«Les ingrats ont une mémoire fabuleuse, car inexistante» (Nouhad Mansouri).
Notre monde est rempli de gens qui ont rendu tellement de loyaux services ou ont montré un sens patriotique si rare, mais qui, en retour, ont été payés en monnaie de singe. Ce sont souvent des gens biens, des hommes d’honneur qui nous aident, parfois au péril de leur vie, à sortir la tête de l’eau ou à nous hisser au sommet de la gloire. Ce sont des hommes et des femmes d’une fidélité d’Achate (Achate fut le fidèle et dévoué compagnon du Prince troyen Enée) qui ne marchandent pas leur soutien et leurs prières tout le long de notre chemin de croix et de notre traversée du désert, jusqu’à ce que la vie nous ouvre ses bras avec une promesse de lait, de miel et de gyrophares en abondance. Ces gens-là passent pour des citoyens honnêtes et courageux qui ont pris des risques inimaginables pour nous sauver de l’horreur de la tyrannie et des chaînes de l’oppression. Mais comment le leur rendons-nous ? Leur sommes-nous toujours reconnaissants, et leur manifestons-nous suffisamment de gratitude ?
Au début, nous reconnaissons leurs bienfaits et les louons d’autant plus qu’ils nous redonnent vie, espoir, fierté et dignité. Mais très rapidement, nous commençons à les jeter aux oubliettes, ou même à les mépriser. Bien souvent, moment incompréhensible et surprenant, il nous arrive de cracher à salves soutenues sur ce bel agir et nous nous attelons à mettre en pièces détachées et irrécupérables notre bienfaiteur. Je crois que le schéma est toujours le même dans la vie privée comme en politique. Dans la vie privée, on peut toujours faire de l’ingratitude un vice moral. Mais, en politique, lieu par excellence du calcul et de l’intérêt, peut-on valablement faire de la gratitude une vertu et de l’ingratitude, un vice ?
Je m’interroge : pourquoi des bienfaits inouïs et prodigieux doivent-ils être toujours récompensés par des blessures outrageantes ? Pourquoi le salaire du bel agir devrait-il toujours être le mal agir ?
Prenez ce pauvre indigent sous votre aile protectrice et traitez-le comme votre propre fils, il deviendra plus tard le redoutable ennemi qui vous fera mordre la poussière ! Battez-vous corps et âme, et faites de ce quidam un homme important et incontournable du pays, il y a de grandes chances qu’il vous renie trois fois avant même que le coq n’ait songé à chanter ! Investissez toute votre fortune et gaspillez votre vigueur et votre jeunesse pour donner le pouvoir d’Etat à un proche, un ami d’enfance, un aîné adulé, un associé honnête, il veillera, une fois installé solidement, à vous détruire méthodiquement et impitoyablement avant de vous jeter dans la corbeille de l’histoire ou de vous livrer en pâtures à vos ennemis ! Mettez votre vie dans la balance et libérez votre peuple des griffes d’un pouvoir autocratique, bientôt vous ferez l’amère expérience de l’amnésie et de l’inénarrable ingratitude des peuples, toujours prêts à vous balancer du haut de la roche tarpéienne.
Vous et moi connaissons des gens qui ont tout donné – et peut-être aussi tout perdu dans le même temps – pour installer leur Parti et leur Mentor au pouvoir et qui, pour cela même, sont comme oubliés dans le partage du butin national, s’ils ne sont pas purement et simplement houspillés, humiliés, battus, combattus et… abattus ! Vous et moi avons vu comment le vaillant soldat Daddis Camara donna espoir au peuple guinéen, et comment il fut « récompensé » par cette balle inamicale tirée par une main amicale dans son pauvre crâne de « Sauveur du peuple » ! Vous et moi fûmes témoins du curieux destin du général Sanogo, héros éphémère, salué par tout le peuple malien après son coup de force, et traité aujourd’hui comme si ce Mali actuel ne lui devait absolument rien ! Et que dire de celui qu’il a renversé, le Président ATT, qui jadis chassa le dictateur Moussa Traoré et offrit une chance à la démocratie dans son pays ? Les Maliens s’en souviennent-ils encore ? Ce héros qui s’est exilé de sa patrie méritait-il un tel sort ? Qui se souvient encore (sacrilège des sacrilèges !) que l’immense et irremplaçable Félix Houphouët-Boigny, Père et Bâtisseur de la Côte d’Ivoire moderne, ce « parfait magicien ès sciences politiques africaines » fut traité, vers la fin de son règne, de « voleur » par les enfants de ceux pour qui il s’était battu toute sa vie durant ?…
Je m’interroge à nouveau : peut-on parler d’ingratitude et/ou de reconnaissance dans une relation de nature « politique », c’est-à-dire une « amitié entre le pied et la main » ? La main soigne toujours le pied blessé ; mais est-il arrivé de voir le pied soigner un jour la main ? Il faut donc y réfléchir par deux fois quand, dans nos causettes de salon ou nos clabaudages sur le net, nous nous plaisons à accuser certains hommes politiques de ne pas être reconnaissants, ou d’être tout simplement ingrats.
