« Le lionceau qu’on met en cage est vieux du jour où il renonce à briser ses barreaux » (Georges Bastide).
Il était une fois un jeune homme du nom de Phaéton ; ce qui veut dire : « celui qui brille ». Phaéton avait pris l’habitude de se vanter, auprès de ses amis, de son ascendance divine puisque, selon lui, il avait pour père Hélios, le Soleil. Chaque jour, Phaéton regroupait ses compagnons et leur montrait avec fierté la course majestueuse du char de son père dans le firmament. Puis vient un jour où, comme il fallait s’y attendre, l’un d’entre eux le met au défi de prouver sa filiation supposée. Manifestement contrarié, le jeune adolescent va se confier à son père. Pour montrer à son fils bien aimé qu’il n’avait aucune raison de douter de sa noble ascendance, le grand Astre jure de lui accorder tout ce qu’il lui demanderait. Phaéton dévoile alors la petite idée qu’il avait derrière la tête. Sans la moindre hésitation, il demande à son père de le laisser conduire son char pendant une journée entière ! Désarçonné, le Soleil use de toutes sortes de subterfuges pour dissuader ce petit insensé de se lancer dans une entreprise si périlleuse, car il savait qu’il n’était pas donné au premier venu de dompter les chevaux fougueux et capricieux qui tiraient le fameux char. Hélas ! Phaéton, bouffi d’audace et de fatuité, refuse d’entendre raison, crachant au passage sur les cadeaux mirifiques que lui propose son divin père. Le non-respect de la parole donnée étant, à cette époque, considéré comme sacrilège, le Soleil cède aux caprices de son fils. Phaéton, précoce et un peu trop pressé, prend alors le contrôle du Char du Soleil et, lorsque, après un moment de délectation, les cavales rétives s’élancent furieusement, le frêle jeune, sans expérience, se trouve incapable de maintenir stable le véhicule solaire. Pour éviter la destruction de l’univers qui commençait à s’embraser, Jupiter, le dieu suprême, décide de foudroyer Phaéton et le Char.
En observant le « jeune » Emmanuel Macron (de sept ans mon cadet !) se lancer presqu’étourdiment dans la course à l’Elysée et la remporter presqu’aussi facilement, face aux dieux, aux Titans et aux Fauves impitoyables de la politique française, je n’ai pu m’empêcher de revisiter l’histoire de Phaéton. Comme lui, Macron a obtenu de son père (F. Hollande ?) les rênes du Char de l’Etat français. Comme lui, Macron a osé ce qu’avant lui, personne n’avait encore osé avec une si ferme détermination. Et quand Macron aura achevé sa chevauchée, qu’il ait réussi ou pas, qu’il ait triomphé ou échoué, l’histoire retiendra qu’un jour, un jeune homme sorti de nulle part et qui « avait grandement osé (…) conduisit le char du Soleil » dans le ciel gérontocratique de la politique française ! En tant qu’Africain, je ne peux que féliciter Macron et lui souhaiter ab imo pectore une fin plus heureuse que celle de Phaéton. Car son défi est aussi le nôtre. Car son succès sera aussi celui des gens de sa génération, c’est-à-dire Nous.
Nous, jeunes Africains ! Nous, à qui l’on répète sans cesse qu’il ne faut jamais laisser la direction du Char de l’Etat à un pilote inexpérimenté. Certes, l’argument de l’expérience, dont usent ad nauseam nos aînés dans la politosphère africaine, n’est pas dénué de tout fondement. Mais l’expérience n’est pas non plus un don du Saint-Esprit ! Et ceux qui se flattent aujourd’hui d’avoir beaucoup d’expérience pour mériter qu’ils soient toujours et indéfiniment ministres, toujours et interminablement présidents de parti, toujours et éternellement ceci ou cela, n’ont-ils pas un jour commencé nus, sans couverture, sans repères, sans background, à exercer quelque part en apprenant auprès des plus anciens qui les ont accueillis et qui ont guidé, avec bienveillance, leurs premiers pas ?
Macron nous dit que l’argument du gérontocratisme est insultant et méprisant pour l’intelligence de ces milliers de jeunes Macron africains. Non, la jeunesse n’est pas que déraison tumultueuse et agitation bruyante, précipitation et improvisation, immaturité et irresponsabilité ! Non, les jeunes ne sont pas que des bricoleurs et des apprentis, des comploteurs et des violents ! De plus, les exemples de jeunes cadres dynamiques et patriotes capables de diriger les nations et donner un contenu consistant à la nouvelle espérance des peuples commencent à devenir si nombreux que l’on pourrait les multiplier ad libitum. Ce processus historique me semble irréversible. Et le devoir de nos anciens, de nos aînés et de tous ces majestueux vieillards qui font l’Afrique depuis au moins un demi-siècle, c’est de susciter, d’encadrer, de promouvoir et de porter au pouvoir des Obama et des Cameron, des Macron et des Trudeau.
