Par Christophe Yahot
Pourquoi la pratique de la corruption est-elle si répandue dans certains pays, particulièrement ceux en apprentissage de la gestion moderne et démocratique comme les pays africains ? N’y a-t-il pas un lien entre leur pratique de la gouvernance et le phénomène de la corruption auquel se livrent les populations ?
Si elle est négativement perçue comme le moyen que l’on utilise pour obtenir certains avantages de quelqu’un, contre son gré ou contre son devoir, ce qui, à terme, conduit à la décadence et à la déliquescence de la société, comment comprendre ou expliquer ce phénomène ? Est-il lié à la propension humaine à choisir la voie de la facilité, ou faut-il regarder du côté du système (social) lui-même qui, d’une certaine manière, incite sournoisement les uns et les autres à cette pratique ?
L’évolution vers l’Etat moderne
Dans les sociétés anciennes, celles d’avant la révolution sociale moderne du XVIIIe siècle, les plus forts commandaient et profitaient simplement du travail des autres. Dans ces sociétés-là, il n’était pas besoin de corrompre. C’est donc à partir de la modernité, fondée théoriquement sur l’EGALITE en droit des humains d’une part, et sur la répartition juste et équitable des ressources d’autre part, que vient à naître la pratique de la corruption. Mais pourquoi la corruption survient là où l’on pensait avoir accompli un énorme progrès humain et social en sortant du système de l’exploitation féodale des uns par les autres ? Pourquoi ce paradoxe ?
Tout, dans le phénomène de la corruption, part semble-t-il de ce que, désormais, l’on n’est plus dans la relation du maître et de l’esclave, mais dans celle où des gouvernants (élus par le peuple) ont été choisis pour s’occuper du bien-être de tous et de chacun. Malheureusement, l’incapacité pour certains dirigeants, particulièrement africains, de bien maîtriser et conduire les modalités spécifiques de gestion des sociétés modernes, va être à l’origine de nombreux problèmes, notamment la corruption ?[1] Manifestement, le lien semble indéniable entre la mauvaise gouvernance, c’est-à-dire la non maîtrise ou le dévoiement des mécanismes de gestion moderne, et le développement de tous ces maux.
Qu’en est-il du bien commun ?
La révolution moderne, sur la base de l’égalité, de la solidarité et de la justice, a pour objectif de faire des biens communs et de la quête de l’intérêt général, notamment sous la forme des services publics, l’Alpha et l’Omega des nouvelles sociétés en construction. Le « Bien commun » n’est-il pas l’autre nom de l’Etat ? Le passage des sociétés anciennes aux nouvelles est à ce prix : tourner le dos à l’exploitation « naturelle » des plus faibles par les plus forts et promouvoir l’épanouissement de tous. Plusieurs mécanismes institutionnels ont donc été prévus à cet effet : la démocratie, qui implique une véritable séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire ; la liberté et l’égalité des citoyens ; la justice sociale en vue d’une bonne distribution des ressources à tous, etc.
Or, dans certains Etats, ces mécanismes ne fonctionnent pas correctement, parce que mal maîtrisés ou simplement détournés vers des fins occultes. Surviennent alors, comme des vices rédhibitoires, tous les maux que nous avons cités plus haut qui, en réalité, profitent à ces nouveaux maîtres des temps modernes.
La défaillance des Etats
En Afrique notamment, les maux en question ne font que refléter l’état de la gouvernance, c’est-à-dire sa défaillance. Si les mécanismes institutionnels fonctionnent bien, les citoyens peuvent s’épanouir dans la paix. Dans le cas contraire, c’est le retour à la loi de la jungle comme on peut le constater un peu partout sur le continent. En effet, le constat premier qui s’impose est la défaillance de nombreux Etats à accomplir leur mission d’utilité publique et de promotion de l’intérêt général.
La corruption, particulièrement, est souvent liée, dans de nombreux pays, à la défaillance de certains services publics : pénurie, dysfonctionnements divers, difficultés d’accès aux services proposés, etc. En effet, comment faire si un centre hospitalier reçoit cent (100) médicaments là où il en faudrait mille (1000) ? Comment faire si une structure prévue pour accueillir deux mille (2000) personnes en reçoit dix mille (10000) ? Comment faire si le fournisseur ou la société prestataire de l’Etat doit attendre deux ou trois ans au lieu de six mois avant de percevoir son dû ? Comment faire pour bénéficier d’un droit qu’on vous refuse ou qu’on vous rend inaccessible pour cause de dysfonctionnement ? Dans les démocraties évoluées, les vrais combats ne portent plus sur la corruption, le racket, le népotisme, les coups d’Etat, les modifications constitutionnelles pour s’accaparer le pouvoir, mais les vrais combats portent sur les abus de pouvoir, les abus de biens sociaux, la gabegie.
