J’ai pris l’initiative de ce compte rendu du discours de l’an III de l’Appel de Daoukro, pour aider à le contextualiser, en raison de sa portée pour notre parti, le PDCI-RDA, pour notre alliance, le RHDP et pour notre pays, la Côte d’Ivoire.
Cette initiative m’est venue à la suite des commentaires des plus contrastés qui ont ponctué ce discours et envahi l’assistance à l’occasion de cette cérémonie commémorative. En vérité, des déçus il y en a eu…à commencer par moi-même. Sauf que mes réflexes de spécialiste des sciences du langage m’ont permis, très rapidement, de me reprendre. Mais alors comment envisager cette compréhension pour les autres ? Tel est le sens de cette initiative. Mais, parler de déception suppose qu’il y a eu pour sûr, des attentes non comblées ! Quelles étaient-elles et comment les prendre en compte ou les convaincre d’inopportunité ?
Je le dis et les preuves ne suffiraient sans doute pas à le démontrer, il y a dans ce discours, autant de courtoisie que de représailles, de mesure que de mises-en-garde. Mais comment peut-on le comprendre pleinement si l’on n’en est pas le destinataire principal ? Peu importe donc mon implication à la première personne, dans cette analyse, car même si les philosophes nous convainquent que le moi est haïssable, malgré tout, je ne puis faire autrement que partir de ma bien subjective et modeste compréhension. Dans tous les cas, les analystes textuels ne sont pas des charlatans et je n’ai du reste pas l’intention de dire des prophéties.
Le problème ne serait donc pas mon implication en tant que militant PDCI-RDA puisque certains indicateurs montrent des bases objectives d’observation. D’ailleurs, comme je le disais à un ami dans la main courante, séance tenante : ‘’qui sont-ils venus voir…, ces déçus ?’’ – parce que si c’était bien Bédié qu’ils étaient venus voir et écouter ce jour-là, eh bien, le sphinx était bel et bien au rendez-vous ! Pourquoi ? On le voit dans la démarche, passive, par ces guets, et la technique d’approche du problème central qu’est l’alternance…A pas feutrés, derrière les tahus d’émotions et d’impatience, son discours, sans varier de ton, a su conseiller autant que reprendre.
J’ai donc pu comprendre, à la lecture des enjeux et par des perspectives claires signifiées, qu’il ne pouvait y avoir meilleure posture que celle qu’il a adoptée. De surcroit, de la sagesse, de l’autorité, de la stratégie, tout se trouve incarné dans ce discours au point que pour une fois, j’ai été d’avis avec un organe de presse qui titrait le lendemain, à propos de ce discours : « cocktail de mots explosifs ». Ce Bédié-là, il y a des raisons à ne plus le lâcher !
Un adage répandu nous enseigne que parfois, contre « mauvaise fortune », il faut avoir « bonne conscience ». La mauvaise fortune, c’est de n’avoir pas pu sécuriser nos voix en 2010, c’est aussi de n’avoir pas su prendre toute la place que nous devrions au sein de ce RHDP, emportés comme nous le fûmes, par l’indignation pour certains, et pour d’autres, le manque de lucidité. Nous avons tous contribué à complexifier la situation aujourd’hui. Mais la bonne fortune, c’est notre sens de l’honneur, du respect, de la parole donnée et de la dignité autour desquels ce discours a été bâti. Peu importe donc, le message que nos alliés nous renverraient, le PDCI-RDA ne rompra guère d’avec ses principes et valeurs qui l’ont fondé ; et c’est heureux de voir Bédié s’y arcbouter avec autant de détermination.
Ainsi dans notre objectif, il ne s’agit pas, de prétendre évacuer les thèses dubitatives à l’encontre de ce discours pour de néo-bédiéistes que nous serions devenus mais de voir objectivement sur quelles bases ceux qui en doutent fondent-ils leurs appréhensions ? Notre objectif est donc de relire ce discours, du point de vue de sa stratégie narrative et argumentative pour tenter de sonder, partant, ses conditions d’objectivité ; cela, sans perdre de vue toutefois, l’extrême fluidité de l’interprétation politique.
Indirectement, et pour sûr, rappelons qu’il s’agit pour nous de sortir les militants du PDCI-RDA de l’étau des jurons pour voir l’avenir dont ils sont dorénavant les acteurs pour un retour « non-négociable » à la paix.
