d’Ivoire ; mais ont toujours tenu compte de la limite des efforts des enfants, sur l’intensité des horaires hebdomadaires du travail programmé de l’année académique.
Le mercredi permet psychologiquement aux élèves de décompresser quelque peu, aux Instituteurs, qui ont plusieurs matières avec des classes très souvent surchargées, pléthoriques, de réaménager leur préparation en procédant à des recherches.
Regardons les conséquences désastreuses d’une telle reforme :
1- Au niveau administratif
Le mercredi étant devenu jour ouvrable pour l’Instituteur, on constate aujourd’hui, une multiplication des demandes d’autorisation d’absence les jours ouvrables. Ce qui n’était pas le cas avant la reforme, entraînant de facto, une réduction importante du temps d’apprentissage que prétend augmenter la tutelle.
2- Au niveau psychologique
L’enfant est surchargé et surmené. Cet état psychologique favorise une baisse drastique de la concentration de l’enfant, une déficience intellectuelle et une fatigue extrêmes.
3- Au niveau pédagogique
Les plus petits travaillent plus que les plus grands pendant que les experts en rythme scolaire indiquent que les plus petits doivent travailler moins : Là où la norme en termes de volume d’heures par semaine est de 26 heures, on nous impose plus de 30 heures par semaine.
Pendant ce temps, à la maternelle, nous sommes à 24 heures par semaine et qu’au primaire, du CP1 AU CM1 30h15 minutes et au CM2 32h15 minutes ; au secondaire, nous sommes en 6ième 22 h ,en 5ième 22h, 4ième 26h , 3ième 25 h.C’est trop d’efforts physiques et intellectuels pour nos élèves qui entraiment des mauvais résultats.
Au niveau du maître, on assiste à une baisse de son rendement, à une perte de qualité de l’enseignement parce que n’ayant plus de temps de préparation, de documentation et de rééquilibrage des démarches pédagogiques. Un maître également fatigué intellectuellement et physiquement.

4- Au niveau financier
L’instauration des cours de mercredi provoquent des grincements de dents non comptabilisés dans les jours de paye. Même son de cloche chez les élèves qui arrivent en car à l’école. Il y a un jour de transport en plus.
NB : le volume d’heures demandé à l’enseignement préscolaire et primaire est supérieur au volume officiellement prévu sans que cela ne constitue des heures supplémentaires
Nous disons pour terminer que la psychologie des efforts de l’enfant oblige :
1- au maintien du mercredi comme jour de repos ;
2- au besoin de préparation, de documentation et de rééquilibrage des démarches pédagogiques pour l’Instituteur ;
3- par ailleurs, sachant que l’enseignement n’est pas un métier comme les autres, mais fait toujours appelle à des excédents d’horaires et donc d’efforts de préparation ; le mercredi ne devrait être additionné au samedi qui est, pour l’ensemble des travailleurs de Côte d’Ivoire, un repos social pour toutes les communautés.
En clair, nous pouvons dire que le système éducatif ivoirien manque d’objectif terminal véritable .c’est-à-dire qu’est ce qu’on veut pour notre Education.
Quelles sont les réalités du système ivoirien ?
Comment adapter notre système éducatif aux réalités ivoiriennes ?
Voici de pertinentes interrogations qui peuvent en y répondant, nous aider à avoir un vrai système éducatif qui ne sera pas une pale copie des systèmes d’ailleurs mais un système qui tient compte de nos réalités.

Quelles en sont les conséquences ?

• Un corps enseignant improductif ;
• Faible rendement des enseignants ;
• Bas niveau des élèves ;
• Inadéquation Ecole / monde du travail ;
• Un chômage sans cesse croissant des jeunes, etc

Quelles solutions proposez-vous pour une éducation adaptée au monde du travail ?

Pour résoudre la question du travail, il faut d’abord et avant tout, la définition d’un profil pédagogique clair qui peut réellement amener le jeune qui sort du système à se prendre en charge d’où la nécessité de l’avènement de la formation qui permet de découvrir en l’enfant d’autres compétences c’est-à dire la FORMATION AVEC LES COMPETENCES.
Cette dernière donne la chance à chaque apprenant de découvrir un talent caché : la première moité de la journée est consacrée aux cours généraux pendant que l’autre moitié est consacrée aux ateliers de formation.
Par cette méthode, l’élève qui n’excelle pas dans les cours généraux, excelle assurément en informatique, en menusierie, en maçonnerie, en calligraphie, en décoration, etc.
Par ailleurs, la Côte d’Ivoire doit recenser ses besoins actuels de développement et créer des formations liées à ses besoins. De cette manière, nous adapterons la formation aux besoins du pays et non former pour former car sans cela, nous formerons pour un chômage toujours plus croissant.

Avez-vous fait des propositions à la tutelle ? Quels sont vos rapports avec la tutelle ?

Chaque fois qu’une tribune nous est offerte, nous parlons sans oublier les demandes d’audiences qui sont trop souvent restées sans suite.
Nous avons de bons rapports avec la tutelle mais nos rapports avaient commencé à ne plus être au beau fixe lorsque le ministère a commencé à soutenir une dissidence mais fort heureusement nous pensons qu’il est entrain de rectifier le tir. Nous attendons de voir.

