Côte d’Ivoire: Soro joue à quitte ou double

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Ferro M. Bally

Le quotidien ivoirien Le Patriote a sonné l’alerte. «Curieuse déclaration d’un groupe de parlementaires: A quel jeu jouent ces députés? Cachent-ils un agenda secret?» s’interroge, inquiet et sur ses gardes, le porte-voix officiel du RDR à sa Une du samedi 10 juin 2017.

La veille, en effet, une quarantaine de députés de la première législature de la IIIè République a porté sur les fonts baptismaux un mouvement politique baptisé L’Alliance du 3 avril. Ces parlementaires, tous de l’écurie de Soro Kigbafori Guillaume, se placent sous la bannière du discours de rentrée du président de l’Assemblée nationale tenu le 3 avril 2017 dans l’hémicycle pour appeler au pardon et à la réconciliation nationale en Côte d’Ivoire.
«Tant que la nécessité s’en fera sentir, les députés membres de l’Alliance du 3 avril iront à la rencontre des partis politiques, des leaders d’opinion, religieux, des chefs traditionnels ainsi que des Ivoiriens pour préparer le lit du retour définitif de la paix en Côte d’Ivoire», explique le député Alain-Michel Lobognon Agnima, fidèle parmi les fidèles de Soro Kigbafori Guillaume, et initiateur du mouvement.
Espérant battre en brèche toute la méfiance, Lobognon prend grand soin de déminer le terrain et montrer patte blanche. D’un, le mouvement n’est pas un parti politique concurrent du RDR. De deux, il n’a pas été créé en prévision de la présidentielle de 2020 à l’effet de présenter ou soutenir un candidat.

Mais la réaction à brûle-pourpoint du quotidien Le Patriote indique toute la suspicion qui frappe ce vrai-faux mouvement. Car c’est en procédant ainsi qu’Emmanuel Macron a réalisé son parfait coup de Jarnac en France. Il a endormi l’establishment politique hexagonal avant de surprendre tout le monde et remporter, haut la main, la présidentielle du 7 mai 2017, en semant, ironie du sort, la zizanie dans tous les grands partis politiques classiques.
Le 6 avril 2016, le ministre français de l’Économie a lancé le mouvement politique baptisé «En marche». Celui-ci, défendait son créateur, ne sera «pas à droite, pas à gauche». Ce sera un «mouvement ouvert» auquel il serait possible d’adhérer tout en restant adhérant d’un «autre parti républicain». Macron s’est interdit toute ambition pour 2017. «Ce n’est pas un mouvement pour avoir un énième candidat de plus à la présidentielle, ce n’est pas ma priorité aujourd’hui. Ma priorité, c’est la situation du pays», a-t-il assuré pour cacher son jeu.

On connaît la suite de ce jeu de cache-cache: Macron est le huitième président de la Vè République française. De ce fait, L’Alliance pro-Soro apparaît comme un hologramme ou un clone du mouvement macronien «En marche». Les deux mouvements ont les mêmes éléments de langage et affichent la même ambition incolore et inodore pour être le bon passe-partout: face aux blocages de la société, construire quelque chose d’autre.
Mais si en France la mayonnaise a pris, en Côte d’Ivoire le mouvement risque, malgré ce thème fort de la réconciliation qui appâte certains dans un pays profondément divisé, de prêcher dans le désert aussi bien chez les uns que chez les autres.

Chez les uns, les partisans de Laurent Gbagbo et militants du FPI en particulier, Soro Guillaume est noir comme le diable. C’est lui qui revendique la rébellion armée de septembre 2002 qui a endeuillé le pays, à l’effet de renverser les Institutions républicaines.

Pis, Soro qui a conduit le processus électoral de 2010 a trahi toute la confiance de Laurent Gbagbo qui le qualifiait du «meilleur de (ses) Premiers ministres de la période de crise». «Entre le président de la République et moi, il ne peut y avoir de trahison. Le président me connaît et cela ne date pas d’aujourd’hui», déclarait-il aussi pour affirmer sa loyauté au moment où son mouvement rebelle affichait officiellement sa totale neutralité entre les différents candidats à la présidentielle.

Mais au déclenchement de la crise post-électorale, il a jeté les masques pour devenir juge-arbitre: il a basculé dans le camp de Ouattara en étant Premier ministre et voué Laurent Gbagbo aux gémonies. Il est ainsi comptable de la grave fracture sociale et de tous les excès du pouvoir Ouattara (rattrapage ethnique, justice des vainqueurs, etc.).