Nos hypothèses sont claires, Bédié propose la survie de l’alliance mais n’occultera point la nécessité, s’il y est contraint, d’envisager de nouvelles aventures. Cette posture implique d’envisager néanmoins pendant ce parcours d’épreuve de fidélité, la sécurisation du jeu électoral pour ne rien céder à d’éventuelles dérives électorales. Plus jamais. C’est pourquoi, ma foi, s’il me fallait proposer un titre à ce discours, ce serait « Rappels d’engagements». Mais d’abord, situons-en le contexte.
1- Le contexte.
L’une des clés de compréhension de ce discours, réside dans la justesse du contexte dans lequel on le lit. Ici le contexte probable est que nous ne sommes qu’à l’an III –ce qui suppose un an IV et probablement, un an V, avant les échéances de 2020.
Par ce discours, il s’agit donc d’un ultime rappel à l’ordre, puisque de toute façon, il est de notoriété que le doyen d’âge des politiciens ivoiriens en activité et le responsable de surcroit de la conférence des Présidents RHDP, veut passer à un ultime message avant que le temps ne fasse défaut. Mais ce discours dans une telle posture offensive, au moment où notre alliance s’effrite peu à peu avec les évictions d’Anaky Kobénan, d’Albert Mabri Toikeuse et indéniablement de Guillaume Soro, n’aura pas seulement fait que séduire par sa simplicité, son originalité et sa franchise, il a surtout tenu ses promesses par sa pertinence stratégique, par son autorité empreinte de sagesse et de mesure. Derrière ce ton mesuré et une démarche circonspecte cependant, Bédié n’a offert aucune alternative de volteface à partisans et alliés. Ceux qui devraient le comprendre, je le suppose, l’ont compris.
En lui-même, ce discours porte la marque des grandes premières. Pour la première fois en effet, dans les civilités, le clan de Soro a pris une place de choix ; nul n’a non plus été dupe sur l’évocation de la situation des exilés. Mais enfin, comme si ce devrait être un fait banal, du haut de la tribune, le Président Bédié s’est trouvé des talents de poète, invitant en effet sa « biche royale» à partager à ses côtés, à la tribune, ce moment historique. C’est un geste qui témoigne de l’évidence de son envol sur le paysage politique ivoirien. A fortioro, il s’agirait de déstresser le débat politique ou de quelque chose de ce genre. Mais même là encore, quel capacité de détachement !
2- Le rappel des engagements.
Dans le rapport PDCI-Rdr, il est bon de savoir, pour faire terre-à-terre, que la main qui reçoit, doit un jour, s’attendre à donner. Il est vrai qu’en tenant compte des sorties récentes de certains militants de l’alliance, le contexte de ce discours laissait augurer à juste titre, une réaction du berger à la bergère. Or Bédié a bien voulu contre toute attente, se livrer à un jeu de rafraîchissement de mémoire ; voici la base du quiproquo. Mais ce faisant, en termes de stratégie, il ne s’est point dérobé. Aussi, pour le montrer, observerons-nous quelques principes scolastiques qui ont bien toutes leurs valeurs ici. En effet, les mots de liaisons sont à profusion pour donner à ce texte cette allure millimétrée et structurée qui dénote de sa qualité argumentative.
De causes à effets, ce discours s’est construit sur un jeu de rappels et de déductions. Il ne concluait pas, il laisse déduire ; et pour cause, la vérité politique doit savoir s’incarner. Ainsi le paragraphe premier, débute par ce rappel pour donner le ton : « Il y a trois ans, le 17 septembre 2004, à l’occasion de la visite d’Etat du Président de la République dans l’Iffou, j’adressais au Président Alassane Ouattara, sur cette même place, un message de bienvenue dans lequel je lui disais combien j’appréciais le travail qu’il accomplissait à la tête de l’Etat. ».
Le décor est planté, les paragraphes qui suivront, porteront ainsi des connecteurs logiques pour marquer la volonté de se répéter, de rappeler à la mémoire, un certain nombre de faits. Ce procédé alterne avec ces rappels, des indications de perspectives qui interviennent pour situer les déductions à faire. Cette démarche ne s’arrêtera d’ailleurs que sur la contradiction principale : « Je bloque ces écrits devenus intangibles pour les militants du PDCI-RDA, du RHDP et pour tous les électeurs Ivoiriens et sympathisants ».