Comment sortir du désordre ?
La gabegie, qui renvoie à la fourberie, à la fraude, à la mauvaise gestion et au désordre généralisé, illustre parfaitement, à elle seule, la nature de ces Etats fraîchement sortis de l’ère coloniale et incapables de porter les idéaux de la noble révolution sociale des « Lumières ». C’est pourquoi, lorsque les gouvernants de ces Etats disent vouloir lutter contre la corruption, cela ne doit pas faire rire. Cela doit signifier une chose sérieuse : qu’ils veulent peut-être bien maîtriser, à leur propre niveau, tous les mécanismes de la bonne gouvernance propres aux sociétés modernes et les appliquer pour le bien-être de tous. C’est à ce niveau qu’il faut tuer le mal. Mais pour éviter que les déclarations restent purement cosmétiques et déclaratives, la société civile doit jouer son rôle qui consiste à surveiller attentivement le comportement de ses dirigeants. Sans cela, la corruption vivra encore très longtemps dans nos pays… Comme le soulignaient clairement les pères fondateurs des Etats Unis, une démocratie sans contre-pouvoir, qui se limiterait à des élections, s’apparenterait plus à une tyrannie.
CHRISTOPHE Yahot, Professeur Titulaire, Université Alassane Ouattara-Bouaké – Côte d’Ivoire.
Article publié en collaboration avec Libre Afrique.
« Dans les démocraties évoluées, les vrais combats ne portent plus sur la corruption, le racket, le népotisme, les coups d’Etat, les modifications constitutionnelles pour s’accaparer le pouvoir, mais les vrais combats portent sur les abus de pouvoir, les abus de biens sociaux, la gabegie.”
La situation est des plus critiques dans nos pays car les maux énumérés dans les pays développés y sont aussi omniprésents avec un facteur multiplicateur des plus élevés.
Pour les solutions, une participation de la société civile est certes nécessaire mais pas suffisante. Il faut un changement des mentalités en bonne et due forme. Nos mentalités serviles, claniques et tribuns qui encouragent et perpétuent cette solidarité dans le mal dans nos pays doivent cesser. Sans cela, la sortie du tunnel n’est pas pour demain.
Un kit médical d’opération ou un kit d’accouchement ayant une valeur de 30.000 (si mes infos sont justes), on peut donc considérer que voler l’Etat de ce montant équivaut à un meurtre, et ainsi donc, être fondés à le punir en conséquence. Au regard de la maigreur des moyens d’un Etat sous-développé comme le nôtre. J’en vois d’ici prendre de 100 à 1000 condamnations à mort… on tomberait dans le ridicule, à la limite.
Animal social, l’Humain, du fait d’être conscient, bâtit son univers, ses préférences, ses choix et ses envies autour du Moi, ce qui le rend par essence égoïste, avec cette forte et logique propension à consolider ses acquis des besoins primaires sur la durée (palier 2 de la pyramide de Maslow). C’est pour juguler cette propension somme toute naturelle que les Occidentaux et les pays démocratiquement avancés se sont dotés de tout un arsenal de contrôle et de répression, et non parce qu’ils nous sont supérieurs en quoi que ce soit physiologiquement. En l’absence cet arsenal (dont la connaissance remonte à l’éducation de base s’adossant à la notion forte d’intérêt commun), la propension à la prééminence de l’ego au centre de tout intérêt s’exprime, comme cela se voit chez nous, les instruments de contrôle et de répression ne fonctionnant pas. Alors évidemment, nous semblons pré-programmés pour être à la fois corrompus, corrupteurs, et soutiens actifs à la corruption. Les faits qui devraient nous faire réfléchir sur le 3ème volet, celui de l’acceptation sociale du fait de corruption et agissant comme soutiens actifs au système :
1. Pourquoi un ministre, à sa nomination, est-il fêté dans son village, dans sa région ? En quoi sa nomination nous concerne t-elle, si nous n’avons pas l’intention de tirer profit de la proximité ethnique, régionale, religieuse, politique, etc ?
2. Quand un ministre officiellement payé à maxi 5,5 millions se retrouve en tain de payer factures, scolarité et frais médicaux de toute une région, n’est-ce pas une incitation populaire à puiser dans le canari au profit exclusif et égoïste de sa tribu ? Quand on entend dire de ceux qui ne l’ont pas fait qu’ils « sont méchants », n’aboudons-nous pas le système ?
3. Pourquoi moquer des personnalités telles Dion Sadia et Kouassi Apété, retournés servir au sein de cabinets ministériels après avoir été eux-même ministre ? Ou Ahoussou retourné ministre sans portefeuille après avoir été Premier Ministre ? Une caution implicite à pomper le maximum de fric afin d’assurer ses vieux jours, afin de n’être plus jamais obligé de travailler ou de servir à un poste considéré comme « subalterne ».
