FPI Côte-d’Ivoire: Le mariage de la carpe et du lapin entre Affi et Sangaré

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Les positions sont irréconciliables au FPI entre la tendance légale conduite par Pascal Affi N’Guessan et celle condamnée à une clandestinité tolérée dirigée par Sangaré Abou Drahamane. Si la première se dit victime d’un racisme appelé l’akanphobie, elle est accusée de traîtrise et d’infiltration par le Pouvoir par ses contradicteurs. Et le divorce est consommé. Les dissensions au Front populaire ivoirien (FPI, ancien parti au pouvoir) entre les deux tendances rivales qui se disputent le parti, font rage. Entre allégeance et défiance, le FPI s’est cassé en deux devant l’attitude à observer face au pouvoir Ouattara: d’un côté, «Gbagbo et Nous» conduit par Affi qui avait opté pour la collaboration avec le régime; de l’autre, «Gbagbo ou Rien» incarné par Sangaré Abou Drahamane qui a choisi la voie de la résistance et de l’insoumission.

«La politique, c’est l’art de l’impossible. Ce qu’on ne peut pas imaginer peut être la réalité», confiait Bédié à RFI, le 12 juin 2013 pour justifier la lune de miel aujourd’hui entre deux ennemis jurés, Alassane Ouattara et lui. Qui fument le calumet de la paix.

Au FPI, c’est le schéma inverse: le fiel entre Pascal Affi N’Guessan, président de la tendance légale, et Abou Drahamane Sangaré, président intérimaire de la tendance dissidente, corrompt toutes les velléités de réconciliation. Ses deux alliés sont aujourd’hui des ennemis jurés. Qui ont déterré la hache de guerre.

Le nouvel an 2018 est venu faire le deuil des furtifs espoirs de retrouvailles. La rupture est consommée. Affi et Sangaré sont désormais deux divorcés qui vivent, avec leurs partisans, sous le même toit politique dans deux chambres verrouillées.

D’abord, le bicéphalisme triomphant. Les deux tendances ont choisi la même date, le 27 janvier, pour célébrer le même événement, la présentation des vœux de nouvel an, aux mêmes heures mais en deux lieux différents aux deux présidents du parti: Laurent Gbagbo pour les «Gbagbo ou Rien» et Affi N’Guessan pour les «Gbagbo et Nous».

Ensuite, la guerre fratricide reprend du poil de la bête. Les hostilités ont à nouveau été ouvertes. «En 2014, alors que le FPI portait encore les douloureux stigmates de la guerre, ils sont venus pour tourner la page du Président Laurent Gbagbo, et livrer le parti comme un paquet-cadeau bien ficelé à Monsieur Ouattara pour en faire son accompagnateur servile et docile, son faire-valoir», a encore accusé Sangaré pour sceller définitivement le sort de Affi.

Ce dernier, pour cette raison, a été déclaré exclu du parti par le 3è Congrès extraordinaire du parti organisé, le 30 mars 2015 à Mama, village de Laurent Gbagbo, par ses dissidents qui n’entendent plus composer avec lui.

Pascal Affi N’Guessan ne décolère donc pas. Le 4 février à Divo, chef-lieu de la région du Lôh-Djiboua, il a dénoncé, selon une dépêche de l’1AIP, l’ingratitude qui ravagerait le FPI et dont il serait aujourd’hui victime alors qu’il affirme que son adhésion au FPI a permis la percée de cette formation politique dans le pays akan dont il est lui-même originaire.

«Je suis moi-même victime de l’ingratitude et je peux dire que je suis le symbole de l’Akan au FPI», a affirmé Affi pour expliquer son rejet en réveillant les vieux démons des rivalités entre les Bheté, ethnie de Laurent Gbagbo, et les Akan et faisant tousser la vérité.

Affi est, en effet, un Akan qui a assumé de hautes responsabilités pour le compte et au nom du FPI. Depuis le 2è Congrès extraordinaire (20, 21 et 22 juillet 2001), alors qu’il assumait aussi les fonctions de Premier ministre du Gouvernement (2000-2003) après avoir été directeur de campagne de Laurent Gbagbo pour la présidentielle d’octobre 3000, il est le président du FPI.

Il veut donc cacher le soleil avec la main. C’est lui qui a déclenché, le 4 juillet 2014, les graves dissensions qui secouent encore aujourd’hui le parti. Voulant renverser le rapport des forces qui était en sa défaveur à la veille du 4è Congrès ordinaire (11, 12, 13 et 14 décembre 2014), il a chamboulé le secrétariat général et mis le feu aux poudres.

