Professeur Lazare POAME, Président de la Conférence des Présidents des Universités publiques de Côte d’Ivoire :
Il se prononce, dans cette interview exclusive, sur le concours de recrutement des Enseignants-chercheurs et aborde d’autres sujets non moins importants.
Le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique a ouvert, depuis le 2 août dernier, le concours de recrutement des Enseignants-chercheurs. Dans quel état d’esprit avez-vous accueilli cette information ?
Je vous informe, d’entrée de jeu, que le Concours de recrutement des Enseignants-chercheurs Assistants est ouvert depuis le 28 juillet 2017 et les Universités ont pu enregistrer de nombreux dossiers de candidature, plus exactement mille six cent dix-sept (1617), sans compter ceux déposés dans les grandes écoles publiques. En incluant les grandes Écoles, nous avons un total de mille huit cent soixante-quatorze (1874) dossiers.
Nous avons accueilli la nouvelle de cette ouverture avec beaucoup d’enthousiasme et d’assurance. L’enthousiasme pour les titulaires d’un Doctorat ou d’un diplôme équivalent qui attendaient l’autorisation de postuler et l’assurance, parce que les dispositions ont été prises par le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique (MESRS) et les autorités des Universités pour que le Concours se déroule dans les meilleures conditions aussi bien pour les candidats, les membres du jury que pour l’administration elle-même. Il est important que le Concours se déroule selon les attentes des uns et des autres.
Quelle est la procédure à suivre pour être recruté dans une Université publique en Côte d’Ivoire ?
La première phase de la procédure est l’expression des besoins par les universités et cela, à la demande du MESRS.
Un chronogramme du recrutement est établi par la DRH du MESRS en accord avec les Présidents d’université.
Chaque université procède au recrutement de façon autonome selon la procédure suivante.
Le recrutement dans les universités débute par le dépôt des dossiers de candidature C’est cette phase qui a débuté le 2 août et s’est achevée le 25 du même mois. Je tiens à préciser que chaque candidat est autorisé à déposer son dossier, dont l’une des pièces maîtresses est le Doctorat ou un diplôme équivalent, dans une ou plusieurs Universités s’il le désire. La deuxième phase est celle de l’analyse des dossiers du point de vue de leur recevabilité. Après cette phase, qui se situe entre le 8 et le 31 août, la troisième débute avec la transmission des listes définitives des candidats à la Direction des Ressources Humaines du MESRS. Les candidats dont les dossiers ont été jugés recevables reçoivent alors, par voie électronique, une notification individuelle ainsi que les informations relatives à l’épreuve qui les attend. Quant à la quatrième phase, elle concerne l’entretien au cours duquel les candidats sont évalués sur la base de leurs compétences et de leurs performances scientifiques, pédagogiques et éthicologiques. L’évaluation porte également sur les comportements des candidats, leurs connaissances de l’Université pour laquelle ils postulent, de la déontologie de la Fonction publique, du Code d’éthique et de déontologie du CAMES, Instance qui assure la promotion des Enseignants-Chercheurs et des Chercheurs au niveau supranational, interafricain.
L’évaluation est faite par un jury pluridisciplinaire constitué par le Président de l’Université. Les membres du jury doivent être des enseignants de rang magistral. Le Président peut faire appel à des compétences extérieures. Les candidats retenus sont classés par ordre de mérite et par spécialité La liste est ensuite transmise à la Commission Nationale de Recrutement des Enseignants du Supérieur du MESRS.
Cette année, comme à la session précédente, l’entretien est organisé, par chaque Université, à travers un calendrier conçu dans le cadre de la Conférence des Présidents des Universités publiques. Ce calendrier est conçu de telle sorte que l’on puisse permettre à un candidat de présenter le Concours dans deux Universités. Cette quatrième phase qui a débuté le 18 septembre 2017 et s’achèvera le 02 octobre 2017.
Combien d’enseignants comptez-vous recruter cette année pour l’ensemble des Universités ?
Le nombre est fonction des postes budgétaires offerts par l’État. Cette année, ce sont quatre cent quinze (415) enseignants qui seront recrutés pour l’ensemble des Universités et grandes Écoles publiques. Ce nombre prend en compte les cinquante et un (51) postes déjà pourvus à l’issue des Concours organisés par l’Université de Man et l’Université virtuelle de Côte d’Ivoire. Pour cette session, il ne reste donc que trois cent soixante-quatre (364) postes. Vous devez savoir, par ailleurs, que chaque année, le Ministère demande aux Universités de lui transmettre leurs besoins en personnel enseignant et c’est sur cette base que sont obtenus les postes budgétaires.
Chaque Université ne peut-elle pas recruter en fonction de ses besoins ?
C’est justement ce que nous faisons. Chaque Université publique de Côte d’Ivoire est, certes, tenue d’organiser le Concours de recrutement des Enseignants-Chercheurs à partir d’un référentiel commun produit en 2015 par la Conférence des Présidents dirigée par le Professeur Bakayoko-Ly Ramata, aujourd’hui Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique, sur la base des normes internationales. Mais étant donné que les réalités, les problèmes et les attentes varient d’une Université à une autre, le recrutement se fait également sur la base des besoins clairement et méticuleusement exprimés par chaque Université.
