L’Editorial de Tiburce Jules Koffi
Dédié à Doudou Salif, brillant homme de gauche ivoirien dont je ne viens d’apprendre la disparition que récemment. Le Maître Zadi avait une admiration sans bornes pour cet homme. Hommage à toi, illustre camarade !
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Mémoire : en 2006, j’avais adressé une longue « Lettre ouverte » à M. Bernard Dadié, pour lui exprimer mon désaveu dans sa lecture de la crise ivoirienne. Le parti-pris du respectable homme et écrivain de notoriété pour ceux qu’on appelait alors la « Galaxie patriotique », m’avait paru inacceptable. J’attendais, moi, de lui, qu’en tant que père, grand-père et même aïeul de tous ces protagonistes de la crise ivoirienne, il se conduisît en réconciliateur des belligérants, et non en soutien d’un camp contre un autre.
Un autre motif de ma colère contre le vénérable Bernard Dadié : au cours d’une cérémonie sous le sceau de la Refondation, l’homme n’a pas hésité à passer le flambeau de la lutte de libération nationale à… Charles Blé Goudé ! Par ce geste, il ignorait ainsi et superbement les figures des générations précédentes de militants de la gauche contestataire qui avaient, tout de même, une traçabilité (le mot était à la mode) dans l’histoire de ces combats libertaires. Et ces personnes-là existaient et continuaient de donner leur part de sacrifice au combat pour le changement. Des noms. Pêle-mêle : Laurent Akoun, Asoi Adou (recruté au cours des années 1970 par Bernard Zadi, à Strasbourg), Ganin Bertin (malgré ses obscurités compromettantes avec Dona-Fologo), Agnès Monnet, Tapé Kipré, Dagou Lignon, Josette Abondio, Jeannette Koudou, entre autres.
Certes, nombre d’entre ces personnes n’étaient plus disponibles pour le combat, et d’autres s’étaient accommodés du système ambiant qui avait, déjà, généré ses satrapes et autres saprophytes de la république ; mais l’essentiel du bataillon était encore là, actif et batailleur. Comment donc, le vénérable Dadié a-t-il pu nous faire ça ? Nous préférer Blé Goudé ? Sauter comme cela, notre génération de cadres ? L’intolérable outrage ! Ma « Lettre ouverte » fut donc sans appel à son endroit sur ces questions…
Passe le temps, ses enseignements, ses défis. Et il revint au Maître Bernard Zadi, de m’éclairer sur la justesse de l’acte posé par M. Bernard Dadié. La scène se passe en janvier 2012, en France, plus précisément à Lorgnes où le Maître était en convalescence chez sa fille Jeanne Zadi. C’est une histoire qui mérite d’être portée à la connaissance de l’opinion.
[Le testament politique de Bernard Zadi]
En analyste éclairé de la société ivoirienne, le Maître m’a instruit des enjeux de ce passage à témoins qu’avait fait M. Bernard Dadié. Résumons sa pensée : à l’instar de la sienne, notre classe de militants pour le changement a manqué de pragmatisme. Finalement, Laurent Gbagbo et Ngo Blaise apparaissent comme les seuls militants de la gauche, clandestine, des années 1970-1990, à avoir une connaissance pratique du terrain et à avoir touché du doigt ce que nous appelons, tous, « le peuple. » Selon donc le Maître, à l’image de la sienne, ma génération de militants de la gauche est restée dans la protestation purement intellectuelle, et dans le confort de la quête (sans risques) d’affirmation académique. Ce ne fut pas une mauvaise chose car, comme eux, nous avons acquis un « Capital Intelligence » utile à la lutte. Mais nos cadets, conduits par Martial Ahipeaud, Blé Goudé, Guillaume Soro et autres, a réussi ce qu’aucune autre génération de militants du Front national du Refus n’a pu accomplir : occuper le terrain politique. Etre dans l’action. Payer d’audace en affrontant le pouvoir, non pas dans sa réalité virtuelle, mais dans son exposé physique, sensible : sa police, ses services de répression, son art de la corruption, etc., en somme, la machine étatique, froide et dissuasive.