De plus, en se désolidarisant des positions des instances du parti (boycott du RGPH et des élections, refus de siéger à la CEI, etc.), il a pris des décisions solitaires et unilatérales qui l’ont présenté comme un allié objectif du pouvoir Ouattara.

Mais cet argument tribal passe-partout est un vieux cheval de retour. Il avait fracturé le parti en 1996 entre ceux baptisés les «Akancrates» -Ahoua Don Mello, alors président du Comité de contrôle, et ses partisans qui contestaient la naissance d’un pouvoir sans partage – et les «Gbagbocrates» -Laurent Gbagbo et ses partisans dont Affi N’Guessan. Il est très développé parmi les partisans de Pascal Affi N’Guessan pour justifier les déconvenues et autres déboires politiques.

Le 12 décembre 2016, Jean Kouadio Bonin, SGA chargé de la Communication et du Marketing politique et coordonnateur général des élections législatives du 18 décembre 2016, a échangé avec la communauté bheté de Dimbokro, chef-lieu de la région du N’Zi-Comoé, pour fustiger le mot d’ordre de boycott du scrutin par la tendance Sangaré.

«Frères de l’Ouest, vous êtes les principaux animateurs de la fronde ici à Dimbokro, en pays baoulé. Cela me fend le cœur de constater qu’après tout le travail d’implantation du parti que nous avons abattu ici, ce soient vous, Bhété, qui aujourd’hui demandiez à des Baoulé de ne pas sortir pour voter les candidats du FPI. C’est le monde à l’envers», s’est-il désolé avant de poursuivre par le chantage: «Je ne sais pas ce qui se passe en pays bheté, mais sachez qu’à chaque fois qu’en pays baoulé vous dénigrez Affi, c’est un militant du FPI que vous jetez dans les bras du PDCI ou du RDR».

Or avec 186 candidats, Affi n’a eu que trois élus sur 255 sièges de députés à l’Assemblée nationale, soit 1,17%. Il a perdu la bataille de la légitimité, et toutes les grosses têtes de son écurie ont mordu la poussière, parce qu’elles ont perdu le soutien de l’électorat de leur région. De chez les Bheté jusque chez les Akyé en passant par les Dida, les Godié, les Wê et autres Gouro, c’est-à-dire dans les bastions traditionnels, ce fut la bérézina.

Enfin, le chacun pour soi revient au galop. Sangaré annonce le 4è Congrès ordinaire du parti les 3 et 4 août 2018 pour renouveler les instances et élire le nouveau président du parti. Initialement prévue les 11, 12, 13 et 14 décembre 2014, cette instance suprême a été ajournée sur ordonnance de référé de la justice ivoirienne. Pour Sangaré, cette grand-messe «devait annoncer et préparer l’action pour notre montée vers 2020, année de la reconquête du pouvoir d’Etat». Il annonce le boycott des élections locales de 2018 (municipales, régionales et sénatoriales) sans la réalisation de «deux combats indissociables» (un, élections justes et transparentes et deux, libération des prisonniers politiques, civils et militaires, et retour des Ivoiriens contraints à l’exil).

C’est l’arbre qui veut cacher la forêt. La tendance qu’il dirige n’est pas prête pour les batailles électorales. Depuis 2011, le mot d’ordre a été le boycott de toutes les consultations électorales (les deux présidentielles, les deux législatives, le référendum constitutionnel) et de toutes les opérations d’enrôlement (audiences foraines, recensement général de la population et de l’habitat). Les militants, non seulement ont perdu le réflexe du vote mais ne disposent pas, pour la plupart, de carte d’électeur.

Sans compter que des milliers de personnes sont encore en exil alors qu’après avoir bourlingué en contractant des alliances de fortune comme la Coalition nationale pour le changement (CNC), il flirte aujourd’hui avec Ensemble pour la souveraineté et la démocratie (EDS), une coalition politique qui n’est pas un foudre de guerre.

Mais Sangaré a le beau rôle. «La reconquête et l’exercice du pouvoir d’Etat que le Front Populaire Ivoirien s’est fixé comme principal objectif pour les deux ans à venir sont loin d’être une simple incantation rhétorique de démiurges en perte de crédibilité», a-t-il ajouté pour tourner en dérision Pascal Affi N’Guessan.