Y a-t-il, selon vous, des disciplines à privilégier par rapport aux autres ? Si oui, lesquelles et pourquoi ?
Les disciplines à privilégier ne sont pas liées aux champs disciplinaires qui seraient frappés par des préjugés ambiants. La primauté accordée à une discipline ou une matière dans ce recrutement est tributaire du ratio étudiant-enseignant. A titre d’exemple, on peut raisonnablement admettre des recrutements dans une discipline où le ratio étudiant-enseignant est de un (1) enseignant pour cent cinquante (150) étudiants et comprendre que l’on ne puisse pas en faire autant si nous avions un (1) enseignant pour vingt-cinq (25) étudiants.
Malgré les efforts des autorités gouvernementales et universitaires, le déficit d’infrastructures demeure une préoccupation. Quelles solutions à cette situation ?
L’État de Côte d’Ivoire, grâce à la sollicitude du Président de la République, a effectivement entrepris de grands travaux de réhabilitation et initié des programmes d’équipement des Universités. Cela a permis aux enseignants de disposer d’un cadre de travail assaini et attrayant. Cependant, des efforts restent à faire pour atteindre l’idéal rêvé.
Cela signifie donc que pour les jeunes enseignants qui seront recrutés, nous serons confrontés au même problème que celui que connaissent les plus anciens, à savoir l’insuffisance de bureaux et de locaux pour les cours à cause de la massification. Fort heureusement, les TIC, dont l’usage a été maximisé avec la production des cours en ligne, des Moocs et la création de l’Université Virtuelle que nous considérons comme une solution prompte et efficace au problème des infrastructures, pourront aider à surmonter les difficultés liées à la massification. A ces solutions, s’ajoute celle qui consiste, dans certaines Universités, notamment celles de l’intérieur du pays, à prendre en location des salles de cours avec des structures privées. A son niveau, Madame le Ministre, résolue à relever durablement les défis des infrastructures universitaires, multiplie les contacts avec les bailleurs de fonds (AFD, Banque mondiale, BAD…) dont certains ont montré des signes porteurs d’espoir.
Comment la Conférence des Présidents compte-t-elle améliorer les conditions de travail des enseignants ?
La Conférence des Présidents est un Collectif dont le rôle consiste à organiser des plaidoyers auprès de qui de droit, le Ministère de tutelle, les bailleurs internationaux, à partir des requêtes formulées aussi bien par les enseignants, les étudiants que par les membres du Personnel administratif et technique. Elle s’efforce d’anticiper sur certaines situations pour éviter aux Universités des blocages en proposant des esquisses de solutions. Elle n’a pas de pouvoirs spécifiques ou de moyens autres que ceux octroyés par l’État pour le fonctionnement des Universités selon les lignes budgétaires définies par notification à l’issue de la conférence budgétaire. Toutefois, chaque Université a pu organiser des séminaires dont l’objectif était de permettre aux Enseignants-chercheurs de capter des fonds sur la base de projets d’envergure susceptibles d’améliorer leurs conditions de travail. Mais, au-delà de ces possibilités, c’est à l’État que revient cette lourde charge.
Depuis quelque temps, il n’y a pas eu de recrutement. Problème de planification ou de budget ?
Le temps au service de l’efficacité
Avec l’arrivée du Professeur Bakayoko-Ly Ramata à la tête du Ministère de l’Enseignement et de la Recherche Scientifique, l’effet de sursomption du système d’enseignement supérieur s’est polarisé sur les défis de la compétitivité, de la transparence, de la qualité et de l’innovation éthico-techno-économique.
Pour respecter l’esprit de ces innovations au niveau de l’organisation et des critères de recrutement des Enseignants-chercheurs, nous avons procédé à la consolidation du contenu éthico-déontologique de l’entretien, au renforcement du niveau de qualification des membres du jury et à de nouvelles modalités d’expression des besoins en ressources humaines des Universités. Sur ce dernier point qui appelle des précisions, il s’agit de faire en sorte que les besoins exprimés par les UFR (Unités de Formation et de Recherche, ex-Facultés) soient accompagnés des intitulés des cours et des volumes horaires précis, destinés aux Enseignants-chercheurs devant être recrutés et qui permettent de faire baisser rationnellement et raisonnablement le volume des heures complémentaires. Comment y arriver pendant le toilettage et la consolidation des maquettes pédagogiques dont l’objectif principal était de disposer d’offres de formation internationalement compétitives ? Pouvions-nous courir le risque de recruter des enseignants-chercheurs sur la base de volumes horaires non encore conformes au système LMD ? Le temps devait être mis à profit pour dégager des volumes horaires avec précision, le tout devant être mis en cohérence avec les plans stratégiques des Universités et les exigences du Contrat de performance initié par Madame le Ministre.
De même, il est de plus en plus difficile de savoir quand démarre une année universitaire et quand elle s’achève.
