LE MONDE
L’ancien président de la République, poursuivi pour corruption passive, financement illégal de campagne électorale et recel de détournements de fonds publics libyens, dénonce une « manipulation ». Il a été placé sous contrôle judiciaire.
A l’issue de deux jours de garde à vue, l’ancien président de la République, Nicolas Sarkozy, a été mis en examen, mercredi 21 mars, des chefs de corruption passive, financement illégal de campagne électorale et recel de détournements de fonds publics libyens, selon les informations du Monde. Il a été placé sous contrôle judiciaire.
L’ancien chef de l’Etat avait été mis en garde à vue mardi en début de journée et entendu dans des locaux de la police judiciaire. Sa garde à vue s’est achevée en fin de journée mercredi. Alors qu’une information judiciaire avait été ouverte en avril 2013, M. Sarkozy était entendu pour la première fois dans cette enquête. L’un des juges d’instruction chargés du dossier, Serge Tournaire, l’avait déjà renvoyé devant le tribunal dans l’affaire Bygmalion, qui concerne sa campagne de 2012.
Le député européen Les Républicains (LR) Brice Hortefeux, ancien ministre de l’intérieur de Nicolas Sarkozy (2007-2012), a également été interrogé mardi toute la journée sous le statut de suspect libre.
5 millions d’euros en liquide
L’affaire avait été révélée en mai 2012 par le site Mediapart, qui avait publié un document libyen faisant état d’un financement par la Libye de la campagne de 2007 de M. Sarkozy. Depuis, les investigations ont considérablement avancé, notamment grâce à certains témoins-clés. En novembre 2016, l’intermédiaire Ziad Takieddine avait ainsi affirmé avoir transporté 5 millions d’euros en liquide de Tripoli à Paris entre la fin de 2006 et le début de 2007 pour les remettre à Claude Guéant, puis à Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur.
Les propos de M. Takieddine venaient confirmer ceux tenus, le 20 septembre 2012, par Abdallah Senoussi, l’ancien directeur du renseignement militaire du régime Kadhafi devant le procureur général du Conseil national de transition libyen. Les carnets d’un ancien ministre du pétrole libyen – Choukri Ghanem, mort en 2012 dans des circonstances encore troubles – récupérés par la justice française, mentionnaient également l’existence de ces versements. M. Takieddine a, depuis, été mis en examen pour « complicité de corruption d’agent public étranger » et pour « complicité de détournements de fonds publics en Libye ».
Opérations suspectes
Mais le dossier est tentaculaire et les enquêteurs doivent remonter la piste de nombreux flux financiers impliquant plusieurs protagonistes. Pour l’heure, ils pensent avoir remonté une piste de l’argent libyen à travers l’intermédiaire Alexandre Djouhri, alors proche de Bechir Saleh – ancien grand argentier de Kadhafi et homme des relations avec la France, récemment blessé par balle lors d’une agression à Johannesburg (Afrique du Sud) –, et de Claude Guéant. Ancien secrétaire général de l’Elysée de Nicolas Sarkozy, ce dernier a été mis en examen pour « faux et usage de faux » et pour « blanchiment de fraude fiscale ».
De nouvelles preuves ont-elles été rassemblées pas les enquêteurs qui permettraient une mise en cause directe de M. Sarkozy ? Selon les informations du Monde, plusieurs anciens dignitaires du régime Kadhafi auraient livré de nouveaux éléments confirmant les soupçons de financement illicites. Depuis plusieurs semaines, la justice française dispose, en outre, de nombreux documents saisis lors d’une perquisition menée en 2015 au domicile suisse d’Alexandre Djouhri. Jusqu’ici, Nicolas Sarkozy a toujours contesté les accusations de financement illicite de sa campagne de 2007.
Nicolas Sarkozy : « Je vis l’enfer de cette calomnie »
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Ce que Nicolas Sarkozy a dit aux juges
Par Journaliste Figaro Le figaro.fr Mis à jour le 22/03/2018 à 08:50
EXCLUSIF – Voici ce que Nicolas Sarkozy a dit aux magistrats mercredi soir lors de sa comparution à l’issue de sa garde à vue.
«Dans l’énoncé des faits que vous envisagez de retenir à mon endroit, vous avez indiqué que j’avais travaillé en vue de favoriser les intérêts de l’État libyen.
Comment peut-on dire que j’ai favorisé les intérêts de l’État libyen?
JE DÉCOUVRE
C’est moi qui ai obtenu le mandat de l’ONU pour frapper l’État libyen de Kadhafi. Sans mon engagement politique, ce régime serait sans doute encore en place.
Le Colonel Kadhafi lui-même ne s’y est pas trompé, puisque je vous rappelle qu’entre 2007 et le 10 mars 2011, il n’y a aucune espèce d’allusion au prétendu financement de la campagne.