Chez les autres, les partisans d’Alassane Ouattara et militants du RDR en particulier, Soro n’est pas le bienvenu. Il est le parvenu qui veut couper l’herbe sous les pieds des fondateurs du parti. Les critiques vont de son «opportunisme» à son «parachutage» au RDR en passant par son «militantisme douteux».

Si Emmanuel Macron était un ministre très populaire en France qui a voulu voler de ses propres ailes sans s’encarter dans un parti politique (car s’il se réclame de gauche, il n’a jamais eu la carte d’adhésion au Parti socialiste français), Soro Guillaume, lui, a louvoyé, jouant au chat et à la souris avec le RDR à qui il disait Oui et Non quand celui-ci lui faisait une cour assidue.

Le conclave des Forces nouvelles tenu à Bouaké les 10 et 11 septembre 2011 a en effet pris acte de la dissolution des Forces armées des Forces nouvelles (FAFN, la branche militaire) par son intégration aux Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) devenues aujourd’hui FACI. Au même moment, le conclave a recommandé à la branche politique de laisser la latitude aux cadres le loisir de militer dans le parti de leur choix.

Des cadres de l’ex-rébellion armée dont Konaté Sidiki et Affoussiata Bamba-Lamine ont officiellement atterri au RDR, pas Soro qui se donnait du temps afin de tirer un meilleur avantage de son adhésion, par la grande porte, au parti. Mais cette stratégie a foiré parce que le RDR a trouvé une béquille et un allié de poids, le PDCI-RDA, l’ex-parti unique, dans le cadre du RHDP, la plate-forme politique au pouvoir.

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De guerre lasse et afin de ne pas griller ses cartes, Soro a choisi d’adhérer au RDR. «Chers parents, la Côte d’Ivoire a renoué avec la paix. C’est parce que la Côte d’Ivoire a renoué avec la paix, que je reprends ma place au sein du RDR. J’étais allé en mission me battre, j’étais allé au front. Maintenant que la Côte d’Ivoire a repris et noué avec la paix, je reprends ma place au RDR et ensemble nous allons mener le combat politique. Ensemble nous serons autant redoutables sur ce terrain politique», déclarait-il, le 4 avril 2015, au cours d’un meeting dans la commune abidjanaise de Koumassi devant une foule acquise à sa cause pour lancer l’assaut.

Cette déclaration ne fera pas que des heureux dans la Case. Elle va mettre le feu aux poudres car Soro lançait une OPA sur le RDR. En pensant à 2020 pour succéder à Alassane Ouattara à la présidence de la République, il lorgnait le fauteuil de président du RDR au 3è Congrès ordinaire du parti prévu alors en 2016, à l’effet de disposer d’une machine politique.

«On ne peut pas empêcher les rumeurs d’aller bon train. Sachez que le RDR va organiser un Congrès ordinaire au cours duquel le nouveau président sera élu. Si à ce Congrès-là, certains militants pensent que je peux assumer le job, je ne me défausserai pas», soutenait-il sur son blog du vendredi 19 juin 2015 pour se mettre à dos tous les dinosaures et autres apparatchiks du RDR.

De ce fait, Soro est aujourd’hui l’homme à abattre dans une lutte fratricide et sans quartier. Surtout qu’avec ses lieutenants, il est à mots à peine couverts soupçonné de velléités déstabilisatrices. Il est directement accusé de comploter ou de tirer les ficelles de toutes les manifestations de colère ou de protestation (mutinerie à répétition des soldats, manif contre les factures d’électricité, descente dans la rue des démobilisés, etc.) qui fragilisent le pouvoir Ouattara.

Représentant donc un danger potentiel, Soro est épié dans ses moindres faits et gestes. Car, le 4 avril 2016, un rapport rédigé par des experts indépendants des Nations unies l’accablait: «Le groupe (Groupe d’experts sur la Côte d’Ivoire) a documenté l’acquisition de quantités pertinentes d’armes et de munitions, estimées à 300 tonnes, par les Forces nouvelles à la suite de la crise post-électorale. Guillaume Soro a traité directement l’acquisition du matériel».

Acculé de toute part par ces déclarations du comité de suivi de l’embargo, Guillaume Soro n’a pas tardé à réagir vigoureusement: «Les enquêteurs sont des farceurs médiocres. Il ne reste plus qu’ils nous accusent d’avoir des armes de destruction massive.» Mais un an plus tard, voilà que les «farceurs médiocres» de l’ONU pourraient avoir tapé dans le mille.

