Assassinat présumé de Mgr Jean-Marie Benoît Bala au Cameroun: « Le silence troublant du Vatican »

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“Nous attendons des enquêtes sérieuses de la part du gouvernement. Il faut approfondir les recherches pour savoir ce qui lui est arrivé, comment il a pu se retrouver là. Un évêque de la trempe de Mgr Jean-Marie Benoît Bala ne se suicide pas … Et puis, c’est un cas de figure plutôt rare dans l’histoire de l’Église. Les évêques ne se suicident pas.” Difficile d’adhérer à la thèse du suicide si on se fonde sur ces propos de l’archevêque de Bamenda (Mgr Cornelius Esua Fontem) et si on se fie au témoignage du directeur de publication du quotidien “L’Anecdote” selon lequel “les jambes ainsi que les bras du prélat ont été fracturés”. Prêtres ou religieuses assassinés avant d’être délestés de certaines parties de leur corps (le cœur, l’appareil génital, la langue, le cerveau, etc.), on croyait que ces pratiques ignobles et barbares avaient cessé au Cameroun après le meurtre d’Engelbert Mveng, le 21 avril 1995. On pensait que les assassins et leurs commanditaires avaient enfin compris que la vie humaine est sacrée et que rien ne peut justifier le fait qu’un homme l’ôte à un autre homme. Avec le décès tragique de l’abbé Armel Djama (10 mai 2017) et de Mgr Jean-Marie Balla (2 juin 2017), on se rend malheureusement compte que rien n’a changé dans le Cameroun de Paul Biya, que les sacrifices humains et crimes rituels sont devenus une seconde nature pour certaines personnes dont on dit qu’elles ont besoin de verser le sang d’autrui chaque fois qu’elles doivent affronter une élection ou monter en grade dans la Franc-Maçonnerie et les autres sociétés secrètes auxquelles elles appartiennent. Et pourtant, aucun Camerounais, quel que soit le désaccord qu’il puisse avoir avec ceux qui sont au pouvoir depuis 1982, ne mérite de subir une mort atroce, tout comme le Cameroun ne mérite pas que ses fils et filles continuent de se taire devant ces crimes odieux et atroces, de s’y résigner, comme si toute la société était impuissante, jusqu’à ce que les tueurs fassent de nouvelles victimes. Car il importe de savoir que ce qui est arrivé à Jean-Marie Balla peut arriver à d’autres Camerounais si chacun se contente de pleurer, de maudire les assassins dans son coin et de dire “On va faire comment?”, si l’ensemble des Camerounais ne se lèvent pas pour se dresser contre ce pouvoir qui tue froidement quiconque ose le contredire tout en se targuant d’avoir fait le petit ou le grand Séminaire. “Toutes les dictatures, tous les terrorismes, tous les fascismes ont commencé parce que, devant les premiers viols du droit, on est resté muet”, affirmait l’abbé Pierre (cf. Bernard Violet, “L’abbé Pierre”, Paris, Fayard, 2004, p. 318). Peut-être le régime aurait-il arrêté de tuer si le peuple camerounais avait réagi comme il faut aux premiers assassinats: se soulever. Une révolution n’est jamais faite par quatre ou cinq individus. Elle n’est pas seulement l’affaire des journalistes, ni de tel ou tel universitaire, ni de l’épiscopat catholique. C’est plutôt le peuple dans toutes ses composantes (professionnelles, religieuses, ethniques et linguistiques) qui doit s’indigner, réclamer justice et vérité et crier “trop, c’est trop; plus jamais ça dans notre pays!” Aucun pouvoir ne peut tenir face à ce peuple déchaîné et déterminé. Il est temps d’en prendre conscience. Le moment est venu pour que chacun cesse de s’imaginer qu’il s’en sortira tout seul et que réussir sa vie, c’est avoir une voiture, une maison, un mari/une femme et des enfants étudiant à l’étranger. Même si ces choses sont importantes, elles ne mesurent pas le poids ou la valeur d’un être humain. La vie est plus que manger du ndolè avec du poisson braisé, le tout accompagné d’un bon vin bordeaux. Et je suis pleinement d’accord avec Frantz Fanon quand il considère que “nous ne sommes rien sur terre, si nous ne sommes pas d’abord l’esclave d’une cause, celle des peuples et celle de la justice et de la liberté” (Lettre à Roger Taïeb, 1961). Pour quelle(s) cause(s) les Camerounais sont-ils prêts à se battre aujourd’hui s’ils ne veulent pas périr tous comme des idiots? À part la satisfaction du ventre et du bas-ventre, quel idéal poursuivent-ils? Quels sacrifices sont-ils capables de faire ensemble pour que leur pays ne soit plus celui du crime, pour reprendre la formule de feu Charles Ateba Eyene (cf. “Le Cameroun sous la dictature des loges, des sectes, du magico-anal et des réseaux mafieux : De véritables freins contre l’émergence 2035”). La mort d’honnêtes citoyens n’est pas une fatalité. Le Cameroun n’est pas condamné à voir ses meilleurs fils finir leur vie comme Jean-Marie Benoît Bala. Il y a quelque chose à faire, collectivement et urgemment, contre le Léviathan. Pour cela, les Camerounais de la diaspora et ceux qui vivent sur place doivent se donner la main, se revendiquer d’abord de la nation et non de l’ethnie, se hisser un tout petit peu au-dessus des contingences matérielles et immédiates.

