Découpage et commission électorale en Côte-d’Ivoire: La fraude légalisée dont l’enjeu fausse le jeu politique
Communication de l’ex ministre Charles Blé Goudé
Là où le peuple de Côte d’Ivoire et les observateurs de la vie politique étaient en droit d’attendre la mise en place d’un organe électoral crédible et la prise de mesures qui apaisent la situation socio-politique, le pouvoir annonce l’organisation prochaine d’élections, en laissant aux calendes grecs les revendications pourtant légitimes de la société civile et de l’opposition dans son ensemble. En tant qu’acteur politique de mon pays, deux questions me taraudent : celles du découpage et de la commission électorale indépendante très dépendante. C’est sur ces deux sujets majeurs que porte la présente contribution.
DE L’ENJEU ET DE LA NECESSITE D’UN NOUVEAU DECOUPAGE ELECTORAL
En Côte d’Ivoire, existe-t-il, un critère connu et reconnu qui guide l’octroi du nombre de députés à nos différentes circonscriptions électorales ? Ne sommes-nous pas en droit de le savoir et même de l’exiger à nos gouvernants ? Au-delà des enclos politiques et des clôtures idéologiques, au-delà des ambitions légitimes de chaque formation politique de remporter des victoires électorales, la question majeure du découpage électoral, gage d’un système électoral crédible et d’une représentation équilibrée de nos législateurs devraient faire l’objet d’une attention particulière de la part de l’ensemble de la classe politique. Si nous nourrissons la noble ambition de compter notre pays parmi les nations émergentes de notre planète, comme le laissent entendre les autorités actuelles, il seraient souhaitable que nous ayons des règles et un jeu politiques transparents ; ce serait tout à l’honneur de notre pays. On n’émerge pas dans le faux et dans la fraude car, le découpage électoral en Côte d’Ivoire sous sa forme actuelle n’est ni plus ni moins une fraude légalisée qui fausse le jeu politique et rend la compétition pipée d’avance. Gagner, c’est bon, mais gagner dans la transparence confère le respect de l’adversaire vaincu et donne de la noblesse à la victoire du vainqueur. Dans les nations aux démocraties reconnues et enracinées, pour déterminer le nombre de députés de chaque circonscription, l’on s’accorde sur le critère objectif de la population ( nombre d’habitants par circonscription). Un tel critère intemporel et impersonnel, met toutes les forces politiques en compétition sur un pied d’égalité et donne une crédibilité au scrutin et consolide la représentation et la représentativité du législateur. Le nombre de députés ne devrait pas être octroyé en fonction des intérêts et des bastions de chaque parti politique, une fois au pouvoir, comme c’est en ce moment le cas en Côte d’Ivoire. En effet, chez nous, le découpage électoral actuel ne repose sur aucun critère connu et reconnu. Dans le seul but de s’assurer une majorité des sièges à l’hémicycle au désavantage de ses adversaires politiques, le parti au pouvoir décide du découpage électoral de manière unilatérale. Sinon, comment expliquer que la région du Guémon, avec ses 919 392 habitants a le même nombre de députés (sept députés) que la région du Kabadougou peuplée de 193 394 habitants. Je ne trouve non plus aucune explication objective aux trois députés octroyés au département de Kong, pour seulement 87 929 habitants, là où le département de Ouangolodougou peuplé de 236 766 habitants est moins loti avec deux députés. Le déséquilibre est flagrant. Au-delà de ces cas suscités, les exemples de ce type aux odeurs de calculs politiciens qui n’honorent pas notre pays et ses institutions sont légion.
LIBERER LA CEI DE L’OTAGE DES PARTI POLITIQUES
La majorité des conflits qui secouent les pays africains trouvent leur origine dans la contestation d’élections mal organisées. L’exception confirmant la règle, quelques pays font cependant honneur à notre continent. Le Sénégal, le Ghana, le Bénin, le Nigéria, pour ne citer que ces pays-là ; on peut y ajouter aujourd’hui le Libéria, la liste n’est pas exhaustive. Dans ces pays, les organes électoraux ne sont pas à la solde des partis au pouvoir. Ils jouent assez bien leur rôle régalien et annoncent au peuple le choix qu’il a opéré dans les urnes.