4. Pourquoi accepter que des concours d’accès à l’ENA, à la police, à la gendarmerie et même au corps des instituteurs fassent l’objet de paiements à des taux forts, si ce n’est adouber le fait que l’heureux « admis » s’adonne à la corruption, ne serait-ce que pour rembourser le coût de sont investissement – ne parlons même pas du péché originel de ladite admission ?
5. Pourquoi mal vivre le fait qu’un travailleur ayant de la visibilité (présentateur TV par exemple) emprunte un véhicule de transport en commun pour se rendre à son travail ? N’est-ce pas l’inciter, par les railleries, à se vendre ou vendre ce qui ne lui appartient pas pour assumer le statut auquel nous le positionnons ?
Sur les faits explicatifs et justificatifs de la corruption endémique chez nous, il faut aussi se poser certaines autres questions :
1. Quand le fonctionnaire ayant trimé des années est assuré à 90% de ne pouvoir mettre un toit sur la tête de ses rejetons, que doit-il faire ?
2. Quand le citoyen moyen sait qu’il peut à tout moment perdre son père, sa mère, ses enfants,… dans un hôpital-mourroir faute d’argent pour accéder à la Pisam, à Hôtel Dieu, à Avicenne ou à l’Indenié, seuls gages de survie, qu’est-il sensé faire pour protéger ses proches ?
3. Quand le salaire moyen du travailleur ne lui donne pas de choix autre que d’aller habiter une maison glauque et insalubre à Abobo, commune dont l’on ne se souvient qu’à l’approche d’échéances électorales, qu’est-il sensé faire puisqu’il aspire à mieux, en sus de la considération et de la reconnaissance sociale ?
4. Quand l’ouverture du paysage audiovisuel et de l’internet donnent à voir continuellement une société de nouvelles normes sociales (de consommation, d’habitat, d’éducation, d’habillement, etc) dans le village planétaire, « qui va se négliger » comme on dit à Abidjan ? La personne exposée à ces modèles ne va-t-elle pas chercher les moyens d’accéder elle aussi à ce modèle consumériste ?
Les plaies sont en nous et il n’existe que 2 moyens, suivant en cela ceux que nous avons l’ambition de rattraper : l’inculcation de la notion d’intérêt commun, et le corset légal de contrôle et de répression. La presse a un rôle important à jouer à ce niveau et chercher par tous artifices à la museler participe de l’envie d’échapper au contrôle et à la répression. Donc corrompre et détourner en roues libres.
Et je suis Mort De Rire quand je vois ces campagnes de communication « halte à la corruption ». Aïe ! et moi qui ai donné 5.000 pour accélérer un dossier administratif. Au secours maman, je suis mort de peur 🙂
Vraiment « grimporte quoi » comme on le disait il y a qq années.
Alors là cher frérot @COIGNY vous êtes un bon corrupteur.(LOL)
À défaut de laisser ce rôle de dénonciation aux journalistes portant une muselière (car eux même très corrompus)et non muselés,chaque citoyen devrait être capable de dire Non (acte citoyen et civique).
Souvent à l’impossible nul n’est tenu n’est-ce pas ou si vous le voulez :on va faire comment ?
À chacun sa lorgnette !!!
@quoi,
« chaque citoyen devrait être capable de dire Non (acte citoyen et civique) ». Soutien à 100%. Oui, nous sommes dans notre mode de pensée, et en raison de l’environnement très permissif, je dirais limite « conditionnés » à accepter la corruption, en l’absence des 2 éléments évoqués plus haut. Quand des villageois ou des policiers après Takoradis mettent des branchages en travers de la route, c’est hilare que je leurs sors un pack-carton de vin pour passer mon chemin, n’ayant ni le temps, ni l’énergie pour parlementer en Pidgin avec eux. Parce que le « contexte » (bel euphémisme ivoirien pour justifier la corruption) le permet et y est favorable. Ce que je ne me permettrais jamais enEurope, sachant le risque auquel je m’expose. Il y a un ensemble de petits anachronismes auxquels nous donnons notre caution de façon implicite ou explicite, favorisant « le contexte » :
– fêter les ministres nommés,
– organiser des journées d’hommage*,
– etc.
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*La région de la Mé a organisé une cérémonie grandiose d’hommage et de reconnaissance à Alassane Ouattara. Tant mieux diriez-vous ? Sauf qu’il n’était pas remercié pour le développement d’infrastructures dans la région, mais pour la nomination Patrick Achi au poste de SG de la Présidence. La personnalité au cœur de l’organisation de cette cérémonie « d’hommage et de reconnaissance » ? Je vous le donne en mille.