A partir de 1991, et plus nettement de 1995 à 1999 (date d’affirmation de Guillaume Soro et de Blé Goudé en butte au pouvoir de Konan Bédié via Koné Dibonan), ces jeunes gens prirent le dessus sur notre génération. Opposants réels et désormais figures identifiables et identificatrices de la contestation sociale et politique, ils sont reconnus comme des personnages politiques à part entière de la société ivoirienne. Pierre Kipré, Laurent Akoun, Koffi Guillaume, Tapé Kipré, Josette Abondio, Ganin Bertin, Constance Yahi, Bédi Holy, Kra Félix, Lucie Coulibaly, Nda Patrice, Paul Ndepo, Léandre Sahiri et autres grands animateurs de la vie syndicale et politique ivoirienne des années 1980, n’avaient plus de poids face à ces jeunes gens. Sur les bords de la Seine, le Maître me prédit alors l’avènement de cette ‘‘génération Fesci’’ au pouvoir, dans la décennie à venir ou, au plus tard, en 2025.
Il me conseilla donc particulièrement de mettre fin aux récriminations que j’avais contre Guillaume Soro dont l’évocation du nom, et l’image, me rebutaient alors. « En politique, il faut avoir des alliés, pour se protéger et survivre aux attaques. Or toi, Tiburce, au mépris des lois de la dialectique que je vous ai enseignées, tu ne fais que te quereller avec tous les politiciens du pays. Tes camarades et toi avez contesté Houphouët-Boigny, Konan Bédié. Tu n’as pu t’entendre avec Gbagbo, et tu l’as quitté. Tu détestes tes cadets de la Fesci. Or la classe politique des héritiers d’Houphouët-Boigny, avec comme figures de proue Bédié, Alassane et Banny, et avec laquelle tu frayes, ne peut réellement t’accepter. Vous ne pourrez pas vous entendre. Ils ne savent que commander, dominer, donner des ordres, attendre à être obéis et non supporter la contestation. Riches et fortunés, ils ne croient qu’au pouvoir de l’argent et non des idées. Ta place n’est donc pas là-bas. Elle se trouve auprès de la ‘‘génération Fesci’’ dont Guillaume Soro et Blé Goudé sont les pôles d’avenir politique… »
C’est, à peu de mots près, exactement ce que me dit le Maître, un soir d’hiver, en France.
[Raison à Dadié. Perspectives]
Pour lui donc, M. Bernard Dadié avait vu juste en confiant le flambeau de la lutte à Blé Goudé : la chute de Gbagbo s’annonçant, il revenait donc à Blé Goudé, leader des Jeunes Patriotes, de poursuivre le combat de libération. A la réflexion, c’est un flambeau qu’aurait tout aussi bien mérité de porter Guillaume Soro, locomotive lui, d’un autre courant de lutte patriotique : le Mpci. Mais Soro, pour avoir choisi le camp anti républicain, ne pouvait être alors, en ces temps-là, le héraut du combat républicain de libération nationale. Mais à partir de 2011, Blé Goudé déchu car vaincu, et Soro le vainqueur incarnant la nouvelle autorité républicaine, le flambeau de la lutte (qui n’était pas terminée 1) tombait entre les mains de l’ex chef de la rébellion ; et cela, conformément aux lois de la dialectique. Nous étions là, face à un cas classique et pratique de l’évolution de l’unité dialectique — un des fascinants cours magistraux du Maître, qui nous avait enflammés en ces début d’année académique 1979-80.
Le Maître me promit alors d’établir le contact entre Guillaume Soro et moi. Il rentra au pays, où je l’avais devancé trois ou quatre jours avant. Hélas ! La maladie, terrible, dont il souffrait, l’emporta peu de temps après, le 19 mars 2012, au moment où je revenais de Martinique, d’un colloque sur Aimé Césaire — son poète préféré qu’il nous a appris à aimer. Aujourd’hui, ses propos sonnent et résonnent dans ma tête, comme un testament politique essentiel dont je comprends mieux à présent la signification profonde : que je sois la courroie entre ceux de ma génération (les cadres nés au cours des années 1950) et la ‘‘génération fesci’’, nos cadets. Et il s’était expliqué sur ce point précis : « Vos cadets ont la connaissance et la maîtrise du terrain ; ils sont audacieux. Qualités que vous n’avez pas. Mais il leur manque le capital savoir et intellectuel qui doit instruire leur action politique. Votre rôle sera de les guider, de les construire par la spéculation. Les dédaigner sous le prétexte qu’ils ne sont pas instruits ni cultivés (2), serait une grave erreur d’appréciation de votre part ». On le voit, entre Guillaume Soro et moi, il s’agit d’une rencontre inter générationnelle, pour la survie politique de deux classes d’âge : celle des sixteen et la ‘‘génération fesci’’.
