Le fulgurant développement du Mobile Money en Afrique de plus en plus concurrencé par les banques et fintech

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(Ecofin Hebdo) – Le Mobile Money a été, au cours de la dernière décennie, un outil clé dans l’amélioration de l’inclusion financière en Afrique subsaharienne, et continue de se développer sur le continent. Selon le rapport du GSMA, l’association internationale des opérateurs de mobile, l’Afrique subsaharienne comptait à la fin décembre 2017 près de 338,4 millions d’abonnés mobiles. Un chiffre qui s’inscrit en hausse de 18,4%. En progression aussi, on note le nombre d’abonnés actifs au moins une fois sur une période de 90 jours, qui était de 122 millions de personnes (+18,2). Mais la belle histoire du mobile ne navigue pas seulement dans des eaux calmes.

Les solutions qu’offrent les téléphones portables ne sont pas que l’apanage des opérateurs de mobiles. Le Mobile Banking qui permet d’accèder à son compte bancaire via le téléphone avance lui aussi à grand pas. De même que les fintech qui proposent des solutions innovantes via Internet. Par ailleurs, de nouvelles régulations en terme de coût d’attribution d’autorisation et de contrôle des transactions ont tendance à limiter la forte croissance qui était observée jusque-là.

Des problèmes de réglementation et de qualité de services…

En Afrique centrale, même si la banque centrale (BEAC) reconnait l’importance du mobile money dans son système de paiement, elle reste prudente quant à un développement sans limite. Dans une correspondance datée du 19 juin 2017, le gouverneur de l’institution qui couvre le Cameroun, le Gabon, le Tchad, la RCA, le Congo et la Guinée équatoriale, a invité les dirigeants des banques en activité dans cet espace communautaire, à « cesser toute opération de transfert de fonds à l’international dans le cadre des activités de monnaie électronique, par le canal de (leurs) partenaires techniques »

Dans la sous-région sœur qu’est l’UEMOA, la banque centrale y a aussi formellement interdit les transferts à l’étranger de l’opérateur Sonatel, qui y est de loin l’acteur le plus important du secteur. « Comme le précisent les dispositions pertinentes du Règlement relatif aux relations financières extérieures des États membres de l’UEMOA, ces opérations relèvent exclusivement de la compétence des établissements de crédit » avait fait savoir la BCEAO dans une note transmise aux médias sur le sujet.

Au Kenya, une grosse bataille se déroule autour de Safaricom, avec en ligne de mire, la question de savoir si l’opérateur de téléphonie doit oui ou non dissocier ses activités de téléphonie, de celle d’intermédiaire financier. En 2017, la firme de consulting basée à Londres, Analysis Manson, qui est spécialisée sur les questions de technologie, a recommandé au gouvernement de séparer les services voix et données de l’opérateur leader au Kenya de sa plateforme d’argent mobile M-Pesa, même si elle est revenue sur cette position dans un rapport récent.

L’accueil n’est pas toujours cordial, et il faut passer de longues heures pour récupérer du cash, et s’entendre dire au final qu’il n’y a plus de disponibilité.

Les règlementations des pays notamment le Nigéria, sont désormais plus regardantes sur la qualité du service offert aux clients. Au Nigéria, au Cameroun, ou encore en Côte d’Ivoire, des abonnés au Mobile Money se plaignent en récurrence de la qualité du service. L’accueil n’est pas toujours cordial, et il faut passer de longues heures pour récupérer du cash, et s’entendre dire au final qu’il n’y a plus de disponibilité. Une vague de faiblesses sur laquelle surfent les banques pour revenir à l’offensive.

Les banques commerciales organisent la riposte

Au-delà des contraintes règlementaires, le Mobile Money est aussi menacé par une réaction, tardive mais de plus en plus efficace, des banques qui n’avaient pas anticipé la concurrence que pouvaient leur faire les opérateurs de mobile mais qui, aujourd’hui, mesurent les jolies perspectives de revenus qui découlent de cette technologie. Elles avaient toujours considéré, par exemple, que servir des personnes situées dans des zones rurales était coûteux et peu rentable. Sur ce plan, le digital a tout changé.

Les banques avaient toujours considéré, par exemple, que servir des personnes situées dans des zones rurales était coûteux et peu rentable. Sur ce plan, le digital a tout changé.

Dans des pays comme le Kenya, la riposte du secteur bancaire s’est organisée. L’association des banques a développé une application, qui permet aux personnes détenant un téléphone mobile d’effectuer facilement et rapidement des transferts d’argent de compte bancaire à compte bancaire. Plus globalement en Afrique subsaharienne, les banques sont désormais toutes à l’heure du digital.

Ecobank, le groupe bancaire le plus présent de la région avec 33 filiales, s’est lancé tous azimuts dans le digital et offre désormais une interface de gestion clientèle complète via une application mobile, même si quelques couacs surviennent de temps en temps.

Le groupe français Société Générale a pour sa part lancé son service YuP qui est censé permettre aux utilisateurs de mener plus facilement leurs transactions.

