Basile Téhy, cadre Wê, résidant à paris.
Ancien candidat malheureux aux législatives 2017 à Bagohouo
Les faits
Depuis le mois d’août 2017, un conflit oppose, communautés Wê et Baoulé logées dans la forêt classée de Goin-Debé (Guiglo). La première accuse la seconde de l’avoir expropriée de ses terres cultivables. Le litige concerne une superficie de 9000 ha. Le 2 octobre, les affrontements ont obligé les deux communautés à fuir leurs campements pour se réfugier à Guiglo ville et ses environs non sans causer de victimes : 2 morts. Suite à l’intervention des élus Wê et des autorités administratives, une trêve d’un mois avait été conclue. Mais elle ne sera pas respectée. Le 12 octobre dernier, une tentative des Baoulés de regagner leurs campements a échoué. Finalement, il faudra attendre le 16 octobre pour voir les deux communautés regagner leurs lieux d’installation. Un convoi d’une vingtaine de véhicules pour les Baoulé a pris le chemin du retour vers les campements (Princekro, Guizokro, Porkro, etc), tandis que les Wê avaient 4 mini-car pour Canaan. Malheureusement ce voyage du retour sera de courte durée.
Les 19 et 20 octobre 2017, de nouveaux affrontements ont opposé les communautés Wê et Baoulé installées dans la forêt classée de Goin Débé, qui se sont poursuivis à la Préfecture de Guiglo où étaient réfugiés plusieurs déplacés. Des affrontements similaires ont eu lieu dans la Sous-préfecture de Zéaglo, dans le Département de Bloléquin. Le bilan à ce jour des affrontements s’établit comme suit :
− 07 morts, dont deux (02) enregistrés le 02 octobre 2017, quatre (04) le 20 octobre 2017 et un (01) corps retrouvé le 21 octobre 2017 ;− 28 personnes blessées dont un Gendarme ;− 02 cas de viol ;− 04 campements incendiés et pillés ;− 18 écoles primaires fermées et pillées ; − 806 personnes déplacées.
La réaction de l’État de Côte d’Ivoire
« Face à cette situation, plusieurs missions des hautes autorités civiles et militaires ont été dépêchées dans la région en vue d’apporter une assistance, le réconfort du Gouvernement aux victimes, et de créer les conditions du retour à une paix durable. En outre, le Conseil a instruit le Garde des Sceaux, ministre de la justice, à l’effet d’enquêter et de situer les responsabilités relativement aux cas de décès enregistrés », dit le communiqué du conseil de ministre du 25 octobre 2017.
Mon avis
Il faut noter qu’aucune enquête n’a abouti avec la condamnation des mis en cause, surtout quand il s’agit du conflit foncier en Côte d’Ivoire. Les souvenirs du Mont Péko sont encore récents. Il est aussi superflu de croire qu’un détachement militaire à l’Ouest peut résoudre ce conflit qui ne date pas d’aujourd’hui, et auquel aucun régime ivoirien n’a pu apporter de véritable solution.
Origine des conflits interethniques à l’Ouest
Les premières populations étrangères qui se sont installées dans le pays Wè sont des citoyens du Burkina Faso et de la Guinée Conakry, dont certains y arrivèrent peu avant et après l’indépendance du pays. Il faudra attendre les années 80 pour voir l’arrivée massive de déguerpis ivoiriens de la vallée du Bandama, suite aux travaux de construction du barrage hydroélectrique de Kossou, au centre du pays. Ces arrivants ayant été dotés de moyens financiers conséquents pour leur réinsertion dans le tissu économique ; ils s’achetèrent à des prix modiques de grandes superficies de forêt entre des mains de pauvres paysans, peu soucieux de la préservation de leur unique patrimoine. Au fil des années, les allogènes prirent de l’ascendance tant numériquement que financièrement sur les autochtones ruraux.
[ Une autre solution aurait pu être proposée, à savoir que les terres avoisinant le barrage de Kossou fussent mises en valeur, grâce à l’irrigation facilitée par la rétention d’eau ]
Dès lors, on nota un frémissement dans les relations intercommunautaires que les autorités n’avaient pas pu circonscrire à temps. La cohabitation devint de plus en plus difficile du fait du rétrécissement des surfaces disponibles et exploitables. D’autant que les allogènes Baoulé concernés par ces acquisitions de terre appartenaient à l’ethnie gouvernante du pays, selon la sociologie politique du moment ! Ce qui a ouvert l’ère des revendications relatives aux droits de propriété sur des parcelles forestières, en l’absence d’un droit foncier rural assez lisible. Des conflits en naquirent et mirent à mal l’harmonie sociale. Dès lors, il faudra trouver une réponse à des questions de principes suivantes :
– a. Au nom de quel droit une communauté donnée peut-elle déshériter et vouloir anéantir une autre?
– b. Pourquoi une communauté établie depuis deux à trois décennies sur un espace en plein accord avec des propriétaires terriens, peut-elle en être dépossédée sans dédommagement?
– c. Quel modus vivendi est-il envisageable pour revenir à la situation antérieure de paix et de cohésion sociale avérée?
