« Démocratie en Afrique » Où est la sortie du tunnel ou de l’auberge ?

Jean Larin, président de l’Institut pour le développement de la démocratie et des médias (Iddm) croit, et c’est une tautologie, aux vertus de la démocratie. Appelé à se prononcer en mai 1996 aux Journées pour la liberté de la presse en Côte d’Ivoire, sur le concept de la «Démocratie apaisée» dont le président Bédié faisait la promotion sous son mandat, il a exprimé son étonnement dans sa contribution.
«Je vais ici peut-être vous étonner, mais je crois que les conflits en démocratie constituent la normalité. J’irai même plus loin. Je dirais que s’il n’y avait plus aucune possibilité de conflit dans une démocratie, cette dernière serait alors ou bien moribonde ou elle ne serait carrément plus une démocratie. Aussi, peut-on même affirmer que la démocratie ne cherche pas à taire ou à nier les conflits qui existent dans la société; au contraire, elle cherche à les révéler (presse), à les organiser (partis politiques) à les ritualiser (élections, échanges dans les assemblées nationales). Tout cela de façon à trouver des solutions à ces conflits, des solutions qui sont en fait des compromis entre les contre-pouvoirs».

Jean Larin s’est certainement trompé de continent. Tout n’est pas aussi simple que cela chez nous. La démocratie en Afrique noire est toxique. Comme un liquide inflammable, elle met le feu aux poudres. Et au lieu de réguler et résoudre les conflits, elle les exacerbe et les envenime.

Depuis le 19 août 2017, le Togo est à feu et à sang. Ce petit pas de l’Afrique de l’Ouest est dirigé depuis 2005 par Faure Gnassingbé. La démocratie ici porte le nom de dynastie. Car père Gnassingbé Eyadéma a présidé aux destinées du Togo du 14 avril 1967, suite à un coup d’État, au 5 février 2005, quand il a rendu l’âme à bord de l’avion présidentiel qui l’évacuait pour des soins vers la France.
Et c’est son fils qui a pris le flambeau. La limitation de mandat a été abolie et depuis 2005, il en est à son troisième mandat censé prendre fin en 2020. Cerise sur le gâteau, il est depuis le 5 juin 2017, le président en exercice de la CEDEAO, l’organisation sous-régionale. Alors, l’Opposition est dans la rue, maintenant la pression pour obtenir le retour à la Constitution de 1992, le vote de la diaspora et l’alternance politique.

Les affrontements avec les forces de l’ordre ont déjà fait des centaines de morts. Et la CEDEAO reste muette. Qui ne dit mot consent?

Au Kenya, le chaos se profile à l’horizon. La démocratie a la couleur de l’anarchie dans ce grand pays de l’Afrique de l’Est. Le 1er septembre 2017, sur saisine de Raila Odinga, malheureux candidat à la présidentielle du 8 août qui accusait son adversaire Uhuru Kenyatta, le président sortant, de fraudes, notamment informatique avec la complicité de la Commission électorale (IEBC), la Cour suprême a annulé le scrutin, ordonnant la tenue d’une nouvelle élection.

Celle-ci programmée au départ le 17 octobre, selon les dispositions constitutionnelles a été repoussée au 26 octobre 2017 mais Odinga fait la fine bouche. Il s’est retiré de la compétition électorale qui devait initialement l’opposer uniquement au président sortant.

Évoluant loin des règles électorales, il a estimé que son retrait devait impliquer deux choses non négociables: l’élection du 26 octobre doit être «annulée» pour l’organisation, à une date ultérieure, d’un nouveau processus électoral, et la refonte de la Commission électorale.

Le pouvoir a opposé une fin de non recevoir à ces requêtes. Et c’est le branle-bas. La Commission électorale, sur saisine d’un des candidats, a autorisé les huit candidats du scrutin invalidé, s’ils le souhaitent, à solliciter à nouveau le suffrage des électeurs.

De plus, des règles du jeu sont changées en plein match. Car des ajustements ont été apportés à la loi électorale: retour au scrutin manuel car les résultats enregistrés manuellement priment sur ceux envoyés électroniquement, le président de la commission électorale peut être remplacé en cas d’absence par son vice-président, etc.

De son côté, l’Opposition est sur le pied de guerre. Elle a lancé ses partisans qui occupent les rues de plusieurs villes dont Nairobi et Mombasa (photo). Et les affrontements avec les forces de l’ordre occasionnent des dizaines de morts. «Les manifestations vont se poursuivre et, le 26, ce seront les plus grandes manifestations, dans l’ensemble du pays», a déclaré le 18 octobre Odinga, devant plusieurs milliers de personnes qui assistaient à un meeting dans la capitale kényane.

C’est le bras de fer. Comme chez nous en Côte d’Ivoire. Les alliés du RDR (au pouvoir) sont à couteaux tirés et se regardent en chiens de faïence. Ils sont rangés les uns derrière Alassane Ouattara; les autres derrière Soro Kigbafori Guillaume en deux blocs antagonistes, prêts à en découdre.

Malgré le coup de fil du chef de l’État à «Vladimir» Soro, qui se trouve à Saint Petersburg aux assises de l’Union interparlementaire (13 au 20 octobre 2017), malgré le discours d’apaisement de Kandia-Camara Kamissoko, secrétaire générale du RDR, qui ouvre les bras aux «Soroïstes» dans la direction du parti, la tension ne baisse pas après les passes d’armes et les règlements de compte.
Les partisans de Soro Guillaume sont sur leurs gardes. Ils disent refuser le chantage et les prises d’otages politiques. Aussi, exigent-ils la libération préalable et inconditionnelle de Kamaraté Koné Souleymane dit Soul To Soul, directeur de protocole du président de l’Assemblée nationale, arrêté et jeté en prison pour «détention illégale d’armes de guerre» et «atteinte à la sécurité de l’État».

Et alors tout le monde retient son souffle. La démocratie est malmenée

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