Alliance politique: Le marché de dupes en Côte-d’Ivoire

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Front Républicain1995-1999

Par FERRO M. Bally

Le RHDP risque de voler en éclats. Cette coalition aujourd’hui au pouvoir connaîtra alors le même sort que ses aînées, la Gauche démocratique et le Front républicain qui étaient dans l’Opposition, qui ont été emportées par la tourmente hypocrite. Car les alliances politiques en Côte d’Ivoire sont de véritables marchés de dupes.

Il est presqu’acquis que le RDR et le RDR vont faire cavalier seul et éclater le Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP, coalition du PDCI-RDA, du RDR, du MFA et de l’UDPCI à l’origine). Ils ont obtenu le départ de Laurent Gbagbo qui les rassemblait et maintenant ils se livrent la guerre pour le pouvoir d’État.

Les ambitions des deux poids lourds de la coalition politique sont antinomiques et entrent en télescopage pour la présidentielle d’octobre 2020. En 2015, Albert Mabri Toikeusse, président de l’UDPCI d’abord, et Henri Konan Bédié, président du PDCI-RDA ensuite, avec «L’appel de Daoukro», ont demandé et obtenu la candidature unique d’Alassane Ouattara, président du RDR et chef de l’État sortant, au nom et pour le compte du RHDP.

Pourtant, la plate-forme du RHDP signée le 18 mai 2005 à Paris, a pris des garde-fous. «Pour l’élection présidentielle, le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) reconnaît à chaque parti le droit de présenter son candidat au premier tour. Cependant, les partis du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) s’engagent à soutenir, au second tour, le candidat arrivé en tête des partis signataires de la plate-forme», a-t-elle stipulé.

C’est le grain de sable. Au moment où Bédié espérait la candidature unique d’un «militant actif» du PDCI-RDA en octobre 2020, le RDR a un autre plan: il veut, à l’instar de l’ancien parti unique dont il est issu, rester 40 ans au pouvoir et donc jusqu’en 2050.

Cissé Ibrahim dit Bacongo, actuel Conseiller spécial du chef de l’État chargé des Affaires juridiques, institutionnelles et politiques, et vice-président du RDR résume cette guéguerre «mangercratique» (le partage du gâteau ivoirien), le 15 août 2017, dans la commune abidjanaise d’Adjamé, au cours d’un meeting. «On est tous les deux assis, on est assis ensemble, on mange ensemble; on mange ensemble. Toi-même, tu manges plus que moi; tu es devenu clair, tu es devenu rond, tu brilles. Tu n’as aucune charge, on te donne seulement. Tu manges, tu manges, tu manges; tu n’arrives même pas à respirer correctement. Et pendant qu’on mange, tu dis : ‘lève-toi’. Pourquoi je vais me lever? Dis-moi pourquoi je vais me lever? Ca veut dire que tu veux manger seul!».

C’est donc le clash entre les «mangeurs» qui donne raison à Laurent Gbagbo. «Le RHDP n’est qu’une alliance d’états-majors minés par leurs arrière-pensées contradictoires», analyse-t-il dans son ouvrage «Pour la vérité et la justice», co-écrit avec le journaliste français François Mattéi.

Cette guerre de leadership est également alimentée par la métaphore du fleuve et de la rivière utilisée par Laurent Gbagbo. Cette suffisance a plombé les alliances et paralysé leur fonctionnement. En dehors des contentieux qui tardent à être soldés, le RDR se considère comme le plus grand parti politique ivoirien. Il estime n’avoir pas besoin du PDCI-RDA pour continuer son hégémonie.

Cette considération de la rivière qui se jette dans le fleuve a fait battre les ailes à la Coordination de la Gauche démocratique (coalition comprenant le FPI de Laurent Gbagbo, le PIT de Francis Wodié, l’USD de Zadi Zaourou et le PPS de Kouakou Mandjouadja et Bamba Moriféré, formée après la réinstauration du multipartisme en 1990); elle a été emportée très rapidement par la soif hégémonique de Gbagbo.

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RHDP 2005…

Car alors que les autres membres de cette Coordination respectaient le mot d’ordre de boycott de la présidentielle d’octobre 1990 pour dénoncer l’opacité des conditions d’organisation, Laurent Gbagbo participait au scrutin au motif officiel de rompre un terme à la candidature unique de Félix Houphouët-Boigny. Ce fut la fin de la Coordination et le début des rivalités politiques entre les partis.

Le RDR et le FPI sont eux aussi aujourd’hui des ennemis jurés. Pourtant, ces deux partis constituaient l’axe politique central du Front républicain, né le 5 avril 1995 pour la lutte en faveur de l’obtention de conditions d’une véritable alternance démocratique, et, tout spécialement, du retrait du Code électoral.

D’où le boycott actif d’octobre 1995 pour empêcher, par tous les moyens, l’organisation de la présidentielle.

Mais la lune de miel tourne rapidement au vinaigre. Les ambitions politiques étaient différentes et opposées dans cette alliance contre-nature. Chaque parti, en voulant même élaborer un programme commun de gouvernement, essayait de se servir de l’autre comme d’une béquille.

Le FPI, après que Ouattara s’est retiré de la présidentielle d’octobre 1995 au motif que le code électoral l’en empêchait, espérait que, sans leader charismatique, le RDR lui apporterait ses suffrages à la présidentielle. Nenni ! Quant au RDR, il voulait avoir le FPI comme partenaire pour défendre et rendre crédible, aux yeux de l’opinion internationale, le dossier de la candidature de Ouattara. Échec et mat.

Le divorce va donc être prononcé en 2000, chacun chantant pour sa chapelle. Et la rébellion de Soro Guillaume, bras armée du RDR, a pris les armes pour renverser Laurent Gbagbo, avec la bénédiction de la communauté internationale cornaquée par la France. Sur les ruines de ce pouvoir déchu, les deux alliés de circonstance, en réalité des adversaires qui ont tu leurs oppositions du moment, se battent pour prendre ou conserver le pouvoir d’Etat.

Il faudra alors, selon la fable de La Fontaine Les Voleurs et l’Âne, compter avec un troisième larron qui viendra départager le RDR et la PDCI-RDA, dans ce marché de dupes. Car l’occasion fait le larron.

Source: Journaldeferro.wordpress.com

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