Le professeur André Déazon, Enseignant –chercheur (l’école ivoirienne a besoin d’être construite et non reformée avec le système français. « Il faut une identité à l’école ivoirienne pour être reformée alors qu’elle n’en n’a pas …).Quel est votre avis sur le constat relevé par le professeur ?

Nous sommes d’avis avec le professeur Déazon car notre système éducatif est dépassé et ne répond plus aux défis des siècles nouveaux. L’Education doit aujourd’hui s’appuyer sur un système éducatif dynamique qui est une véritable réponse à l’épineuse question de l’emploi d’où, comme l’a proposé le professeur Déazon, la pédagogie capacitaire qui, nous pensons peut-être une solution réelle et efficiente quant au problème de l’emploi.
Si l’objectif visé hier du colon était de nous apprendre à lire et à écrire pour faciliter la communication entre occidentaux et nous, et permettre ainsi un meilleur fonctionnement de l’administration coloniale , aujourd’hui, ce n’est plus le cas car si nous voulons sortir du sous developpement, il nous faut rechercher notre propre identité, nos propres valeurs autrement dit ce que nous voulons pour nous-mêmes. Et si c’est ce que nous voulons, alors le moment est venu de recréer l’école en l’adaptant à nos réalités, à nos objectifs. D’ou encore , l’importance de l’avènement de la pédagogie capacitaire qui, sans ambages peut-être une réponse à l’équation formation et emploi.
7- koaci : Est-ce que la formation des enseignants n’est pas à mettre en doute quand on sait le niveau de plus en plus bas du monde des enseignés que sont les élèves et étudiants ?
Kb : Je pense pour ma part que la réponse à cette question prend son essence en amont c’est –à-dire que tant que nous ne définirons pas un profil pédagogique clair, vous verrez que l’enseignant n’enseignant que ce qu’on lui dit d’enseigner, le niveau sera toujours ce qu’on constate. J’en veux pour preuve : la suppression de la dictée. Or la dictée permettait à l’apprenant de savoir orthographier correctement les vocables par ce qu’il était obligé pour réussir cette épreuve , de lire et aussi et surtout de maîtriser sa grammaire.
Aujourd’hui, ce n’est plus le cas.Peut-on dire que la faute incombe à l’enseignant seul ? Je pense que non. Les responsabilités sont partagées mais il faut reconnaître que le système éducatif ivoirien étant dépassé est le facteur premier de cette baisse de niveau.
Voici pourquoi, la tutelle gagnerait à respecter les quelques recommandations du programme d’analyse des systèmes éducatifs de la CONFEMEN (conférence des ministres de l’éducation des pays ayant le français en partage).
Il faut préciser à toutes fins utiles qu’il y a eu une évaluation diagnostique de l’Ecole primaire en 2012 appelé « RAPPORT PASEC COTE D’IVOIRE 2012).
Il y était indiqué les recommandations suivantes qui étaient des pistes d’actions pour une amélioration de la qualité de l’Ecole :

1- Relever le niveau de recrutement des enseignants (minimum BAC ;
2- Arrêter les recrutements directs de masse et privilégier les recrutements au CAFOP ;
3- Faire le recadrage de la FPC pour clarifier la question de l’approche par compétence.
Pour dire que si nous voulons relever le niveau de nos elèves, il faut revoir en profondeur notre système éducatif : faire les états généraux de l’Ecole.

Puis que nous parlons du système éducatif, que dites-vous des inscriptions en ligne, positives ou négatives ?

Je pense pour ma part que ce ne sont pas les inscriptions en lignes qui posent réellement problème mais à quoi sert l’argent des inscriptions en ligne par ce que je comprends difficilement qu’on paye en ligne et qu’on nous demande(les parents) de faire une deuxième inscription physique une fois dans l’établissement scolaire.
Ce que je propose, c’est l’uniformisation des tarifs d’inscription pour en ressortir un taux unique de telle sorte que, une fois l’inscription en ligne faite, il n’y a plus d’autres formes d’inscriptions existantes. Ainsi, nous aurons une inscription unique.
En clair, l’idée n’est pas mauvaise mais il faut associer tous les acteurs pour des propositions d’amélioration

Un dernier mot aux membres du RICI et à vos camarades dissidents

A tous les membres du RICI, je tiens à leur traduire toute ma reconnaissance quant au soutien et à l’attachement qu’ils m’ont témoignés depuis cette crise inutile au sein de notre chapelle syndicale. Dire également que le RICI reste et restera un instrument de lutte au service des Instituteurs et Institutrices de Côte d’Ivoire car je reste porté réellement sur le bonheur des travailleurs et non sur mes intérêts propres.
En vérité, il n’y a rien de plus beau que de se mettre réellement au service de ses semblables. Leur joie vous procure plus de bonheur que lorsque vous êtes seul à être heureux.
Quant à nos camarades dissidents, ils ont choisi leur voie cependant il est encore possible de reconsidérer leur position pour regarder l’intérêt général. Encore que les vrais meneurs ne sont plus instituteurs.
Propos recueillis par Yedagne Lasme .

Commentaires Facebook