Les déclarations M. Kadhafi, de sa famille et de sa bande n’ont commencé que le 11 mars 2011, c’est-à-dire le lendemain de la réception à l’Élysée du CNT, c’est-à-dire les opposants à Kadhafi. C’est à ce moment-là et jamais avant que la campagne de calomnies a commencé.
Je suis accusé sans aucune preuve matérielle par les déclarations de M. Kadhafi, de son fils, de son neveu, de son cousin, de son porte-parole, de son ancien premier ministre et par les déclarations de M. Takieddine dont il est avéré à de multiples reprises qu’il a touché de l’argent de l’État libyen. Je dirais qu’il a pillé l’État libyen. À propos de M. Takieddine, je voudrais vous rappeler qu’il ne justifie durant cette période 2005-2011 d’aucun rendez-vous avec moi.
Mieux, dans une autre procédure où vous avez eu accès à l’intégralité de mon agenda 2007 – L’Express l’a publié – jamais personne n’a fait état d’un quelconque rendez-vous avec M. Takieddine. Et pour cause, il n’a jamais existé durant toutes ces années de 2004 à aujourd’hui.
Durant ma garde à vue, j’ai démontré un mensonge de M. Takieddine.
M. Takieddine aurait vu le fils Kadhafi le 4 mars 2011.
Il ne peut pas y avoir d’erreur sur cette date puisque c’est le lendemain que M. Takieddine a été arrêté au Bourget avec une importante somme en liquide.
Or en relatant cet entretien, M. Takieddine dit: «J’ai demandé au fils de Kadhafi si ce qu’il avait dit à Euronews concernant le financement de la campagne de Nicolas Sarkozy était vrai».
Or ce fait est matériellement impossible puisque l’interview à Euronews de Saïf Al Islam n’a eu lieu que 12 jours plus tard, soit le 16 mars.
Comment peut-on interroger quelqu’un sur une émission qui n’a pas eu lieu et sur des propos qui n’avaient donc pas encore été tenus?
C’est un mensonge!
M. Takieddine ment lorsqu’il affirme sans aucune preuve qu’il pouvait pénétrer place Beauvau sans justifier du moindre rendez-vous, simplement en déposant son nom. On ne rentre pas place Beauvau sans indiquer avec qui on a rendez-vous!
C’est un mensonge!
Troisième mensonge: il se trompe sur la prétendue description des lieux du ministère de l’Intérieur quand il indique que le bureau de Claude Guéant était au premier étage à côté de l’appartement du ministre de l’Intérieur. C’est faux! Le bureau du directeur de cabinet, Claude Guéant ou un autre, a toujours été au rez-de-chaussée, et au premier étage il n’y a aucun autre bureau que celui du ministre. C’est très facilement vérifiable.
Enfin, il indique être passé au ministère de l’Intérieur aux alentours du 27 janvier 2007 précisant qu’il n’avait pas rendez-vous avec Claude Guéant. Mais il n’avait pas non plus rendez-vous avec moi: mon agenda en portera témoignage.
Fort heureusement alors qu’il était porteur d’une mallette, dit-il, contenant 1,5 million d’euros, il dit m’avoir croisé par hasard. Qu’aurait-il fait de cette mallette s’il ne m’avait pas croisé?
Toutes les investigations montrent que je n’ai jamais été un proche de M. Takieddine. Lui-même a déclaré que je ne l’avais jamais reçu à l’Élysée.
Compte tenu de leur absence de crédibilité, les propos de M. Takieddine ne peuvent en aucun cas constituer des indices graves et concordants quand on connaît son passé judiciaire et les multiples déclarations contradictoires qu’il a proférées.
La guerre menée par la coalition internationale en 2011 s’est étalée entre mars et octobre 2011 et elle a duré 7 mois. Durant ces 7 mois M. Kadhafi était en vie, rien ne l’empêchait de livrer les documents, photos, enregistrements, virements que lui-même et ses proches ont indiqués tout au long de ces sept dernières années posséder sans qu’à aucun moment, d’aucune façon, on en voit le début du commencement.
Enfin il me faut terminer par le document MEDIAPART, comble de la manipulation.
Durant ma garde à vue, j’ai versé au dossier le rapport des enquêteurs sur ce document dans le cadre de l’instruction de M. Cros.
Je cite les trois dernières phrases: «La réunion évoquée par cet écrit n’a pas pu se tenir à la date indiquée, ce qui semble confirmer que le contenu pourrait être mensonger. Il existe donc une forte probabilité pour que le document produit par MEDIAPART soit un faux».
Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les enquêteurs dans le cadre d’une procédure parallèle à la vôtre sur une plainte que j’avais moi-même déposée.