Macron ne doit pas être un simple macaron que nous, jeunes Africains, devons brandir pour exciper de nos capacités latentes. Macron signifie que le temps de l’Audace est venu pour nous, jeunes générations. Or, pour que ce monde africain encore si « africain » change, il nous faut une audace digne de Macron/Phaéton, une audace qui ne peut être portée que par une génération de rupture, une génération de Jeunes Nouveaux Bâtisseurs !
« Jeunesse ! Tu as des ailes d’aigles et ton bras est comme la foudre », écrit Adam Mickievicz dans son Ode de la jeunesse.
Mais il y a lieu, juste en passant, de se poser la question : qu’est-ce qu’être jeune ? Qui est jeune ? Qui ne l’est pas ? A quel âge cesse-t-on d’être jeune ? Je me contenterai de constater qu’il y a des « vieux » qui ont des idées profusément jeunes, et des « jeunes » qui ont des pensées tellement surannées ou qui exhalent en eux et autour d’eux tous les signes de décadence et de vieillissement ! Tout est relatif, dirons-nous. La première des choses à faire est donc d’apprendre, comme l’écrivait Georges Bastide, « à ne pas mesurer notre âge au rythme des pendules ou aux feuillets des calendriers », car « on peut être jeune à tout âge et on peut être vieux à tous les instants, car c’est en soi qu’on porte l’âge et non dans les cartons poudreux d’une mairie ».
On peut être vieux à tout âge. Même jeune d’âge, on est vieux et décadent quand on regarde en soi et devant soi avec des yeux qui ne voient pas ou qui ont simplement peur de voir. On est vieux et déclinant quand on vit constamment arc-bouté sur le mode du souvenir, sur son passé depuis longtemps dépassé, en ressassant qu’ »il n’y a rien de nouveau sous le soleil », justifiant ainsi son abandon au mécanisme automatique des habitudes acceptées. On est vieux et dégénérescent quand on est incapable de se pro-jeter, au point de ne pas pouvoir s’ouvrir et s’offrir au monde qui, chaque jour, se réforme et se transforme.
En soutenant Macron, Hollande a su indiquer aux gens de sa génération que l’ »on ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve » et que, selon le proverbe Ekonda, « si vous placez un piège et que vous n’avez pas de petit-frère, le gibier va pourrir » ! On ne peut pas avoir été, être et vouloir être ! Hollande et tous les anciens qui ont porté Macron au pinacle leur rappellent que la vieillesse, plus qu’une question d’âge, est un état d’âme, une condition, un esclavage. Voilà pourquoi on peut être jeune à tous les instants de notre vie.
Macron, le Phaéton contemporain, nous dit qu’il ne suffit pas de stigmatiser les anciens en les accusant de s’accaparer l’appareil de l’Etat ou du parti, ou encore de plomber l’ascension politique des jeunes générations ; il nous dit qu’il faut oser, nous organiser, structurer notre démarche, élaborer un discours intégrateur et une méthode cohérente et, enfin agir non pour vaincre par les armes qui détruisent mais pour convaincre par les paroles qui construisent l’espérance. Or, il est parmi nous des jeunes qui, mille fois hélas !, préfèrent encore le combat au débat, l’épée au calame, les balles à la parole. Ne savent-ils pas qu’il n’est pas bon de toucher aux choses impures, que l’impur ne peut engendrer que des impuretés, et que les impuretés souillent celui qui les fréquente et les hommes qui le fréquentent, lui…? Je suis convaincu que la pureté fut un des alliés sûrs et déterminants de Macron dans sa quête de l’Elysée !
Ce Macron nous dit encore qu’au sein des jeunes générations elles-mêmes, il existe beaucoup de signes de décadence, donc de vieillesse. Il y a des jeunes qui ne dérangent pas et qui ne se dérangent pas. Comme ils ne veulent pas changer leur pays, ils changent de pays. Comme ils ne veulent pas marquer leur existence, ils manquent l’existence. Ils la traversent dans l’ombre constante des choses sans vie. Ils ont décidé de ne rien voir parce qu’il est si rassurant de ne rien voir. De ne rien dire parce que c’est si bon de ne rien dire même quand tout va mal !
Macron nous dit aussi qu’il est possible, quand on veut le meilleur pour son pays, de dépasser les clivages réels ou artificiels, imaginaires ou provoqués, de transcender la logique des clans et des camps, pour rassembler et fonder une espérance nouvelle par-delà les âges et les ancrages.
Macron nous dit enfin qu’il est la preuve vivante de la pensée presque prophétique de Bastide pour qui : « le lionceau qu’on met en cage est vieux du jour où il renonce à briser ses barreaux ».
Simplice Yodé DION
Maître de Conférences de Philosophie
Université FHB Abidjan-Cocody
simplicediony@yahoo.fr
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