Le 16 mai 2017, en marge de la manifestation de protestation des démobilisés (ex-rebelles ayant déposé les armes sans être intégrés dans aucune force républicaine), le Gouvernement, par la voix d’Alain Richard Donwahi, ministre délégué auprès du chef de l’Etat en charge de la Défense, a révélé la découverte d’une cache d’armes au domicile sis à Bouaké de Koné Kamaraté Souleymane dit Soul To Soul, directeur de protocole de Soro Guillaume.

C’est un arsenal d’environ 15 tonnes d’armes lourdes et légères. L’Etat a diligenté une enquête. De plus, les autorités ont décidé de faire revenir ces mêmes experts indépendants des Nations unies pour appuyer l’enquête en cours pour déterminer l’origine de ces armes.

Aussi, à la cérémonie préfabriquée de pardon de la population au chef de l’État, le 5 août 2016 à Bouaké, au lendemain des manifestations de colère et de violence contre les factures d’électricité en juillet, le ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, Hamed Bakayoko, tirant les marrons du feu, n’a-t-il pas eu la langue de bois.

Il s’en est directement pris à son ennemi intime qu’il a considéré comme fauteur de troubles. «Ce n’est pas en cassant que l’on va t’élire», a fulminé Bakayoko à l’intention de l’ex-secrétaire général de la rébellion armée. Pour lui rappeler qu’il n’a qu’un seul «mérite»: la rébellion armée à laquelle il doit sa fonction de député et son poste de président de l’Assemblée nationale.

De chouchou dans sa guerre menée contre le pouvoir de Gbagbo, Soro Guillaume est devenue aujourd’hui la brebis galeuse malgré ses mises en garde directement à l’intention d’Alassane Ouattara. Le 18 septembre 2016, célébrant le 14è anniversaire de la rébellion armée, il soutenait que «la stabilité du monde tient au respect de la parole donnée entre les hommes, mais aussi à la peine que ceux qui dirigent les hommes fournissent pour être bien entourés». «Toute la richesse du monde ne vaut donc ni la paix, ni la justice, ni la fraternité humaine que nous recommande la sagesse. D’où la nécessité de bien choisir des ‘lèvres instruites’ pour nous éclairer», avait-il poursuivi.

S’il a été écouté, il n’a pas été entendu. Dans ce désert fait d’impasse et dans un environnement délétère fait d’hostilité, Soro Guillaume prend les devants pour susciter un mouvement politique à double détente: se donner une bouffée d’oxygène et se frayer une issue de secours.

Il joue manifestement à quitte ou double. Car si aux yeux des uns, c’est le médecin après la mort et un réconciliateur qui apparaît peu crédible, aux yeux des autres, il use de subterfuges politiques et d’enfumage pour se faire une virginité et adouber.

FERRO M. Bally

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3 réflexions au sujet de “Côte d’Ivoire: Soro joue à quitte ou double”

  1. A tous ceux qui vont tenter de Défendre ou tentent de peindre en Chantre de la Réconciliation et la Paix , GUILLAUME SORO,

    ATTENTION aux Lois à l’oubli !

    SORO Guillaume n’est pas le chantre de la Réconciliation et du Pardon comme ses Sbires, partisans, et lui même tentent de vendre aux ivoiriens ces jours, intentions non-sincères
    dont le seul but est de tenter d’échapper à la justice internationale en s’accordant une immunité au travers d’une loi d’amnistie ou par sa prise du pouvoir par tous moyens en 2020, de la présidence de la République de côté d’ivoire.

    SORO est un Criminel Génocidaire.
    Un homme qui veut la Réconciliation et le Pardon sincère n’ Hurle pas haut et fort le même Jour Assumer la RÉBELLION en méprisant les nombreuses familles des victimes et les victimes qui ont subi les massacres et drames de cette Rebellion. C’est un chef Rebelle qui s’est imposé aux ivoiriens par les Armes et les massacres, et qui ne doit ses postes politiques et de Président de l’assemblée nationale qu’ aux armes et à la violence. ATTENTION aux Loi à l’oubli !!! On ne passe pas en perte et profit le massacre des innocents au motif de la « Réconciliation « . GBAGBO et Blé Goudé sont entrain de payer et à juste titre pour leur Responsabilité dans les violences et les Massacres en leurs noms depuis des années. Au nom de la réconciliation certains ne vont pas trouver le motif d’y échapper.