Ma proposition : Revenir au droit foncier coutumier
Pour nous, la situation de conflit observée actuellement à Guiglo est certes grave mais pas désespérée. En effet, il est indéniable que les différents protagonistes tiennent tous à sauvegarder leurs acquis et à vouloir les pérenniser. Cependant, chaque communauté ayant déjà fait sienne propre, l’amère expérience de la haine et des tueries subséquentes, il conviendrait de les sensibiliser, de les persuader, de payer maintenant le prix de la paix et de l’harmonie sociale. Aussi, face à un manque de clarté dans les dispositions de la loi sur le foncier rural de 1998, il serait bon que le législateur ivoirien, revienne sur l’ancien code foncier rural. « Art.5.- La propriété d’une terre du Domaine Foncier Rural se transmet par achat, succession, donation entre vifs ou testamentaire ou par l’effet d’une obligation ».
La solution idoine en la matière doit s’inspirer de ce qui se fait dans les autres régions du pays selon le code coutumier, où le foncier rural a un statut de bien en indivision car la terre s’y acquérant par héritage « …transmission par donation entre vifs ou testamentaire ou par l’effet d’une obligation » intra familial ou du même groupe social. Elle en devient de droit inaliénable (incessible sans le consentement unanime des propriétaires du bien indivisible).
Cependant, on peut imaginer une proposition respectueuse d’un droit de transmission par achat dès lors qu’il n’y a pas de « vente forcée », dole, et/ou corruption avérée du fonctionnaire habilité à attester de la transparence de la transaction, en envisageant une indemnisation de l’acheteur supposé qui soit partielle et inférieure ou égale aux deux tiers (2/3) de la somme payée avec preuve à l’appuis d’un versement de liquidité ou par tout autre moyen de paiement. Cette indemnisation partielle peut être assortie d’un titre de « métayage» égal au tiers du temps de jouissance depuis l’acquisition des terres et notamment lors que l’acquéreur n’a pas contracté de mariage avec une autochtone. Dans le cas où l’acquéreur réel ou présumé a contracté un mariage le contrat de métayage peut être perpétuel assorti d’une période de sureté de 20 ans renouvelable, par reconduction tacite.
En effet, plus les conditions de vie sont exécrables du fait de l’injustice socioéconomique, plus la haine de l’autre, notamment celle de l’étranger, se développe et moins forte est la probabilité de dissuader de toute propension vengeresse.
Il faut souligner que la corruption des fonctionnaires a joué un rôle néfaste dans le développement des conflits fonciers à l’ouest. En ne vérifiant pas assez rigoureusement les titres de propriété des vendeurs de parcelles de terre ou en subordonnant la certification de la transaction au versement occulte de commissions celle-ci a accru d’autant la responsabilité de l’Etat central qui semblait avoir, pourtant, pris les dispositions nécessaires : « Art.6.- Les terres qui n’ont pas de maître appartiennent à l’Etat et sont gérées suivant les dispositions de l’article 21 ci-après. Ces terres sont immatriculées, aux frais du locataire ou de l’acheteur. En outre les terres objet d’une succession ouverte depuis plus de trois ans non réclamées, sont considérées comme sans maître ».
Il faut en déduire la nécessité d’un signal fort de l’exécutif c’est à dire que gouvernement de Côte d’Ivoire se sente investi de la responsabilité de la prise en charge du processus d’indemnisation des occupants, sans titre de propriété voire aider les propriétaires autochtones pour qu’ils mettent, y compris collectivement, en valeur leurs terres. Parce qu’en se référant au domaine coutumier du foncier rural, le législateur légalise d’autant l’interprétation de la coutume en érigeant celle-ci au rang du droit issu du processus législatif.
Ce faisant le peuple Wê qui a payé un lourd tribut depuis le déclenchement de cette guerre de 2002 à nos jours est de droit d’être assuré de l’effectivité de la solidarité nationale puisque la coutume qui prône le partage a été reconnue comme une source du droit ivoirien.
La seconde approche de la restauration de la justice en matière de droit foncier rural consiste à mobiliser à des fins d’exploitation collective les terres qui font l’objet de plainte pour occupation illégale, parce que les usufruitiers coutumiers ou de fait ne sont pas en mesure de produire ou d’acquérir des Certificats Fonciers en vue de l’immatriculation ou ceux dont les nu-propriétaires ont péri dans la guerre. On pourrait y installer des coopératives agricoles spécialisées dans le vivrier, le maraîcher et les agrumes dont seront bénéficiaires des autochtones et des allogènes jeunes ou adultes sans terre et réfugiés en ville dans des camps de fortune, dans le cadre de la mise en œuvre de la politique de reconstruction post crise de l’économie nationale. L’enjeu d’une solution juste se mesure à l’aune de la spéculation sur les terres arables exercées par le capital financier international soit pour promouvoir l’agro-business en termes de production des biocarburants soit pour cultiver des produits vivriers et du bétail destinés à l’exportation qui ne profiteront pas aux plus pauvres.
Il faut impérativement sensibiliser les allogènes qu’ils doivent apprendre à revivre ensemble avec leurs hôtes, les autochtones, en bonne intelligence. Il s’agit de faire en sorte que la réhabilitation des autochtones dans leurs droits ne se fasse pas au détriment de ceux des allogènes et vice versa, de sorte à sauvegarder un modus vivendi qui préserve les intérêts des uns et des autres en favorisant le brassage des cultures, des ethnies et des races. Ce qui consolidera la communauté de destin et la communauté d’intérêt. Enfin, il est impératif qu’une mission parlementaire composée des élus Wê et baoulé conjointement, se rende à l’ouest pour une tournée d’explication de toutes ces dispositions du code foncier rural, mais aussi peser de tout leur poids pour le retour de la paix entre ces deux communautés mais également entre Wê et le reste des communautés étrangères installées à l’ouest.
Paris le 1er novembre 2017.
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