Cette affirmation est exacte. Effectivement, pour des raisons multiples liées, entre autres, à l’insuffisance d’infrastructures et de ressources humaines, aux grèves d’étudiants et d’enseignants, à la situation sociopolitique du pays, nous avions du mal à gagner le pari d’une année universitaire normale. Cependant, à compter de la prochaine année universitaire, on devrait pouvoir en parler à l’imparfait. En effet, la nouvelle vision de Madame le Ministre d’un Enseignement supérieur de qualité et le système LMD dans lequel se sont engagées toutes les Universités impliquent l’observation rigoureuse de mécanismes susceptibles d’aboutir à la normalisation des années académiques. Ainsi, un calendrier académique détaillé a été communiqué au mois d’août par le MESRS aux Universités avec la date de démarrage et de fin des cours, le découpage semestriel de l’année, les congés et les vacances pour l’ensemble des Universités.
A quoi obéit le changement des appellations des Facultés qui sont aujourd’hui difficiles à retenir pour le commun des mortels ?
Il faut déjà bien noter que les Universités publiques de Côte d’Ivoire ont abandonné depuis plus d’une décennie cette dénomination. Les Facultés ont laissé la place à des Unités de Formation et de Recherche, en abrégé UFR, pour marquer lumineusement la dimension de la recherche qu’intègre l’Enseignement supérieur. Les dénominations de certaines UFR, qui peuvent sembler curieuses ou « difficiles à retenir pour le commun des mortels » comme vous le dites, répondent tout d’abord au souci de refléter les contenus de formation qui leur sont assignés. Il s’agit également de répondre au souci des Universités devenues autonomes de ne pas reproduire à la lettre les dénominations déjà existantes, notamment celles de l’Université-mère, l’Université Félix Houphouët-Boigny.
Vous, en tant que Président de la Conférence, avez-vous des garanties que ceux qui seront recrutés seront les plus méritants, et qu’il n’y aura pas de trafics d’influence, de favoritisme… ?
Une méthodologie rigoureuse et transparente, marquée du sceau de la qualité.
Pour marquer l’intérêt particulier que Madame le Ministre porte au Concours et par souci de transparence, une cérémonie officielle sera organisée pour le lancement. Cette cérémonie sera l’occasion de lever un coin de voile sur le mode de recrutement des Enseignants-chercheurs des Universités.
Il est important de rappeler que ce recrutement est fondé sur un triptyque mondialement valorisé et socialement désiré : le scientifique, le pédagogique et l’éthique. En effet, la sélection s’effectuera sur la base de la valeur scientifique des titres et travaux des candidats (Thèses de Doctorat, publications scientifiques annexes…) et de leurs connaissances de l’Institution qu’ils souhaitent intégrer. Leurs projets pédagogiques ou scientifiques pour l’Université seront également pris en compte dans la mesure où ils permettent d’apprécier leur intérêt pour l’institution et leur capacité à l’aider dans son rôle de moteur de développement. La sélection tiendra compte du comportement des candidats, qui se profilera à travers leur prestation et de leurs connaissances de la déontologie de la Fonction Publique et du CAMES.
Notons également que le choix d’Enseignants-chercheurs de rang magistral pour les jurys permet de garantir la qualité et le respect des principes docimastiques de l’évaluation. A cet effet, une grille et un guide de notation détaillés et précis seront mis à la disposition de chaque jury. Cette grille de notation accorde à l’exposé sur les Titres et travaux l’importance qui lui revient de droit, car cet exercice permet d’évaluer à la fois les compétences et les performances scientifiques et pédagogiques des candidats. Accorder de l’importance à la capacité du candidat à restituer la quintessence de ses travaux, à la maîtrise de l’objet de son savoir à travers des réponses pertinentes aux questions qui lui sont posées, à son élocution, à la clarté de son exposé, au respect du temps, est la preuve du souci des acteurs de l’Université d’avoir des ressources humaines de qualité. Nous ne négligeons pas pour autant les éléments qui permettront d’établir un portrait axiologique du candidat, à savoir sa sociabilité, sa posture vis-à-vis de lui-même et des autres.
Notés sur 20, les candidats seront d’abord classés par ordre de mérite par les membres des différents jurys. Ils seront ensuite reclassés selon les axes prioritaires de l’Institution et le nombre de postes budgétaires disponibles. Ce choix aura pour conséquence le classement, au bas de l’échelle, des candidats des filières dont les besoins en personnel enseignant sont moins importants. Les résultats des jurys, consolidés sur cette base, sont transmis au Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique. Ces résultats sont mis à la disposition de la structure chargée de les proclamer, à savoir la Commission Nationale de Recrutement de l’Enseignement Supérieur (CNRES). Pour cette session, les résultats dûment mis en forme seront transmis au Ministère au plus tard le 6 octobre. La CNRS se réunira pour ce que nous pouvons appeler les délibérations ultimes. Comme vous pouvez le constater, il s’agit d’une méthodologie rigoureuse et transparente, marquée du sceau de la qualité, qui ne laisse aucune place au favoritisme et au trafic d’influence. C’est pourquoi je tiens à rassurer les candidats quant aux dispositions qui ont été prises pour garantir la transparence du Concours et maximiser l’égalité des chances.
Entretien réalisé par Emmanuel Kouassi,
Fraternité Matin
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