Pour le Maître, il ne s’agit pas d’intégrer une structure politique, mais d’aider à la consolidation d’un mouvement de renouvellement de la classe dirigeante, en persuadant l’Intelligentsia de ma génération à faire alliance avec nos vaillants cadets qui (il en était convaincu) accéderont, inévitablement, au pouvoir d’Etat. Il a même souhaité que ceux qui pouvaient comprendre l’enjeu de cette nouvelle donne ne s’inféodent pas aux partis politiques ; et que, bien au contraire, ils s’affranchissent de ces structures sclérosantes pour s’affirmer en consciences libres, cognitives et enseignantes (avec toute la symbolique que recouvre le mot ‘‘enseigne »), en vue de la construction d’une nouvelle vision de la superstructure nationale. « Mes dernières paroles pour l’Afrique », le dernier livre qu’il a écrit (et dont j’ai signé le préambule), porte les traces de ces consignes qu’il m’a laissées. Dans ce livre, le Maître est ferme sur la question : non ! Pas de parti politique. Pas de militantisme politique en tant que tel, mais une activité intellectuelle et productive, au service de la cause : la naissance d’une nouvelle société ivoirienne forte et apte à affronter les défis du développement et de la libération nationale. Tel est le sens du concept « Mouvement des Elites pour la Lumière » (Model) dont il propose la création, pour sauver le pays par l’engagement des intellectuels à éclairer les Princes et le peuple.
Juin 2017. Cinq années après, sur les bords de la même Seine, me parvint, un soir d’été, un appel téléphonique. Et la voix me dit : « Je suis le Pr Nyamsi, le Conseiller du PAN Guillaume Soro. Il m’a chargé d’un message important, pour vous » ! Je n’ai pas mis du temps à décrypter le sens subliminal de cet appel : en ce moment de douloureux exil, loin de mon pays, de mes amis, de mes frères et sœurs, de mon épouse, de mes enfants et de mes petits-fils, ignoré par ceux que je croyais être des alliés, soutiens et partenaires de combat, le Maître Zadi, mon père spirituel, tentait, de sa tombe, de me sortir de l’isolement narcissique et nocif, en m’ouvrant une porte de salut ! Je serais vraiment fou et irresponsable de la refuser. Guillaume Soro, fils de Kigbafori, vaillant cadet ayant aussi été instruit des enseignements de mon Maître, le temps de l’Alliance nouvelle et attendue a sonné. Je suis prêt pour la Grande Rencontre prédite. La tragédie, ce n’est pas l’échec ; mais le fait de n’avoir pas essayé de relever un défi et de séduire dame réussite ! Que donc s’accomplisse, pour notre pays, ce qui doit l’être !
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Tiburce Koffi
tiburce_koffi@yahoo.fr
Notes :
Fait symbolique : en avril 2011, c’est Guillaume Soro qui a fait exfiltrer Blé Goudé d’Abidjan, afin de lui préserver la vie. L’acte est hautement significatif : les fescistes se protègent entre eux, preuve qu’ils ont conscience qu’ils constituent, à l’instar des Francs maçons, un Ordre sacré d’alliances non destructibles. Un pacte secret et historique unit en effet les membres forts de la Fesci. Ils s’appellent d’ailleurs « Parents. » C’est une parenté d’ordre spirituel, idéologique et onirique, au-dessus des contingences factuelles. Blé Goudé, Yayoro, Blé Guirao, Damana Pickas, Guillaume Soro, Eugène Djué, Martial Ahipeaud, Doumbia Major… se retrouveront forcément un jour. Pour conquérir et prendre le pouvoir d’Etat.
Encore qu’ils sont loin d’être des incultes. L’élite de cette génération est riche d’un bon niveau académique et intellectuel.
Source: guillaumesoro.ci http://www.guillaumesoro.ci/edito/guillaume-soro-et-nous-les-sixteen-problematique-et-necessite-d-rsquo-une-rencontre-historique_13087_1498811190.html
« le Maître Zadi, mon père spirituel, tentait, de sa tombe, de me sortir de l’isolement narcissique et nocif, en m’ouvrant une porte de salut ! »
Ce Tirbuce Koffi est Intellectuellement et mentalement instable. C’est les symptômes de l’Alzheimer, melangés aux symptômes de Guilain Barré. C’est des signes qui ne trompent pas.