La mission de maintien de la paix de l’ONU s’achève
L’impunité et la nécessité de réformer les forces de sécurité menacent la stabilité
(Abidjan, le 30 juin 2017) – Alors que la mission de maintien de la paix des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) arrive à son terme le 30 juin 2017, le gouvernement ivoirien devrait redoubler d’efforts pour résoudre les graves problèmes de droits de l’homme à l’origine des violences politiques passées, a déclaré Human Rights Watch, la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), le Mouvement Ivoirien des Droits Humains (MIDH) et la Ligue ivoirienne des Droits de l’Homme (LIDHO) aujourd’hui.
La Côte d’Ivoire a bénéficié de plus de six ans de paix et de sécurité relatives après une crise post électorale dévastatrice en 2010-2011. Mais l’insuffisance des progrès réalisés par le gouvernement pour lutter contre la culture de l’impunité de longue date, réformer les forces de sécurité et renforcer les institutions de l’État de droit menacent les perspectives de paix et de développement à long terme du pays.
« La Côte d’Ivoire a commencé à tourner la page de la violence et des conflits qui ont brisé tant de vies et déchiré les communautés, mais il est trop tôt pour dire si ce rétablissement est durable », a expliqué Me Drissa Traoré, vice-président de la FIDH. « Les dividendes de la paix auxquels les Nations Unies ont contribué pourraient être remis en cause à moins que le gouvernement ne s’attaque de façon plus hardie à la lutte contre l’impunité et au manque de discipline dans l’armée. »
Depuis les affrontements meurtriers qui ont suivi les élections présidentielles de 2000 et plus tard le conflit armé de 2002-2003, les organisations de droits de l’homme internationales et nationales ont documenté des abus commis pendant les violences politiques et interethniques qui ont tourmenté la Côte d’Ivoire jusqu’à la fin de la crise post électorale de 2010-2011. Cette décennie de conflits et d’instabilité a été ponctuée de très graves violations des droits humains, notamment des exécutions extrajudiciaires, des actes de torture et des violences sexuelles ciblées, perpétrées par des membres des forces gouvernementales, de milices liées au gouvernement, de groupes d’étudiants et de forces rebelles.
La mission des Nations Unies a été établie en avril 2004 pour veiller au respect d’un accord de cessez-le-feu après le conflit armé de 2002-2003, les Casques bleus devant surveiller une « zone de confiance » qui séparait le sud contrôlé par le gouvernement et le nord aux mains des rebelles. Cette situation s’est poursuivie jusqu’aux accords de paix de Ouagadougou de 2007, qui ont préparé le terrain pour les élections présidentielles en 2010, et puis pendant la crise post électorale de 2010-2011.
Aïchatou Mindaoudou, représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies et chef d’ONUCI, a déclaré en juin que « des progrès mesurables ont été réalisés sur tous les fronts ». Les Nations Unies citent, à juste titre, les élections présidentielles de 2015 et les élections législatives de 2016, qui se sont déroulées dans le calme, comme preuve d’amélioration de la sécurité. De plus, un référendum constitutionnel de 2016 a supprimé une clause de nationalité controversée qui avait alimenté des décennies de tensions ethniques et politiques, même si la vote a été critiquée pour son manque de transparence.
Malgré ces avancées, le gouvernement du président Alassane Ouattara n’a pas entièrement réglé les principales problématiques liées aux droits humains qui ont contribué aux violences politiques et conflits passés.
Pendant la décennie d’instabilité qui a culminé avec la crise postélectorale de 2010-2011, la culture de l’impunité qui a permis aux responsables d’atrocités d’échapper à la justice a été un facteur clé d’abus répétés. L’ancien président Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, ancien leader des jeunes patriotes, sont jugés par la Cour pénale internationale pour des inculpations de crimes contre l’humanité. Cependant, la majorité des responsables militaires et des dirigeants impliqués dans cette décennie de graves violations des droits humains – dans les deux camps du clivage militaro-politique – n’a pas encore été traduit en justice.
Le gouvernement ivoirien a fait quelques progrès dans le renforcement du système judiciaire après des années de négligence. Mais le procès de l’ex-Première dame Simone Gbagbo pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre – une procédure entachée d’irrégularités – suscite des inquiétudes quant à la capacité du système judiciaire à juger de manière équitable et efficace les affaires d’atteintes aux droits humains. De plus, la promotion en janvier 2017 de plusieurs commandants militaires soupçonnés d’être impliqués dans les abus commis pendant la crise post électorale soulève des préoccupations sur de possibles interférences politiques dans les enquêtes judiciaires.
