Reportage: Une terre trop convoitée dans l’ouest de la Côte-d’Ivoire

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AFP PHOTO / Sia KAMBOU / TO GO WITH AFP STORY BY Patrick FORT

Dans cette région productrice de cacao, première source de richesse du pays, les tensions sont avivées par les rivalités foncières et l’absence de justice.

Par Haby Niakaté (Guiglo, Côte d’Ivoire, envoyée spéciale) LE MONDE Le 07.12.2017

C’est l’histoire d’un conflit sans fin, où se forgent et se lisent les lignes de fracture de la société ivoirienne. Il se déroule dans l’ouest du pays, à près de 500 km de la capitale économique, Abidjan. Une nouvelle série d’affrontements, entre mi-septembre et début novembre, a fait craindre le pire une fois de plus. Bilan officiel, selon les autorités locales : onze morts. Bilan officieux, selon les acteurs de la société civile : seize morts. Quant aux nombres de blessés, de viols et de déplacés, ils donnent lieu à d’interminables querelles de chiffres.

C’est sur l’« axe » traversant la région du Cavally, autrement dit, la route principale reliant Guiglo et Bloléquin, que se mesurent les haines recuites et les rancœurs nouvelles. Entre les grandes villes de la zone, une vingtaine de villages. Au sud attenant, l’une des 231 forêts classées de Côte d’Ivoire, la forêt du Goin-Débé. Une étendue de 133 000 hectares appartenant au domaine privé de l’Etat, « dégradée à 90 % » selon les termes mêmes du ministre ivoirien des eaux et forêts, Alain-Richard Donwahi. « Dégradée », c’est-à-dire composée de plantations. Riz, fruits et légumes, café, hévéa mais, surtout, cacao. Un véritable or vert au cœur de toutes les convoitises.

De la méfiance aux affrontements

A Ziglo, un village planté au milieu du fameux axe, il est 16 heures, et pour le chef du village et quelques proches, le goûter se compose uniquement de koutoukou, l’alcool local. Taciturne, le vieux chef ne souhaite pas s’exprimer, en appelle aux jeunes du village, plus prolixes. « Cette terre et ses forêts sont celles de nos aïeux, celles du peuple Wê », déclare l’un d’eux, en prenant soin de taire son nom.

Le jeune homme continue : « Depuis des décennies, et par vagues, les Baoulé [autre importante communauté ivoirienne] et les Burkinabés s’installent illégalement dans la forêt classée du Goin-Débé pour y cultiver du cacao et l’Etat ne fait rien. Alors que nous, nous respectons la loi et avons, depuis longtemps, déserté les forêts classées. Il y a quelques mois, nous nous sommes donc organisés pour aller récupérer nos terres. Nous aussi nous voulons travailler notre terre, profiter de ses fruits. » Leur « organisation », l’Alliance des jeunes Wê a été créée en avril et son opération de récupération des terres a été lancée trois mois plus tard.

Le problème, c’est qu’en débarquant à ce moment-là dans la forêt, les jeunes Wê y ont trouvé des Baoulé et des Burkinabés n’ayant aucune intention de s’en aller. Les premiers jours les membres des diverses communautés se sont regardés avec méfiance. Puis est venu le temps des menaces, de part et d’autre, et finalement, celui des premiers affrontements. « Comment peut-on déloger des planteurs qui ont travaillé des années sur leurs parcelles et sont en attente d’en récolter les fruits ? On ne peut pas l’accepter ! », explique Nanan Mea Akessé, un chef de la communauté Baoulé.

Qui a commencé ? Qui a fait quoi ? Qui possède quoi en réalité dans cette forêt régie par un code forestier qui impose à chaque planteur d’obtenir une autorisation officielle avant de commencer toute activité agricole ? Les versions sont diamétralement opposées. Et même si chacun s’estime dans son bon droit, les documents officiels eux, sont aussi rares que sont nombreuses les anecdotes sur les pots-de-vin versés aux agents de la Société de développement des forêts de Côte d’Ivoire (Sodefor), qui gère les forêts classées, et aux chefs coutumiers locaux.

Un scénario de conflit « communautaro-foncier » typique en Côte d’Ivoire.

En effet, dans ce pays, où le cacao a été choisi comme moteur de l’économie depuis l’indépendance, et qui en est aujourd’hui le premier producteur mondial, la propriété des terres a toujours été un sujet explosif. Dans les années 1960 et 1970, le premier président ivoirien, Félix-Houphouët Boigny, encouragea l’installation de planteurs étrangers dans le pays, et de planteurs ivoiriens dans des régions dont ils ne sont pas forcément originaires. « La terre appartient à celui qui la met en valeur », déclarait-il. En plein « miracle ivoirien », toute main-d’œuvre, quelle que soit son origine, était la bienvenue.

Mais la chute des cours mondiaux de cacao, au milieu des années 1980 et, surtout, la mort de Houphouët-Boigny en 1993, change la donne. La guerre de succession qui s’ensuivit, ainsi que l’émergence et l’instrumentalisation du concept d’« ivoirité » établissant une césure entre « autochtones » et « allogènes » opposent les communautés. En 1999, une nouvelle loi foncière interdit l’accès à la propriété aux étrangers. Cette même année, à Tabou, à l’extrême-ouest du pays, près de 15 000 Burkinabés sont chassés des plantations et des villages. Car c’est à l’ouest, plus qu’ailleurs, que très vite, les tensions s’exacerbent. Tout d’abord, à cause des conséquences de la guerre civile (1989-2003) au Liberia voisin qui amène réfugiés et mercenaires dans la zone, puis de la décennie de crise politico-militaire ivoirienne de 2002-2011 où rebelles et forces gouvernementales commettent leur lot d’exactions.

« Des frustrations pas évacuées »

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