C’est que l’Ingratitude est le démon qui nous dévore tous, individu et peuple. L’histoire le prouve suffisamment, et ce n’est pas Jésus-Christ qui nous dira le contraire, lui qui, après tant de miracles accomplis pour soulager la souffrance des Juifs, après un accueil quasi royal à Jérusalem, a été « récompensé » par un châtiment réservé aux plus grands criminels ! La nature humaine est la même en tout temps et en tout lieu. Les hommes naissent, vivent et meurent selon les mêmes lois de la nature. Ce qui arrive à un seul homme peut arriver à tous les hommes. La Nature et l’Histoire nous parlent tous les jours ; nous entendons mais n’écoutons pas. Nous regardons mais ne voyons rien.
De grands auteurs l’ont pourtant écrit, il y a des siècles de cela. Parmi eux, le Florentin Nicolas Machiavel dont je me permets de citer ces quelques lignes tirées de Capitolo de l’Ingratitude (Eloge de l’Ingratitude) :
« Fouillez les rivages de l’univers et lisez tout ce qu’on a écrit de ses princes, vous en trouverez bien peu qui aient été reconnaissants ;
Et vous verrez que celui qui a restauré leur Etat ou agrandi leur royaume en a toujours été payé par l’exil ou par la mort.
Avez-vous su renverser un Etat, celui que vous en avez fait prince tremble toujours que vous ne lui ravissiez ce que vous avez pu lui donner.
Il n’observe avec vous ni la foi donnée ni les traités, parce que dans son cœur la peur qu’il a de vous est plus puissante que l’obligation qu’il a contractée […].
Aussi arrive-t-il souvent qu’après s’être usé à servir loyalement, on ne retire de ses loyaux services qu’une vie misérable et une mort violente ».
Quand on entend ces propos de la part d’un auteur si pénétrant, on peut se demander si ceux qui claironnent partout qu’on leur a « promis » le pouvoir sont vraiment…sérieux ! On peut aussi se demander si ceux qui accusent jour et nuit leurs associés – qui eux les acculent nuit et jour – de trahison nous prennent vraiment au…sérieux !
Je retiens : chacun de nous a été ou sera la pauvre énième victime de l’Ingratitude, ce vice commun à tous les hommes et à tous les peuples. Faisons donc ce que nous avons à faire pour nos frères si nous pensons que cela est vrai, juste et utile ; et n’attendons rien en retour, car l’Histoire qui peut nous apporter la Reconnaissance dans la gloire s’appelle aussi …Ingratitude.
Simplice Yodé DION
Maître de Conférences de Philosophie
Université FHB Abidjan-Cocody
simplicediony@yahoo.fr
UNE BELLE RELECTURE PAR SON AUTEUR
Au risque d’être taxé d’outrepasser la dernière mise en garde du CNP, dénonçant « la reproduction systématique et tous azimuts d’articles de confrères sans traitement préalable dans la presse ivoirienne et invite les auteurs à se garder d’une telle pratique qui est une forme paresseuse de la profession », il eut été prudent de la part de ConnectionIvoirienne de signaler que le présent article est une reprise par son auteur d’une publication déjà faite en date de novembre 2013. Et qui publiée à l’époque par au moins Fraternité Matin, sous le titre « La vie ou l’éloge de l’ingratitude ».
Très bien réactualisé le nouveau texte plus riche devient donc « Eloge de l’ingratitude en Côte-d’Ivoire…Pour ceux qui croient (encore) qu’on doit leur donner le pouvoir par reconnaissance ».
Au demeurant dans une Côte d’Ivoire où « les gens n’aiment pas les gens », et où certains pourraient croire à tort ou à raison qu’ils sont visés par cet article même s’ils ne sont pas concernés, pour emprunter la rhétorique, une telle disposition aurait eu son pesant d’or !
Le mérite en revient au Dr DION qui avait donc écrit un texte « prémonitoire ? ».
Monsieur le Maître de Conférences de Philosophie Université FHB Abidjan-Cocody,
Votre long Roman sans queue ni tête n’est plus crédible dès lors que vous faites l’éloge et l’apologie d’ apprentis Dictateurs et quidams illettrés sortis de nul part tels le guinéen DADDIS CAMARA et le malien SANOGO.
Et vous vous considérez comme Maître de conférence ?
C’est ce genre de Nabot dictateurs qui ont provoqué le massacre dans un stade de football de leurs concitoyens venus manifester les mains nues que vous enseignez comme exemples pour la jeunesse africaine à vos étudiants ? Pitié, vous n’êtes donc pas un professeur sérieux.
Si vous vouliez défendre et faire l’Apologie de Mr SORO GUILLAUME , le chef de la RÉBELLION ayant causé des milliers de morts en Côte d’ivoire, faites-le à visage découvert comme son Conseiller Franklin Nyamsi et n’avancez pas masqué en nous servant vos élucubrations de pseudo intellectuel !