Ce fragment de discours fait mouche ! Son efficacité dans construction comme dans sa signification mais surtout, l’extrême puissance du verbal « bloque », ramène à l’idée que pour l’application du principe d’alternance, Bédié se refuse à toute transigeance. Cette phrase opère comme un choque de mémoire ; en termes de détermination, d’interpellation et de combativité, il s’agit là d’une originalité qui pourrait s’ancrer dans l’histoire. Dans la suite du discours, le Président Bédié ne fera plus que rappeler les raisons de cette posture et montrer de façon pragmatique le résultat des sacrifices consentis : « Les objectifs recherché à travers cet appel ont été atteints, annonce-t-il. ». Si tel est donc le cas, -et nous nous comprenons-, point n’est besoin de casser l’alliance pourrait-on lire.
3- Comment Bédié « lutte » pour sauver l’alliance ?
La remarque est aussi fondamentale, dans ce discours, c’est la volonté de Bédié de poursuivre l’aventure entre houphouétistes ; du moins, il le dit. La disposition psychologique le démontre et il le montre dans ce constat : « La mise sur pied du Rassemblement des Houphouétistes pour la Démocratie et la Paix a donné à notre pays un outil politique pour lui assurer la paix et le retour à une situation normale dont les effets bénéfiques, poursuit-il, se font sentir ».
Ce qui est vrai dans ces propos est que sans cette alliance, cette paix précaire n’aurait jamais conduit à de tels résultats. Cette alliance a retardé la volonté de certains d’en découdre avec le Rdr tout comme incidemment, les demandes de compte sur des questions importantes sur la crise, l’agacement général sur le maintien des prisonniers politiques ou l’indifférence face aux exilés. Il faut aussi savoir que dans l’histoire de la politique ivoirienne, depuis le retour au parti unique sous Houphouët, c’est la première fois qu’une alliance politique se couvre de succès. C’est un mérite dont les artisans sont connus. Le Président Bédié se plait d’ailleurs à le rappeler : « (…) J’ai accepté, en 2015, au prix de nombreux sacrifices de ne pas présenter de candidature au titre de mon parti. » ; plus loin : « Je me suis engagé à faire en sorte que ce pays retrouve la paix chère au Président Houphouët-Boigny, père fondateur de notre beau pays. ».
C’est sur cette base qu’il engage le sens de l’honneur du Rdr. En évoquant la question du respect de la parole donnée, Bédié engage la responsabilité du Rdr, son sens éthique et son honneur : « Je veux insister aussi, Militants et Militantes du PDCI-RDA et du RHDP sur la fidélité de la parole donnée. ». En effet, Bédié est le seul qui peut se targuer au sein du RHDP d’avoir respecté de bout en bout, en fonction de l’évolution du climat politique, les amendements, et les principes nécessaires à faire avancer la machine du RHDP. C’est pourquoi par mesure de précaution, son discours, sans le vouloir sans doute, s’est vite construit sur le mobile du rappel des faits, des efforts consentis, de la nécessité, partant, de respecter les clauses existentielles du RHDP. C’est aussi pourquoi rien ne change dans sa détermination : « A plusieurs reprises, et s’agissant des prochaines échéances, j’ai affirmé notre position, sans qu’il y ait eu objection. ». Bédié croit ainsi que seul le respect des principes d’unité, par la capacité des uns et des autres à comprendre les enjeux, sera une garante de paix et de concorde sociale. Il en a donné l’exemple. Si l’ambition de candidature est légitime, il pense qu’elles elles doivent être « orientées, coordonnées» ; surtout que jusqu’ici le Président Ouattara n’a fait aucune objection.
Jouer contre cette disposition dont les Ivoiriens et la communauté internationale se sont rendus témoins, c’est échouer d’évidence à comprendre que le timing qu’il a su imprimer à ce projet, est désormais impossible à déjouer. L’étau se resserre et le désormais leitmotiv « non-négociable » peut évoluer de l’obligation du choix de candidat PDCI-RDA, à l’obligation de la tenue effective des élections d’octobre 2020 en heures et en dates : « il reste encore trois bonnes années pour aller à l’élection présidentielle qui est inévitable et non négociable, conformément à notre constitution. ».
