Quand les forces de l’ordre créent du désordre au Cameroun !

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Louis-Marie Kakdeu

Article publié en collaboration avec Libre Afrique

Au Cameroun, les forces de l’ordre sont accusées de «troubler l’ordre public préétabli». Elles feraient un usage «excessif» de la force. Or, le pays dispose d’une Ecole Internationale des Forces de Sécurité (Eiforces) et d’un Centre de Perfectionnement aux Techniques de Maintien de l’Ordre (CPTMO). Même si le Cameroun exporte ces formations techniques dans une trentaine de pays africains, des dérives internes persistent. Depuis une dizaine d’années et dans un contexte grandissant de conflits politiques, d’attaques terroristes et d’insécurité, les opérations de maintien de l’ordre sont au cœur des polémiques récurrentes de violations des droits humains.

Le maintien de l’ordre suppose l’usage proportionné de la force publique pour faire respecter la loi et assurer ou rétablir la continuité des activités dans la sphère publique. Or, on constate au Cameroun que l’usage de la force publique s’exerce même dans des espaces clos (résidences privées, siège d’association et/ou de parti politique), ce qui est inadéquat dans la mesure où la menace à la vie sociale ou au fonctionnement de l’administration publique, du gouvernement, des commerces ou des services, est difficilement justifiable. C’est le cas du lancement des jets d’eau sur des portes d’étudiants fermées en novembre-décembre 2016 à Bamenda et Buea ou de l’interpellation chez eux en janvier-février 2017 de certains citoyens pour avoir respecté le «Ghost Town [opération ville morte]». Déjà, le 28 octobre 2016, 51 membres du mouvement Stand Up for Cameroun et du Cameroon People’s Party (CPP) avaient été arrêtées manu militari à leur siège à Yaoundé dans le cadre de leurs activités politiques pourtant autorisées par la loi. Mieux, le 29 mars 2016 à Yaoundé, 62 personnes étaient interpellées au siège du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) alors qu’elles tentaient de communiquer leur désarroi à la presse. Dans un cas comme dans l’autre, la manifestation du désaccord se faisait dans des cadres clos difficilement assimilables au désordre public. La solution est de dépolitiser le maintien de l’ordre dans la mesure où les citoyens indignés ne sont pas des ennemis quelles que soient leurs opinions.

En effet, le maintien de l’ordre est d’abord de nature préventive avant d’être éventuellement répressive. L’usage de la force est précédé par une action éducative ou de médiation. Or, on observe que le dialogue et la médiation avec les organisateurs n’existent pas et que la présence visible des forces de l’ordre est disproportionnée, ce qui engendre des effets pervers (échauffement des esprits). Par exemple depuis 2014, les organisateurs de La Grande Palabre (conférence-débat public) sont obligés de passer par le tribunal administratif pour dialoguer avec les forces publiques qui leur refusent systématiquement la possibilité de réunion publique (même pour une dédicace de livre). Et même au tribunal, ce dialogue reste bloqué par l’absence des réquisitions du parquet malgré sa saisine par le juge administratif (exemple de la lettre n°204/Cab/PTA du 22 juin 2015). Au lieu de fermer l’espace public, il devient incontournable de renforcer cette médiation préalable et d’assurer une couverture suffisante en observateurs afin de détecter les débuts de violence.

La doctrine de maintien de l’ordre appliquée au Cameroun semble être d’éviter de tuer et le plus possible de blesser. Louable ! Mais, cela laisse un boulevard aux recours à des tortures avec sévices corporelles et autres méthodes d’humiliation portant préjudice à la dignité humaine. Par exemple, comment comprendre que des forces de l’ordre demandent aux étudiants de l’université de Buea de s’enrouler dans les égouts en répression à leurs manifestations du 28 novembre 2016 pour versement de leur prime d’excellence académique de 50.000 FCFA et suppression de la pénalité de 10.000 FCFA que l’université leur imposait pour non-respect du délai de paiement des droits de scolarité en ligne ? Aussi, comment ne pas être choqué de constater que certains agents de maintien de l’ordre exhibaient sans pudeur sur les réseaux sociaux des images de tortures avec sévices corporelles des manifestants lors de la crise anglophone qui dure depuis novembre 2016 alors que la prise d’images se fait en maintien de l’ordre pour servir plutôt de preuves à des fins judiciaires ? Il convient d’intensifier les renforcements de capacité des forces de maintien de l’ordre en vue de développer la culture du respect des droits humains et le strict respect des principes de proportionnalité et de réversibilité (usage proportionnel et ponctuel de la force). Ainsi même à titre répressif, les forces de maintien de l’ordre devraient se limiter par exemple entre autres à maintenir les manifestants à distance, à les canaliser, à hisser des barrages fixes, à écarter les manifestants violents par des moyens adaptés (canons à eau et/ou grenades lacrymogènes), à isoler ou interpeller les agitateurs pris en flagrant-délit, etc. Elles ne devraient plus porter atteinte à la dignité humaine.

Enfin, les forces de l’ordre n’ont pas vocation à juger du caractère coupable ou non d’un manifestant. Elles sont chargées de la sécurité de tous. Pourtant, on observe qu’elles prennent position dans des conflits politiques en faveur du régime en place et insinuent que toute manifestation du désaccord avec ce régime est une «atteinte à la sûreté de l’Etat». Elles ferment de plus en plus l’espace public et utilisent la «complicité de terrorisme» pour justifier les arrestations et convocations des adversaires politiques et autres leaders d’opinion. C’est le cas des leaders anglophones actuellement en prison ou entendus par la gendarmerie (l’avocat Félix Nkongho Agbor, le professeur Fontem Neba, l’animateur radio Mancho Bibixy, le magistrat Paul Ayah Abine, l’ancien bâtonnier Akere Muna, etc.). Il leur est reproché, entre autres, le délit d’opinion. Le maintien de l’ordre devient un prétexte pour restreindre les libertés individuelles et l’expression de la démocratie.

Somme toute, Il convient pour la préservation de la paix sociale, et pour la crédibilité des forces de l’ordre, que celles-ci restent dans leur vocation première conforme à la Déclaration universelle des droits de l’homme, celle de garantir les droits à la sûreté de la personne (article 3), de circulation (article 13), de manifestation pacifique (article 19) et à la propriété (article 17). Faute de quoi, les forces de l’ordre seront source de désordre !

Louis-Marie Kakdeu, PhD & MPA. Le 29 mai 2017

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