Presse en Cote-d’Ivoire: La Lidho ignore-t-elle les conditions de saisine contentieuse de la justice constitutionnelle ?

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Certaines organisations nationales de la société civile dont la LIDHO viennent de saisir le Conseil Constitutionnel à l’effet de voir ajourner l’examen en plénière du projet de loi sur la presse introduit par le gouvernement et déjà adopté en commission.

Les motivations qui sous tendent cette action sont à saluer mais il faut s’étonner et déplorer son caractère prématuré et les risques pour la démocratie représentative.
1/ En effet, s’il ressort des termes de l’article 113 de la Constitution Ivoirienne de 2016 reprenant les dispositions innovantes de l’article 77 de la constitution de 2000, que les associations de défense des Droits de l’Homme légalement constituées «peuvent également déférer au Conseil constitutionnel les lois relatives aux libertés publiques.» ; il convient de préciser que la dilatation du cercle des personnes juridiques jouissant du droit de saisine du Conseil constitutionnel dans le cadre du contentieux de la constitutionnalité n’a pas changé la matière sur laquelle porte cette saisine contentieuse : la loi. Au regard de la constitution Ivoirienne, il s’agit de la loi ordinaire (article 113 de la constitution de 2016), des lois constitutionnelles adoptées par voie parlementaire et des lois organiques, (Article 134), après leur promulgation.
Il appert de ces textes constitutionnels que (en dehors des engagements internationaux et des règlements des assemblées parlementaires) le contentieux de la constitutionnalité ne concerne que les textes de loi.

En conséquence, au regard de l’objet et de la matière de la saisine, la saisine contentieuse ne peut être entreprise qu’après le vote de la loi et non avant. En effet, avant le vote de la loi, il n’y a pas de loi mais un projet de loi qui est un simple « acte administratif » non décisoire donc insusceptible même de tout recours devant la Chambre administrative et à fortiori devant le Conseil constitutionnel.
Le projet de loi introduit au parlement est un fœtus de loi en gestation dans la matrice de la représentation nationale et qui peut être à tout moment victime d’un avortement (si le projet est rejeté par la plénière). Ce n’est qu’à sa naissance que le juge constitutionnel est habilité à juger du sort de la loi, dans ce cas il risque d’avoir un infanticide. Le juge constitutionnel ne peut faire avorter la loi en gestation c’est à dire la faire éjecter des entrailles de l’assemblée nationale. Il ne peut que faire tuer la loi produite en la déclarant inconstitutionnelle.

2/ Certes le Conseil constitutionnel peut être saisi pour connaitre de la constitutionnalité des projets et propositions de loi mais seulement pour avis et ce, dans le cadre de sa fonction consultative. Et dans ce cas le droit de saisine n’est ouvert qu’au président de la république, au président de l’assemblée nationale et au président du Sénat seuls (Article 133 de la constitution de 2016). Ni les députés et leurs groupes parlementaires ni les associations de défense des droits de l’homme ne peuvent saisir la haute juridiction constitutionnelle pour avis.
En conséquence de ce qui précède, le Conseil constitutionnel n’a aucune compétence pour connaitre d’un contentieux portant sur un projet de loi même adopté en commission. Et il y va de la protection de la démocratie et des prérogatives des représentants du peuple. Le Conseil constitutionnel au risque de violer le principe de la séparation des pouvoirs ne peut en aucun cas, aucune circonstance et ne devrait s’immiscer dans l’exercice de leur fonction de production normative. L’action de la LIDHO, du CIVIS et autres ne peut donc prospérer et ne devrait prospérer. Car se serait consacrer le juge constitutionnel comme co-législateur or il n’est que juge de la loi c’est-à-dire qu’il n’intervient qu’après que le législateur ait épuisé sa compétence de producteur exclusif de la loi. Son action d’influence de l’activité de formation de la loi n’opère qu’après sa décision sanctionnant la loi étant donné qu’elle oblige le législateur à reproduire une loi nouvelle plus conforme à la constitution.

A toutes fins utiles, ces organisations doivent attendre donc que le projet de loi soit adopté par le parlement. Le contentieux constitutionnel par la voie d’action étant un contrôle à priori de la loi, il est exigé que le Conseil constitutionnel soit impérativement saisi après l’adoption du projet de loi par le parlement et avant la promulgation de la loi par le Président de la République. La saisine suspend le délai de promulgation. Si la loi est promulguée avant la saisine, le recours est irrecevable. Il y a forclusion des requérants lorsque la loi est déjà entrée dans l’ordonnancement juridique. Il faut donc une vigilance accrue des requérants ; puisque la promulgation peut intervenir à tout moment après le vote de la loi. Avant son adoption, seules des actions politiques peuvent faire avorter le projet de loi ou en obtenir des amendements notables et non des acyions judiciaires.
En dehors des considérations juridiques ci exposées, cette action indiscutablement prématurée amène à faire deux observations aux organisations de défenses des droits de l’homme, sur les inconvénients qu’elle comporte. En premier lieu, les actions prématurées qui posent font suite à une méconnaissance des règles procédurales devant la justice constitutionnelle obligent les juges à siéger quand bien même…, ce qui crée une surcharge de travail et des dépenses de fonctionnement inutiles. En plus, ce genre d’action met de l’eau au moulin des juristes et politiciens opposés à une extension du droit de saisine de la haute juridiction constitutionnel. Un de leur argument, le risque d’encombrement et de surcharge inutile du travail des sages. En l’espèce par exemple, c’est le cas.

En second lieu, cette action donne à douter des capacités en ressources juridiques des organisations nationales en charge de défendre les droits de l’homme et les libertés publiques et censées jouer le rôle de conseil juridique dans la société civile. En dehors des personnalités politiques et des députés, seules ces associations ont le droit de saisir le Conseil constitutionnel par la voie d’action ; c’est une lourde responsabilité pour la garantie des droits et des libertés publiques qui nécessite un renforcement des capacités juridique de ces associations sur le contentieux de la constitutionalité.

EKRA ATHA MALTHUS
JURISTE FISCALISTE
atamalth@gmail.com

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