De surcroit, Bédié a fini par poser cet Appel comme un instrument de régulation de la vie politique nationale. On pouvait le lire distinctement dans cette phrase : « Notre alliance résout le problème de la gestion du pays et l’Appel de Daoukro balise le problème des succession au pouvoir ». Il démontre dans ces propos que l’alliance du RHDP est en lui-même imparfait. En ce qui le concerne et plus qu’un cadre juridique, l’Appel de Daoukro ‘’règle’’ son fonctionnement et sa fonctionnalité. Il en est ainsi parce qu’en l’état des faits, aucune alliance, si elle n’est réadaptée constamment, ne peut résister au temps et aux épreuves. C’est pourquoi, plus qu’un cadre juridique, cet Appel est une prise d’initiative politique qui montre que Bédié a pris la pleine mesure de son rôle de Président de la conférence des Présidents. Par cet acte, son appel règle un vide : celui de la nécessité de pérenniser ce projet au-delà d’une ou de deux élections. Dans les faits, Daoukro a su s’imposer à tous sur deux faits : le premier est qu’il est né au profit d’un des alliés et non pas d’abord au profit du parti de l’initiateur, ensuite par la fidélité que le Président Bédié lui-même, il a su incarner l’espoir de tous les alliés sans exclusive.
Enfin, que dire de cette vision cadastrée du paysage politique actuel ? : « Chacun sait, dit-il, qu’il est désormais impossible à une seule formation politique, si puissante soit-elle, de gérer notre pays. C’est la raison pour laquelle nous devons, au niveau de notre alliance, nous accepter les uns les autres et trouver entre nous, les moyens de gérer ensemble la Côte d’Ivoire. Ainsi, au quotidien, nous devons être unis et solidaires ; il nous faut pratiquer le vivre ensemble ; la paix est à ce prix. (…) ». Dans la logique de Bédié, peu importe l’énergie qu’il déploie dans cette alliance, tout échec conduirait naturellement à une nouvelle configuration du paysage politique. Nécessairement. C’est la raison pour laquelle, il ne fera rien de lui-même pour nuire à son existence. Dans le fond, nous savons que les portes restent ouvertes et les perspectives politiques ne manquent pas.
En effet, au vu des dégâts du rattrapage, de la question du foncier et de la problématique globale de la terre, mais aussi pour un raccourci vers la réconciliation et la paix, un sursaut national n’est pas à écarter. Il reste à trouver les angles. Beaucoup ignorent que le RDA fut un syndicat et reste donc un parti de gauche, près du PDCI qui, comme tous les partis démocratiques, reste de droite. Pourtant, le PDCI-RDA Ne s’est jamais engagé comme centriste. Ce qui veut dire qu’à tout moment, il peut s’opérer des oscillations d’un côté comme de l’autre. D’autre part, en plus de la présence remarquée des Soroïstes, le discours de Bédié signale par l’expression « mantra politique » comme ‘’prière citoyenne du soir et du matin’’, est un emprunt conceptuel au politologue camerounais de Soro, Franklin NYAMSI. Bref.
Pour conclure, disons qu’avec cet Appel de Daoukro, nous ne sommes que dans un discours politique. Les enjeux pourtant sont clairs. Il s’agit des élections présidentielles de 2020 et la candidature unique d’un militant actif du PDCI-RDA. C’est pourquoi même si le Président du parti préconise que l’on dépassionne le débat, il n’empêche que nous au PDCI-RDA, nous avons devoir de mettre en scelle un candidat. Et non pas celui que des alliés nous suggéreraient, vu qu’ils ne nous ont pas laissé un tel choix en 2015. Cela motive une prise d’initiative qui incombe à tous les états-majors potentiels. D’autre part, il s’agit d’avoir à proposer une politique qui ne s’excuse pas en boucle sur le passé mais qui montrera tout le travail technique et méthodique de retour au pouvoir pour le bonheur du peuple ivoirien. Cela, KKB l’aura compris depuis bien longtemps. Et semble-t-il, c’est le challenge qu’il s’engage porter après son come-back.
Konan Roger LANGUI
Maître de Conférences,
Militant du PDCI-RDA
Bédié ne « lutte » pas pour sauver une quelconque alliance, même avec le mot « lutter » entre crochets.
Tout au plus, je dirai BEDIE et OUATTARA « luttent » pour sauver cette alliance. Leur alliance. Quoi de plus normal ? Vous avez des personnes pour qui le mot alliance et engagement ne rime pas avec enfarinage et mauvaise fois comme avec un certain bété aujourd’hui à la Haye. Donc, c’est normal que ces derniers fassent tout pour la préserver et même la raffermir avec une union. Où et quand quelqu’un a-t-il entendu OUATTARA dire qu’il n’y aurait pas d’alternance en 2020 ? Si comme voulu par les deux leaders il y’a union alors on ne pourra plus parler de PDCI ou de RDR et un candidat émergera. Alors ?
Les deux disent vouloir conduire ce projet de parti unifié, porté sur les fonds baptismaux il y’a des années, à bon port. Et ils ont récemment réaffirmé leur engagement dans ce sens.
Wait and see!