En attendant qu’advienne ce sursaut ou réveil, il n’aura échappé à personne que, jusqu’au 4 juin 2017, le Vatican n’avait pas encore réagi à l’assassinat de Mgr Bala sur le site internet de Radio Vatican alors qu’il avait condamné, rapidement et vigoureusement, “le meurtre barbare” de Jacques Hamel, le prêtre égorgé le 26 juillet 2016 en pleine messe dans une église de Saint-Étienne-du-Rouvray, près de Rouen (Seine-Maritime). C’est le même silence que garda Rome après le lâche assassinat du Père Engelbert Mveng. En 2010-2011, les autorités vaticanes ne dirent ni ne firent rien quand un président démocratiquement élu fut renversé et bombardé dans la résidence présidentielle par la France et que des milliers d’Ivoiriens furent massacrés par les mercenaires de Dramane Ouattara appuyés par l’armée française alors que, pour moins que cela (l’expulsion de 8.000 Roms de France par Sarkozy en 2009), Benoît XVI avait frappé du poing sur la table. En un mot, il est rare que le Vatican lève le petit doigt contre les crimes commis depuis 1960 par les dirigeants français en Afrique francophone et leurs sous-préfets de présidents. Face à ce silence de cathédrale, que certains interprètent comme une complicité avec ceux qui pillent l’Afrique, on est forcément conduit à se demander si l’indignation et les condamnations de la haute hiérarchie catholique ne sont pas sélectives, si, pour les autorités vaticanes, la vie du Noir n’a pas moins de valeur que celle du Blanc, pourquoi il est plus facile au Pape de s’associer “à la douleur et à l’horreur” en France qu’au Cameroun. Jean-Paul II (en 1995) et son successeur (en 2008) auraient demandé que la lumière soit faite sur les assassinats de prêtres au Cameroun. À supposer que cela soit vrai, cela est-il suffisant? Non, car il faut aussi suivre et poursuivre l’affaire et, au besoin, prendre des sanctions telles que la rupture des relations diplomatiques. Or, alors que les enquêtes sur lesdits assassinats n’ont jamais abouti, ceux qui les ont commis communient tranquillement et sont reçus en grande pompe au Vatican.

C’est toute la question du prophétisme chrétien qui est posée ici. Rappelons brièvement que le mot “prophète” (“pro” et “phemi”, en grec) signifie “parler pour, parler en face, parler devant”. Le prophète est ainsi “la voix des hommes sans voix, celui qui est capable, partageant la douleur de ceux qui souffrent, de se dresser et de crier au milieu du peuple, à la face des Grands, quels qu’ils soient et quels que soient le régime et la constitution. Le prophète, c’est la grande gueule, celui qui se dresse entre un pouvoir aveugle et un besoin muet.” Mais l’abbé Pierre ajoute: “Qui dira au prince son fait si le prophète lui devient son semblable?” (cf. Albine Novarino, “Préceptes de vie de l’abbé Pierre”, Paris, Albin Michel, 2009). L’Église catholique n’a-t-elle pas cessé d’être prophétique? Ne s’est-elle pas conformée au monde et à ses critères? Le témoignage de Jean-Baptiste et des prophètes de l’Ancien Testament (Ézéchiel, Jérémie, Amos, Nathan), impitoyables pourfendeurs de l’injustice et de toute forme d’idolâtrie, lui parle-t-il encore? N’a-t-elle pas accepté de plaire aux riches et puissants de ce monde et de courber l’échine devant eux? Que personne ne voie de l’impertinence dans ce questionnement. L’auteur, en s’interrogeant à haute voix, souhaiterait simplement rappeler que Jésus n’a pas légué à ses disciples des tranquillisants mais un message subversif (Christian Duquoc, “Jésus, homme libre”, Paris, Cerf, 2003) et que chaque baptisé, qu’il soit pape, évêque, prêtre ou fidèle laïc, devrait se laisser interpeller par les paroles fortes de François : “ L’Église qui naît à la Pentecôte est une communauté qui provoque de la stupeur car elle annonce un message nouveau (la Résurrection du Christ)… Certains à Jérusalem auraient préféré que les disciples, bloqués par la peur, restent enfermés chez eux pour ne pas créer de la pagaille. Aujourd’hui encore, beaucoup veulent cela des chrétiens. À la place, le Seigneur ressuscité les pousse vers le monde… L’Église de la Pentecôte ne se résout pas à être inoffensive, trop « distillée »… Elle ne veut pas être un élément décoratif. Elle n’hésite pas à sortir pour annoncer son message, même si celui-ci dérange et inquiète les consciences, même si ce message suscite peut-être des problèmes, et même si parfois il conduit au martyre.” (cf. Regina Caeli du 8 juin 2014)

Jean-Claude DJEREKE

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