Malheureusement, la Côte d’Ivoire notre pays, refuse d’être citée parmi les bons élèves abonnés à la transparence démocratique. Bien au contraire, au lieu de s’employer à doter le pays d’institutions impersonnelles et intemporelles, la quasi-totalité des partis politiques ivoiriens luttent et se disputent le contrôle de l’organe électoral. Ainsi, à l’issu d’accords arrachés à coups de canons, l’organisation des élections a été confiée aux représentants des partis politiques en 2010. Or, confier l’organisation des élections à des représentants de groupements politiques, eux-mêmes adversaires en compétition revient à transporter les conflits entre partis politiques au sein de l’organe chargé d’organiser les élections ; une curieuse et inefficace trouvaille que j’ai toujours dénoncée.
En Octobre 2010, préoccupés par les intérêts de leurs différents mandants, les membres de la CEI ont été incapables de se montrer responsables vis-à-vis du peuple de Côte d’Ivoire et de l’Etat. Ils ont trahi le serment qu’ils ont pourtant prêté à leur prise de fonction, c’est-à-dire demeurer neutres et impartiaux en toute circonstance, ne privilégier que l’intérêt national. C’est tout naturellement que bloquée et enrouillée par ses conflits internes, la CEI n’a pu s’acquitter de son devoir : publier et annoncer aux ivoiriens les résultats des élections. La suite désastreuse est connue de tous. Notre pays a connu une crise poste électorale sans précédent dont il peine à se remettre. En lieu et place des bulletins, les ivoiriens ont plutôt compter les morts. Malgré toutes les campagnes de communication pour travestir la réalité ivoirienne, la vérité est que la Côte d’Ivoire est toujours à la recherche de son équilibre social ; notre pays peine à se remettre des conséquences de la crise postélectorale parce que la commission électorale dite indépendante n’a pas pu remplir son mandat.
Pour préserver la Côte d’Ivoire d’une autre crise postélectorale, je milite pour un organe électoral à équidistance des partis politiques. Je ne parle pas d’une CEI composée de représentants de partis politiques en nombre équilibrée. Oui, il nous faut une commission électorale véritablement indépendante et libérée de l’otage des intérêts privés des partis politiques. Que les partis politiques aillent convaincre le peuple de Côte d’Ivoire avec des projets de société fiables au lieu de chercher à contrôler l’organe chargé d’organiser les élections.
Contrairement à une certaine opinion malencontreusement rependue, je reste encore convaincu que des personnalités non encore politiquement encartées et honnêtes, crédibles, reconnues pour leur probité , leur impartialité et rompues aux questions électorales, notre pays en compte encore. A de telles personnalités, l’organisation des élections doit être confiée. Si la présence des partis politiques au sein de la CEI parait tant indispensable, leurs différents représentants pourraient alors bénéficier d’un statut d’observateur et non avoir une voix délibérative. Ce qui nous éviterait de gripper l’organe électoral. On ne confie pas à des joueurs l’arbitrage d’un match auquel eux-mêmes participent. D’ailleurs, je suis même surpris que l’opposition de 2010 qui pourtant s’était évertuée à contester systématiquement tous les organes électoraux, au motif qu’ils étaient dirigés par « les amis de Gbagbo », ne puissent prendre des mesures pour doter notre pays d’organes électoraux qui garantissent un scrutin libre et transparent, comme ils l’avaient eux-mêmes bruyamment réclamé et exigé pendant des années.
L’émergence ne cadre pas avec le tripatouillage électoral légalisé et la manipulation des institutions au gré de nos intérêts immédiats. L’émergence devrait être d’abord et avant tout un état d’esprit qui se traduit ensuite par la prise et le respect de mesures et de règles selon les normes internationales reconnues afin que les observateurs de la vie politique puissent prendre notre pays au sérieux. La responsabilité d’homme d’état requiert que nos dirigeants se départissent de leur clan politique pour, avec beaucoup de recul et de sagesse, mettre leur logiciel politique à jour, en dotant note pays d’institutions fortes et impersonnelles qui capables de résister au temps.
Un pays, ce n’est pas un gibier à partager entre amis ou entre les membres de groupements privés. Ainsi, pourrons nous mettre notre pays et ses braves populations à l’abri des sempiternels conflits postélectoraux et de la violence politique. Les générations futures nous seront reconnaissantes d’hériter d’un pays model avec des institutions modernes qui ne changent pas au gré des intérêt du parti au pouvoir.
Employons nous plutôt à faire compter notre pays au rang des nations démocratiques.
Faisons rêver notre peuple de nouveau.
Faisons de la politique pour donner de l’espoir à notre peuple, et non être ses fossoyeurs au nom de nos ambitions et de nos égos.
Apprenons de nos fautes et de nos erreurs pour bâtir le futur autrement.
Que Dieu nous inspire.
Fait à La Haye le 22 Février 2018
Charles Blé Goudé,
Homme politique en détention préventive à la CPI
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