    le haut commissariat des droits de l’homme des nations Unis (ONU) dans un rapport publique accusait les Forces nouvelles sous la Responsabilité de SORO Guillaume d’etre coupables d’exactions graves et du massacre des gendarmes et leurs enfants dont plusieurs enfermés dans un Conteneur en plein soleil à Bouaké. La mème ONU l’accuset de la violation des embargos sur les Armes car Guillaume SORO détiendrait au minimum 300 Tonnes d’armes lourdes reparti sur le territoire ivoirien. Le Génocide de Doukoué perpétré par LOSS obéissant à son patron Guillaume SORO alors Ministre de la défense et Premier ministre.
    Merci

  2. Ferro Bailly reste un grand : article richement documenté, fait mis bout à bout, dates précises,… cela s’appelle du travail de journaliste. La clique à Touré Moussa qui bataille pour le contrôle d’une association de maîtres-chanteurs (UNJCI) devraient en prendre de la graine. Sinon, je réponds oui à l’appel à la paix et à la réconciliation de Soro. Pour son ambition pour 2020, nous en rediscuterons le moment venu, après la réponse cette question : quel est son bilan de gouvernance après les 8 ans d’administration de la zone CNO ? Et subsidiairement, est-ce le modèle de gouvernance qu’il compte appliquer à l’ensemble des 322.000 km2 ?

  3. Je suis étonné. Mais, pas surpris. En fait, je m’attendais à ces réactions, un peu hostiles, face à la volonté de GKS d’œuvrer pour la réconciliation des Ivoiriens.

    Que l’on expose les péchés d’autrui comme argument, pour refuser, voire s’opposer à tous projets initiés, relève de la méchanceté nauséabonde et laide.
    Ceux-là auraient crucifié le Christ pour avoir rendu visite au collecteur d’impôts.
    Ceux-là auraient jeté la pierre à la femme prostituée, même sous le regard du Christ. Tellement, ils sont convaincus qu’ils n’ont jamais péché.

    Mais, ce qui rend triste, c’est lorsque l’exposition à la vindicte populaire est faite par des gens qui sont là, grâce à celui-là même qu’ils demandent de lapider.
    Les Chrétiens reconnaîtront ici, toute la ressemblance à l’œuvre de Juda.  » Il devait faire ce qu’il avait à faire « .

    Mais diantre, que vaut la repentance sur cette terre des hommes ? Qui n’a jamais péché ?

    Ivoiriennes, mes soeurs,
    Ivoiriens, mes frères,
    GKS est notre frère, qui nous a fait du tors. Certe. Mais, il se repent et prône le pardon et la réconciliation.
    En adhérant à son projet on fait acte de bon sens, d’une part. Puis, en contribuant à structurer ce projet avec lui, on fait preuve d’un niveau intellectuel et d’intelligence suffisant pour éviter la manipulation, d’où qu’elle vienne. On évite aussi, ainsi, d’aider un éventuel nouveau « Juda » de nous mêler à son oeuvre, de nous manipuler.

    Je dis et je répète que GKS est cet exclave qui cherche à s’affranchir de ses maîtres.
    Voyons que si c’est aujourd’hui que tout sort sur l’individu, c’est parce qu’il a vraiment servi le maître, qui se sent abandonné. Pourquoi c’est maintenant que tout sort de la part des maîtres d’antan ?

    Ivoiriennes, mes soeurs,
    Ivoiriens, mes frères,
    GKS est notre frère, il n’abandonnera pas le pays dans le désastre. C’est lui seul qui maîtrise nos jeunes soldats. C’est lui qu’ils respectent. Aidons GKS à réussir la réconciliation des Ivoiriens. Écartons- nous des combats d’intérêt pour ne retenir que l’idée. Nous sommes obligés de vivre en semble. Faisons l’effort d’essayer GKS. Il nous a montré qu’il peut réussir là où certains échouent. Il l’a fait pour eux. Pourquoi ne le ferait-il pas pour nous ? Quand il faisait pour eux, en avons-nous entendu parler en mal? Pourquoi subitement il est infréquentable quand il doit maintenant servir l’intérêt général ?
    Ivoiriennes, mes soeurs,
    Ivoiriens, mes frères,
    Ouvrons les yeux. Nous qui n’emargeons pas à la présidence ni dans les ministères, nous avons besoin de paix pour éduquer nos enfants à la sueur de nos fronts.
    Aussi, tous projets de paix nous interpellent.
    Sortons des querelles de chapelles et regardons à nos intérêts. C’est la paix. Donnons à GKS la chance d’essayer. Et s’il réussit, alors accompagnons le jusqu’en 2020.

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