« Je crois d’un bon citoyen de préférer les paroles qui sauvent aux paroles qui plaisent » (Démosthène).
M. Henri Konan Bédié n’est pas connu pour être un diseur de Phébus, c’est-à-dire quelqu’un qui parle pour ne rien dire. Ceux qui le connaissent le mieux l’ont surnommé à juste titre le « Sphinx ». Ce n’est pas souvent qu’il parle, préférant le silence de celui qui observe, conscient que tous les silences ne font pas le même bruit. Quand il se décide à parler, même en très peu de mots bien choisis, chacun de nous est d’une manière ou d’une autre confronté à « la qualité et à la profondeur » de ces paroles. Dans la tradition gréco-romaine, le Sphinx est le poseur d’énigmes ; l’énigme étant cette voix codée, cryptée qui voile une autre voix. Que se cache-t-il dans les plis, que se dissimule-t-il dans le nœud gordiennement noué de la parole du Sphinx ? C’est là la question principielle qui se pose quand le Sphinx et celui qui l’incarne en politique ouvrent la bouche.
Henri Konan Bédié, c’est bien de lui qu’il s’agit, vient d’accorder une interview capitale à « Jeune Afrique ». En ces temps d’incertitudes et de suspicions où chacun se met à compter ses amis, le Sphinx a parlé. Encore une fois, sa parole donne lieu à toutes les interprétations, des plus philosophico-psychanalytiques aux plus hystériques. Quand l’on consent à s’émanciper de ses émotions, l’effort objectif est de tenter de renvoyer le texte à son ontologie. Quand M. Bédié parle, comme pour le Sphinx mythique, on ne peut pas ne pas se demander quel message se dérobe et se voile dans les plissements d’un mot, d’une phrase, d’une confidence… qui puisse nous permettre d’avoir de la lisibilité et de la clarté relativement à l’avenir de notre pays.
De ce point de vue, ceux qui laissent parler en eux l’ »epithumia » à la lecture de l’interview accordée par M. Bédié à « Jeune Afrique » ne sont pas à plaindre ni à condamner. Leur regard de Gorgones dans la presse ou sur les réseaux sociaux confirme qu’ils sont effectivement dans l’émotion et pensent donc avec ce qui n’est pas fait pour penser : le cœur, le ventre et/ou le bas-ventre. Par contre, ceux qui se sont donné la peine de faire une lecture philosophico-psychanalytique ou politologique des propos du « Sphinx de Daoukro » ont un certain mérite, et peut-être même, un mérite certain ; car, comme eux, nous croyons qu’il est des paroles qui chiffrent le sens, qui plient les mots et les phrases sur eux-mêmes de manière à voiler leur référence et nous obligent, de ce fait, à les chercher. Il en est ainsi des mots de M. Bédié. Il faut les écouter, et non pas les entendre. Il faut les regarder et non les voir. Il faut les lire et non point les survoler. On comprendra alors qu’il n’est pas impossible de découvrir une autre voix, un autre message soustrait à l’intelligence émotive et spontanée.
Dans cette interview où il assume sa posture de mentor et d’oracle, Henri Konan Bédié délivre une parole essentielle en ce qu’elle est programmatique pour le destin de notre nation. Ce qui signifie qu’il est de plain-pied dans le thétique et non dans l’hypo-thétique. Il ne spécule pas. Il ne suppose pas. Il affirme, témoigne, certifie. Il ne s’agit pas d’hypothèse. Bédié déroule sa thèse qui n’est rien d’autre que la synthèse « apaisante » de nos contradictions et de nos ambitions débridées. Sous nos yeux contemporains, qui ne voient hélas toujours que ce qu’ils veulent bien voir, l’héritier politique d’Houphouët-Boigny dessine la carte de la Côte d’Ivoire avec l’élection présidentielle de 2020 comme terminus a quo, comme point de départ d’une nouvelle espérance qui ne peut voir le jour qu’à la condition d’un retour aux origines, en commençant donc par le commencement, c’est-à-dire par le parti par qui tout a pris forme : le PDCI-RDA !
On peut ne pas partager ses thèses, on peut même tenter toutes les contorsions intellectuelles et enfourcher Pégase pour faire dire à M. Bédié ce qu’il ne dit pas, ou encore scotomiser et, donc, ne pas vouloir lui faire dire ce qu’il a clairement dit ; il faut reconnaître toutefois que les mots de cette interview ont le mérite cartésien de la clarté et de la distinction. En réalité, cette interview résonne à la fois comme le discours de la méthode, la lecture expliquée et le dévoilement intégral, de ce qui se camouflait alors dans l’Appel de Daoukro, conçu alors par lui (nous le comprenons désormais) comme une Charte pour la stabilité de la Côte d’Ivoire jusqu’à 2030, à tout le moins, comme terminus ad quem ! Pour ceux qui avaient rejeté l’Appel de Daoukro, beaucoup de choses s’éclairent aujourd’hui d’elles-mêmes à partir de cette interview de portée testamentaire qui prend date. A ceux qui, aujourd’hui, dans une lecture non pas holistique, mais atomistique, saucissonnante et partisane, pourraient penser qu’en se faisant le chantre de l’alternance pour 2020 en faveur du PDCI-RDA, M. Henri Konan Bédié joue contre leurs intérêts avec une condescendance jupitérienne, nous voudrions leur suggérer de lire une de ses paroles dans son interview. Cette réflexion qui nous parle à tous, à toutes les castes et à toutes les factions, et principalement à tous ceux qui ne semblent pas trouver leur compte dans la posture du Président du PDCI, nous semble la plus précieuse en ces temps de tintamarre et de tentation : « Il faut de la patience, de la sérénité…Le temps est un facteur important ».
Nous sentons bien dans ces paroles d’une concision et d’une précision compassées que le sage ne veut pas se tromper et, surtout, ne veut pas tromper. Quel mérite aurait-il à son âge à tresser des couronnes pour ceux qui n’en sont pas dignes et à offrir la tunique de Nessus (symbole du cadeau empoisonné) à ceux qu’il considère comme ses « protégés » ? Aucun ! Henri Konan Bédié se veut un guide : « ceux qui, comme moi, sont là pour guider… », dit-il. Un homme qui parle ainsi ne peut être qu’un sage qui sait de quoi il parle et qui sait ce que veut dire parler et ce que parler…veut dire. Devant ce qui lui paraît le bien le plus précieux, la stabilité politique, il nous invite, dans le sillon tracé par Descartes, à changer « nos désirs plutôt que l’ordre du monde ». Son discours est un discours de la raison politique, parce que la raison d’un tel discours est éminemment politique. Et la politique, selon les Grecs anciens, organise et structure la capacité des hommes à vivre ensemble !
Pour la Coordination universitaire du Département du Secrétariat Exécutif chargé des Groupes Socio-professionnels et Mouvements Associatifs (GSPMA).
SIMPLICE YODE DION
Membre du Bureau politique du PDCI-RDA
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