Les résultats électoraux du président légal du FPI font de lui une feuille morte: à la présidentielle du 25 octobre 2015, Affi a obtenu 290.780 voix, soit 9,29% des suffrages exprimés, loin derrière Alassane Ouattara, sorti vainqueur avec 2.618.229 voix sur 3.129.742 suffrages exprimés, soit 83,66% (pour une population électorale de 6.301.189 inscrits).

Affi vient d’être dribblé. Il avait programmé son 4è Congrès ordinaire d’abord les 7, 8 et 9 mai 2015 au Palais des Sports d’Abidjan-Treichville, ensuite les 11 et 12 août 2017, avant de l’ajourner officiellement pour laisser une chance à la paix des braves et aux retrouvailles. Échec et mat.

Mais Affi ne renonce pas à participer aux élections locales de 2018. Réalisant qu’avec sa plate-forme de l’Alliance des forces démocratiques (AFD) la défaite électorale est assurée, il est en quête de nouveaux alliés et fait feu de tout bois. Il formule les mêmes revendications politiques (reprise du découpage électoral, révision de la liste électorale, reforme de la CEI) que le PDCI-RDA (parti membre du RHDP, coalition au pouvoir).

Le 24 janvier, il a rencontré Aimé-Henri Konan Bédié, président du plus vieux parti de Côte d’Ivoire, à qui il fait une cour assidue. Celui qu’il appelait hier «pneu réchappé» est devenu la clé sésame ouvre-toi.

«Nous sommes venus présenter nos vœux au président Henri Konan Bédié qui, au-delà de nos spécificités politiques, représente pour chacun d’entre nous une référence, un acteur avec lequel nous avons compté hier, nous allons compter aujourd’hui et nous devons compter demain. Étant donné la place du président Henri Konan Bédié, il était bon que le FPI soit là pour lui dire bonne et heureuse année, et souhaiter que Dieu le garde, le fortifie, parce que la Côte d’Ivoire et les Ivoiriens ont encore besoin de lui pour construire la paix et la prospérité de ce pays», s’est-il incliné.
Affi offre un cadeau de nouvel an à Bédié: « Que Dieu le garde, le fortifie, parce que la Côte d’Ivoire et les Ivoiriens ont encore besoin de lui. »

Affi marche sur les traces de son intérimaire alors qu’il était en détention à Bouna, chef lieu de la région du Bounkouni, Sylvain Miaka Ouretto. Voulant profiter des brouilles au sein du RHDP entre le RDR et le PDCI-RDA pour semer la zizanie entre les deux poids lourds de l’alliance, Miaka avait interpellé directement et ouvertement, le 15 avril 2013, l’ancien parti unique et ses militants.

« Frères et sœurs du PDCI, il est encore temps de sauver la démocratie dans notre pays. (…) L’enjeu est clair et dépasse de très loin les frontières idéologiques (libéralisme et socialisme). C’est la survie de notre nation qui est en jeu. (…) Le moment du grand sursaut national est venu (…) Resserrons nos rangs pour faire barrage aux prédateurs. Rassemblons-nous, pour défendre la nation en péril. Nous n’avons que cette patrie, alors défendons-là ensemble, au risque de disparaître ensemble, quand l’on nous demande de vivre ensemble chez nous, sans nous».

Ce fut un prêche dans le désert; l’appel de Miaka étant tombé dans l’oreille de sourds. Et il n’est pas certain que Affi déplace les montagnes. Car à la différence de Miaka qui a été mandaté par le FPI pour prendre langue avec les instances du PDCI-RDA, Affi n’a effectué qu’une visite privée qui n’engage pas le parti.

De plus, après le jeu de l’entrisme qui lui vaut d’être marginalisé par ses dissidents, cette démarche politique d’Affi, assimilée à une compromission, contribue à agrandir le fossé entre les deux tendances.

Et le président légal du FPI ne se fait guère aucune illusion. «Si les militants de base et des sympathisants adhèrent de plus en plus au message de paix et d’unité du FPI, force est de reconnaître que certains responsables de la dissidence se montrent peu enthousiastes. Cette attitude contribue à fragiliser le parti qui a besoin de toutes ses ressources pour relever le défi de la reconquête du pouvoir en 2020», avoue-t-il dans son message de nouvel an 2018.

Dans cette hypothétique campagne de relégitimation dans laquelle il ne cesse de tendre, sans succès, la main aux «frondeurs» afin qu’ils rejoignent «la légalité» qu’il incarne, Affi sait que la partie est perdue. Mais il refuse de s’avouer vaincu.

FERRO M. Bally

Affi et Sangaré: Le mariage au FPI de la carpe et du lapin

 

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