Aussi, plus récemment, on a appris que le groupe Standard Chartered Bank, qui est plutôt actif dans l’investissement et la clientèle haut de gamme, expérimente actuellement sa banque entièrement digitale en Côte d’Ivoire.

Ou encore le groupe Banque Atlantique a dévoilé sa stratégie digitale qui porte même sur les transferts internationaux, en permettant à ses clients de recevoir de l’argent de l’étranger, directement dans des guichets automatiques de billets.

La dernière ligne de concurrence pour le Mobile money est celle du service des prêts d’argent via les terminaux mobiles. Dans la mesure où, en Afrique centrale, en zone UEMOA et même dans des pays comme le Nigéria, les opérateurs n’ont pas le pouvoir de gérer du crédit, de nouveaux opérateurs sont entrés dans ce segment et prennent de l’avance. Que ce soit MTN Orange, ou encore Airtel, le mieux qu’ils puissent faire, c’est offrir des minutes d’appel, remboursables avec un intérêt.

Enfin, pour les offres de nano crédit, il faut passer par des établissements de crédit agrées. L’expérience est une réelle réussite au Kenya, où plusieurs de ces entreprises permettent à des personnes situées dans des zones difficiles d’accès, de recevoir du crédit. Une fois de plus Safaricom a pris le leadership, mais la concurrence des acteurs plus indépendants est rude.

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Mais le Mobile Money n’a pas dit son dernier mot…

Il est aujourd’hui estimé que dans 7 pays africains notamment dans la région Est, plus de 40% de la population utilisent de manière active les services de Mobile Money. Cette amélioration est surtout le fait d’une diversification des services. Les transferts de personnes à personnes et les achats de crédit qui constituaient l’essentiel des opérations en 2011, sont aujourd’hui en train de perdre du terrain au profit des règlements de factures et des dépenses plus générales.

Au Zimbabwe où l’économie a fait face à une crise de liquidité, le règlement des transactions via le mobile a permis de maintenir les marchés actifs. Le gouvernement y prévoit aujourd’hui de pousser rapidement la régulation, afin de parvenir à l’interopérabilité des transactions de Mobile Money. Ainsi, il sera désormais facile de transférer de l’argent détenu chez l’opérateur X à une personne utilisant l’opérateur Y.

Le Kenya ou encore la Tanzanie sont deux pays où la diversification des services via le mobile money est la plus importante. Ce n’est pas un hasard si l’Afrique de l’Est est la plus dynamique de la région subsaharienne, avec un total des transactions estimé à 12 milliards $ à la fin décembre 2017.

Safaricom mobile money

Au Kenya, par exemple, l’opérateur Safaricom qui est le géant mondial de ce type de service, est parvenu à multiplier des offres de services, allant jusqu’à gérer la paie des employés et le règlement des impôts. On peut même mentionner la réalisation par le gouvernement d’un emprunt obligataire via le mobile, avec un succès mitigé il est vrai.

Au Kenya, par exemple, l’opérateur Safaricom qui est le géant mondial de ce type de service, est parvenu à multiplier des offres de services, allant jusqu’à gérer la paie des employés et le règlement des impôts.

Au-delà de cette réussite, les services de Mobile Money continuent de progresser dans plusieurs pays. L’Afrique Centrale est la zone qui l’a adopté le plus tardivement, mais elle est en train de combler son gap. Les revenus de ces services pour les deux principaux opérateurs téléphoniques au Cameroun, sont un indicateur parlant. Les populations de la principale économie de la CEMAC adoptent progressivement la facilité que cela représente de régler ses factures via le mobile, où même de faire des cotisations et transférer de l’argent dans les zones reculées.

L’Afrique de l’Ouest francophone n’est pas en reste. Grâce au partenariat de plusieurs opératrices de transfert d’argent, il est désormais possible de recevoir des transferts internationaux directement sur son mobile. Aussi des groupes comme Banque Atlantique et même Ecobank, permettent d’effectuer des retraits de porte-monnaie mobile, sur des distributeurs automatiques de billets de banque.

L’autre réalité derrière, c’est aussi que les opérateurs encouragent les détenteurs de porte-monnaie mobiles, à ne pas toucher leur argent, et ont tendance à créer un écosystème digital, qui permet de ne plus avoir des transactions en cash. Ainsi, grâce à leurs partenariats avec Jumia, les opérateurs Orange et MTN poussent leurs clients à régler l’essentiel de leurs factures via le mobile money. Ils ont notamment usé pour cela de la hausse des tarifs de retrait, et l’octroi des avantages pour des opérations gérées via le mobile.

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Malgré cette forte concurrence, dans un environnement assez complexe, l’avenir du Mobile Money reste tout de même solide.

En Afrique subsaharienne, le volume des transactions via le mobile est passé de 938 millions d’opérations enregistrées en 2016, à 1,2 milliard à la fin de l’année passée. Dans le même sens, la valeur des transactions, l’indicateur le plus important, passait de 17,4 milliards $ en 2016 à l’année passée 19,9 milliards $, soit un progression de 14,3%. Un taux de croissance que bien des secteurs apprécieraient…

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