Le manque de responsabilisation pour les violations des droits humains est le signe d’un échec plus vaste dans la lutte contre une culture de l’impunité de longue date au sein de l’armée. Les mutineries en janvier et en mai 2017, lors desquelles des soldats ont pris le contrôle de la deuxième plus grande ville du pays et de quartiers de plusieurs autres villes, reflètent une perception plus large selon laquelle l’armée est « au-dessus des lois ».
La mission de maintien de la paix a dispensé une formation approfondie aux forces de sécurité, notamment sur le respect des droits humains, et l’armée a vu une réduction des atteintes aux droits humains commises par des soldats à l’encontre des civils. Mais, à plusieurs reprises, le gouvernement s’est abstenu de demander des comptes aux soldats pour ces crimes, depuis les atrocités de la crise post électorale jusqu’à l’exploitation illicite des ressources naturelles imputée à des commandants de l’armée, en passant par l’extorsion de fonds aux points de contrôle par des soldats subalternes. Un rapport du groupe d’experts des Nations Unies de mars 2016 a conclu que les anciens commandants rebelles « qui jouent un rôle de premier plan au sein de l’appareil de sécurité ivoirien, continuent d’avoir accès à des biens privés, des ressources financières [et] des armes ».
« C’est un cercle vicieux », a indiqué Me Yacouba Doumbia, président de MIDH. « L’incapacité du gouvernement à réduire les activités économiques illicites des soldats et l’accès de leurs commandants à des richesses privées et des armes complique davantage la possibilité de les traduire en justice pour d’autres abus. »
La découverte par les soldats qui se sont mutinés en mai d’une cache d’armes à Bouaké a mis en évidence l’insuffisance du processus de désarmement de la Côte d’Ivoire pour mettre la main sur des armes dissimulées dans des arsenaux privés. Le gouvernement a ouvert une enquête judiciaire et a indiqué qu’il s’efforcera de localiser les armes cachées dans d’autres lieux.
Bon nombre des tensions sous-jacentes qui ont attisé les violences ethniques passées demeurent non résolues, notamment le processus de réconciliation nationale inachevé et les questions foncières et d’accès à la terre. Même si les conflits fonciers sont moins fréquents, ils constituent toujours un facteur clé de violences locales, comme l’ont illustré par des affrontements entre communautés en mars 2016 à Bouna, qui ont fait des dizaines de morts et ont déplacé des milliers de personnes. En même temps que le gouvernement avance sur la mise en œuvre de la loi foncière de 1998, il devrait renforcer la capacité des autorités locaux à trouver des solutions aux tensions liées à la terre qui soient justes, durables et basées sur les droits.
Le départ des Casques bleus et les récentes mutineries soulignent la nécessité d’intensifier les efforts pour faire face à l’impunité de longue date et pour professionnaliser les forces de sécurité. Cela devrait inclure un système de justice militaire renforcé, ainsi que des mécanismes disciplinaires améliorés au sein de l’armée.
Les autorités devraient aussi tenir leur promesse de traduire en justice les individus, y compris les membres des forces de sécurité, impliqués dans les atrocités perpétrées pendant la crise post électorale de 2010-2011. Cela exige que le gouvernement apporte un soutien adéquat au système judiciaire pour mener à bien les enquêtes, ainsi que pour finir l’exhumation des corps dans l’ouest de la Côte d’Ivoire. La poursuite en justice des responsables haut placés, y compris ceux qui ont combattu dans le camp d’Alassane Ouattara pendant la crise, adresserait un message fort, selon lequel tous ceux qui recourent à la violence et aux atteintes aux droits humains dans les moments de tensions politiques doivent en assumer les conséquences.
« Avec le départ de la mission de maintien de la paix des Nations Unies, le gouvernement de la Côte d’Ivoire est désormais seul responsable de la gestion des défis en matière de droits humains qui menacent la stabilité à long terme », a expliqué Jim Wormington, chercheur pour l’Afrique de l’Ouest à Human Rights Watch. « Cela signifie lutter contre l’impunité et traiter les causes profondes des tensions ethniques et politiques. »
Commentaires Facebook