Barbara Yoxon
La transition du Kenya vers une démocratie multipartite en 1991 a été l’un des cas les plus prometteurs de changement politique en Afrique. Avant cela, le Parti de l’Union Nationale du Kenya (KANU) avait monopolisé le pouvoir depuis la mise hors la loi de l’opposition politique en 1982. Le passage d’un État à parti unique à un État multipartis était un événement vraiment important.
Le KANU a fait face à son premier véritable défi depuis l’indépendance lors des élections présidentielles multipartites tenues en 1992. Mais le parti n’a pas perdu son emprise sur le pouvoir jusqu’à ce que le président Daniel arap Moi perde le leadership face à Mwai Kibaki aux élections de 2002. Les élections présidentielles suivantes de 2007 ont été marquées par des violences politiques au cours desquelles plus de 1 500 personnes ont été tuées à la suite de réclamations selon lesquelles les deux principaux candidats auraient manipulé les résultats.
Malgré cette histoire d’instabilité politique, la nouvelle direction démocratique du pays a été apparemment confirmée lorsque la Cour suprême du Kenya a annulé les résultats des élections du 8 août 2017. Dans une décision historique pour l’Afrique, elle a appelé à la réorganisation de l’élection présidentielle. Au départ, plusieurs ont loué la décision de la cour pour avoir défendu la démocratie. Mais des semaines plus tard, la même cour a confirmé la deuxième victoire de Kenyatta. Un porte-parole de la coalition de l’opposition a suggéré que des membres de la Cour suprême avaient été intimidés.
La tournure des événements en faveur du président Kenyatta n’est pas surprenante. Le processus des élections libres n’a jamais été conçu pour aider le pays à se démocratiser. Cela fait écho aux événements dans d’autres pays, qui semblent être en transition tels que le Zimbabwe ou le Sénégal. Par ailleurs, le processus d’ouverture du système politique n’aurait jamais pu, en lui-même, être le garant de la démocratie. Ce fut le cas en Ukraine, où peu après la chute de l’Union soviétique, les élections auraient dû déboucher sur un processus de démocratisation similaire à celui de la Pologne en 1989. Mais, la démocratie n’a jamais pris racine en Ukraine. Au contraire, celle-ci a plongé plus profondément dans l’autoritarisme. Dans le cas du Kenya, les élections ont été utilisées pour renforcer la légitimité d’un régime autocratique. Alors que le Kenya organise des élections libres et régulières, les élites politiques intimident régulièrement l’opposition politique ainsi que les journalistes et le pouvoir judiciaire. Cela fausse effectivement les résultats de chaque élection en faveur du gouvernement.
La démocratie, c’est plus que des élections
Des recherches récentes sur les pays en transition ont examiné la façon dont ils ont organisé des élections multipartites régulières au niveau national, tout en violant les normes démocratiques minimales. Ces recherches montrent que depuis la fin de la guerre froide, des pays comme le Kenya, la Turquie, l’Ukraine et le Zimbabwe ont versé dans la forme la plus courante de domination non démocratique. En tant qu’Etats multipartites, ils ont combiné des éléments de démocratie et d’autocratie. Leurs dirigeants ont appris à utiliser des élections multipartites libres en leur faveur. L’histoire du Kenya rappelle que les régimes autoritaires – même ceux qui ressemblent à des démocraties – ne devraient pas disparaître de sitôt.
Les définitions de la démocratie varient. Mais la plupart des spécialistes s’accordent à dire que pour achever leurs transitions, les pays, y compris le Kenya, devraient satisfaire à un certain nombre de critères. Ceux-ci comprennent des élections libres et équitables, le suffrage universel, la liberté de la presse, la liberté d’expression et d’association, et un exécutif libre de toute influence extérieure. Ce dernier point indique qu’aucune organisation militaire, religieuse ou civile dans le pays ne puisse passer outre les décisions d’un exécutif élu.
Quid de la démocratie du Kenya
Alors que le Kenya répond certainement à plusieurs de ces critères, le pays ne remplit pas les conditions sur au moins deux points. Le premier est l’élection juste. Le pays organise régulièrement des élections libres depuis 1991 et permet à un certain nombre de partis politiques de participer, mais les élections ne peuvent être qualifiées d’équitables.
Un récent rapport d’Amnesty International a condamné le Kenya pour avoir systématiquement visé l’opposition politique dans le but de la dissuader de contester les actions et décisions du gouvernement. Cela inclut des arrestations arbitraires et même des assassinats par la police lors des élections de 2017. Ces règles du jeu inégales peuvent entraîner des élections injustes.
Le deuxième critère auquel le Kenya ne satisfait pas est la liberté de la presse, d’expression et d’association. Pour qu’un pays soit démocratique, il devrait autoriser ces libertés politiques fondamentales à ses citoyens et à ses institutions. Cela n’a pas été le cas au Kenya. Par exemple, la Fédération internationale des journalistes a récemment rapporté que les journalistes étaient régulièrement harcelés et intimidés par la police et les partisans des partis politiques lors des élections de 2017. Rajoutons à cela que le garde du corps de l’un des juges a été abattu un jour avant la décision du tribunal sur une motion visant à reporter la réorganisation du scrutin.
En raison de ces graves lacunes, le Kenya ne peut pas être considérée comme une démocratie. Les règles du jeu demeurent inégales malgré les changements constitutionnels majeurs visant à garantir un pouvoir judiciaire indépendant et à établir une séparation des pouvoirs au sein du gouvernement.
Le problème avec les élections
Il y a eu des exemples dans de nombreux pays, tels que la Pologne en 1989 ou l’Afrique du Sud en 1994, où les élections ont aidé à réussir leur transition. Mais les élections, même libres et ouvertes, ne signifient pas toujours que le pays est plus démocratique. Il y a eu des cas où elles ont été utilisées pour aider les politiciens à rester au pouvoir comme cela s’est produit en Ukraine, en Turquie et à Singapour.
L’élite dirigeante du Kenya a également appris à détourner les élections à son avantage. Au lieu d’affaiblir l’emprise de l’élite sur le pouvoir, les élections pourraient en fait les rendre plus forts. Compte tenu de cette situation et des événements récents, il est difficile de savoir si le Kenya achèvera sa transition vers la démocratie ou pas.
Barbara Yoxon, cherceure associée en politique, Université de York – Article initialement publié par The Conversation et African Liberty – Traduction réalisée par Libre Afrique. Titre de Libre Afrique.
Article publié en collaboration avec Libre Afrique.
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