KRAMO Germain
L’industrie ivoirienne du coton rencontre d’énormes difficultés qui ont amené la fédération nationale des travailleurs du textile, du coton et l’anacarde de Côte d’Ivoire (FENATTCA-CI) à demander au gouvernement d’interdire l’exportation du coton et de l’anacarde pour permettre l’approvisionnement des industries locales. Selon eux, les problèmes d’approvisionnement sont à la base des difficultés rencontrées par ces industries. Mais le problème d’approvisionnement saurait-il à lui seul expliquer les difficultés rencontrées par ces industries ?
Certes, la Côte d’Ivoire exporte plus de 90% de sa production de coton fibre. Toutefois, la garantie d’un approvisionnement ne saurait être un argument de poids pour demander une telle mesure car les pays voisins producteurs de coton offrent des prix moins élevés à leurs paysans. Autrement dit, les industries ivoiriennes pourraient s’approvisionner sur ces marchés, du moins partiellement. Par exemple pour la campagne 2016/2017, le prix du kilogramme de coton de premier choix est de 265 FCFA en Côte d’Ivoire alors qu’il est de 235 FCFA au Burkina Faso, 250 FCFA au Mali et 230 FCFA au Togo.
Au-delà des difficultés d’approvisionnement, la racine du mal se situe ailleurs. En ce sens, il est important de signaler la faiblesse de la demande adressée aux entreprises du textile. En effet, une évaluation du potentiel à l’exportation du coton et textiles réalisée en 2013 par le Programme d’Appui au Commerce et à l’Intégration Régionale (PACIR) a conclu qu’en Afrique de l’Ouest, on compte de nombreux producteurs et exportateurs de coton mais assez peu de consommateurs. Tout compte fait, s’il y a peu de clients, cela signifie qu’il y a peu de volume à produire conduisant à une surcapacité et à des surcoûts. A titre d’illustration, les entreprises d’égrenage ont une capacité installée de 630 000 tonnes pour une production de coton graine de 310 000 tonnes en 2016. Le manque de volume ne permet pas d’amortir les coûts fixes, ce qui se conduit à une faible compétitivité des produits ivoiriens par rapport aux importations étrangères.
Ce manque de compétitivité de l’industrie ivoirienne est aussi la conséquence des coûts élevés des facteurs de production (capital, travail, énergie) et des coûts des transactions liés à l’hostilité du climat des affaires, notamment la pression fiscale et la complexité réglementaire. D’ailleurs, le gouvernement envisage une hausse de 3% du tarif de l’électricité pour les industriels, ce qui ne manquera pas d’impacter négativement la compétitivité des industries. Avec de tels handicaps, il est difficile de rivaliser avec les pays exportateurs de produits textiles (Inde, Bangladesh, Pakistan, Turquie, Thaïlande, etc.), qui sont nettement plus compétitifs que la Côte d’Ivoire, pouvant produire jusqu’à 50% moins cher que les industries ivoiriennes[1]. A cela, il faut ajouter la concurrence déloyale des produits de la contrefaçon et de la contrebande. La contrefaçon et les produits non taxés en provenance d’Asie et de pays voisins, qui inondent plus de 50% du marché intérieur créent une concurrence déloyale qui étouffe les entreprises ivoiriennes.
Par ailleurs, la faible productivité des paysans ivoiriens peut être aussi l’une des causes des difficultés d’approvisionnement. En effet, la faiblesse de la productivité, signifie des coûts divisés par un petit volume, ce qui rend la matière première plus chère qu’elle ne devrait être. Selon les chiffres de l’Intercoton, le rendement des plantations de coton à l’hectare en Côte d’ivoire était d’environ 0,771 tonne/ha pour la campagne 2015/2016 alors qu’il est de 2,4 tonnes/ha dans des pays comme l’Egypte et Israël. Cette faible productivité, combinée à d’autres facteurs, a entrainé la baisse de la production nationale de coton qui est passée de 450 146 tonnes en 2015 à 310 000 tonnes en 2016 (baisse de 31%). A tous ces facteurs contraignants pour l’industrie textile ivoirienne, il ne faut pas perdre de vue l’épineuse question du manque de financement. A l’instar de la majorité des PME ivoiriennes en général, l’industrie du textile est aussi confrontée au manque de financement et aux coûts élevés du crédit.