Pendant les 24 heures de ma garde à vue, j’ai essayé avec toute la force de conviction qui est la mienne de montrer que les indices graves et concordants qui sont la condition de la mise en examen n’existaient pas compte tenu de la fragilité du document ayant fait l’objet d’une enquête judiciaire et compte tenu des caractéristiques hautement suspectes et du passé lourdement chargé de M.Takieddine.
S’agissant du financement illégal de la campagne 2007, j’ignorais qu’il existât un réquisitoire supplétif du chef de ce délit, y compris au début de ma garde à vue, puisque quand les enquêteurs m’ont présenté les motifs de la garde à vue, ce délit n’y figurait pas.
J’ai fourni aux policiers qui m’ont interrogé une décision de non-lieu définitive sur le chef du délit de financement illégal de parti politique comme de financement illégal de campagne électorale puisque votre collègue M. Gentil avait longuement enquêté sur la campagne 2007, non pas pour savoir si elle avait été financée par les Libyens, mais par Mme Bettencourt.
Je précise que ce n’est pas moi qui ai bénéficié d’un non-lieu pour ce délit puisque je n’avais pas été mis en examen pour cela. Mais ce délit a été écarté par le juge Gentil pour la campagne 2007.
J’ai également communiqué un article commentant ce non-lieu et indiquant qu’en tout état de cause, pour le parquet de Bordeaux, les faits étaient prescrits et ce dès 2013. S’ils étaient prescrits en 2013, que doit-on dire pour 2018?
Les faits dont on me suspecte sont graves, j’en ai conscience. Mais si comme je ne cesse de le proclamer avec la plus totale constance et la plus grande énergie, si c’est une manipulation du dictateur Kadhafi ou de sa bande, ou de de ses affidés, dont Takieddine fait à l’évidence partie, alors je demande aux magistrats que vous êtes de mesurer la profondeur, la gravité, la violence de l’injustice qui me serait faite.
J’ai déjà beaucoup payé pour cette affaire. Je m’en explique: j’ai perdu l’élection présidentielle de 2012 à 1,5%. La polémique lancée par Kadhafi et ses sbires m’a coûté ce point et demi. Le document MEDIAPART ayant été publié entre les deux tours le 28 avril 2012 alors que je me trouvais à Clermont-Ferrand en présence de Brice Hortefeux.
M. Takieddine a toujours affirmé ne m’avoir jamais remis de liquide jusqu’au mois de novembre 2016. Très exactement trois jours avant le plus important débat qui opposait les candidats de la droite à la primaire.
J’ai perdu la primaire et les déclarations de M. Takieddine n’y sont pas pour rien. Déclarations immédiatement postérieures à un article du Monde qui reprenait les déclarations de M. Senoussi devant la Cour pénale internationale, lequel M. Senoussi ne m’apparaît pas être un témoin de moralité s’agissant d’un homme qui a mis en œuvre l’attentat du DC10 d’UTA, qui a coûté la vie à des dizaines de nos compatriotes.
Depuis le 11 mars 2011, je vis l’enfer de cette calomnie.
À ma connaissance aucun élément tangible autre que les déclarations de la famille Kadhafi, du clan, des affidés n’est susceptible d’apporter le moindre crédit à leur propos.
Croyez-vous que si j’avais la moindre chose à me reprocher en la matière, j’aurais été assez bête, assez fou pour m’attaquer à celui qui m’aurait à ce point financé?
Pourquoi prendre ce risque?
Je ne suis pas un intime de Takieddine. J’ai été le chef de la coalition qui a détruit le système Kadhafi et j’ai d’ores et déjà payé un lourd tribut à cette campagne rarement égalée de boue, de calomnies et d’insanités.
Je vous demande avec toute la force de mon indignation de retenir des indices et non pas des indices graves et concordants.
Si dans le cadre de vos investigations ultérieures des éléments dirimants apparaissaient tels qu’ils ne sont pas apparus durant les sept dernières années, vous auriez naturellement toute liberté de revoir votre position.
Dans l’affaire Bettencourt, j’avais d’abord été mis sous le statut de témoin assisté puis mis en examen puis finalement j’ai eu un non-lieu.
Je pense que présenter la demande comme je le fais est quelque chose d’honnête, me paraît conforme à l’attitude que j’ai toujours eue à l’endroit de l’institution judiciaire et de vous-même M. le Président.
Je n’ai jamais cherché à me soustraire à mes obligations dans mes rapports avec mes amis, mes collègues et toutes les personnes citées dans la procédure, vous avez pu voir que je n’ai jamais cherché à influer sur leurs déclarations ou leurs jugements, y compris s’agissant de personnes qui sont mes plus proches collaborateurs encore aujourd’hui.
Et donc je vous demande de retenir, comme la loi vous en donne la possibilité, un autre statut que celui de mis en examen: celui de témoin assisté.
Je m’en remets à l’intime conviction qui est la vôtre sur la sincérité de mes propos et sur la force des arguments que j’ai essayé de présenter devant vous.»
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