Par conséquent, une telle mesure pourrait donner l’illusion d’aider l’industrie locale mais elle peut s’avérer inefficace car le remède ne serait pas approprié pour soigner tous les maux dont souffre l’industrie du textile. Il ne faut pas oublier non plus qu’elle pourrait être également porteuse d’effet pervers. En réalité, cette mesure pourrait engendrer un effet d’aubaine en attirant d’autres investisseurs intéressés par cette rente liée à cette exclusivité, ce qui pourrait se traduire à terme par une surcapacité dans le secteur. Avec cette mesure les entreprises n’auront aucune incitation ni à se remettre en cause ni à faire des efforts pour améliorer leur compétitivité. En outre, la mesure ne sera pas de nature à profiter à tous les acteurs de la chaine de valeur du coton. Autrement dit, l’interdiction de l’exportation du coton pourrait pénaliser les paysans car si le prix international est supérieur au prix proposé à ces derniers, ils enregistreront une perte de revenu. Cela pourrait faire le lit d’un marché noir du coton. A titre d’illustration, chaque année des individus tentant de faire sortir frauduleusement des dizaines de tonnes de cacao du pays sont interceptés par les forces de l’ordre. Ces personnes voulaient simplement tirer profit de meilleurs prix offert par le Ghana. Du reste, il est bon de signaler qu’une mesure similaire existe pour les broyeurs de cacao avec la création d’un marché secondaire réservé à ces derniers.
En somme, au vu de la multiplicité des facteurs responsables de la situation difficile de l’industrie du textile, en lieu et place d’un monopole ou exclusivité à l’accès à la production locale, il est plus qu’urgent pour le gouvernement de restructurer toute la filière en vue de renforcer sa compétitivité. Pour ce faire il est besoin d’une approche globale et intégrée pour agir sur toutes les sources de surcoûts en amont et en aval de la chaine de valeur. La consolidation de la compétitivité passe également par l’amélioration de la productivité de tous les opérateurs. Bref, la filière devrait être pensée comme un écosystème décentralisé auquel il faudrait offrir un terreau favorable pour que chaque partie puisse exprimer la plénitude de son talent entrepreneurial.
KRAMO Germain, analyste économiste.
Article publié en collaboration avec Libre Afrique.
Tout d’abord merci à M. KRAMO pour cet éclairage édifiant sur la situation de l’industrie ivoirienne du coton. Je partage votre opinion quant à ne pas succomber à la tentation d’interdire les exportations. Malgré le fait que je reste un fervent supporter de la transformation locale de nos matières premières, je voudrais tenir mes distances vis-à-vis de toute mesure extrême d’interdiction. Pourquoi ? Parce qu’elle créera bien de distorsions qui mettront à mal cette même industrie dans le temps. Nous devons plutôt créer les conditions et mécanismes d’incitations pour que les industriels et autres acteurs s’orientent préférablement sur notre marché intérieur.
A mon sens, vous avez soulignez les deux plaies qui minent ce secteur : coûts des facteurs élevés et faible productivité. Toute restructuration qui n’adresserait pas ces deux plaies seraient un coup d’épée dans l’eau et ne rimerait à rien.
Pour finir, il est vrai que le prix pour nos paysans est plus élevé dans la sous-région. De un, cela se justifie par la différence dans les facteurs de production plus élevé chez nous. De deux, il est en théorie possible pour les industriels d’être tentés par l’approvisionnement sur ces marchés, mais en pratique la logistique d’une telle démarche avec nos voies de communication relativement sous-développées rend plus couteux un tel schéma au finish au kilogramme.