Jean-Francois Fakoly
« On peut tout faire avec une baïonnette sauf s’assoir dessus », affirme Talleyrand. Si on peut en effet utiliser l’armée pour arriver à ses fins, conquérir le pouvoir et s’y maintenir, il est en revanche périlleux de rouler les militaires dans la farine. En revenant sur les accords précédemment signés, Alassane Ouattara a fait l’amère expérience de la colère et la détermination des mutins. Bien sûr, cette dernière mutinerie est condamnable comme toutes les autres. Le rôle de l’armée dans une république est de protéger les citoyens et non de les terroriser ou de les rançonner. Cela a été déjà dit, les promesses de butin faites par Ouattara n’engagent que lui. Elles n’ont aucun fondement juridique et sont tout au plus qu’une créance privée. Il aurait été plus juste que les mutins se rendent directement chez leur débiteur que de prendre la population en otage. Riche comme Crésus, il aurait pu honorer ses dettes sans que l’État n’en pâtisse. Au besoin, il aurait pu faire appel à Fanta Gbè (Dominique Ouattara), milliardaire elle aussi, pour réunir la somme exigée. Certains internautes se sont amusés à proposer des modes de règlements amusants : une tontine par exemple où cotiserait le président, les membres du gouvernement et autres beanti possedantes. Faut–il rappeler que près de 50 % de la population ivoirienne vit sous le seuil de pauvreté avec moins de 1, 25 par jour et que l’argent de la rançon sera prélevé non sur le train de vie exorbitant des dirigeants politiques, mais sur les dépenses sociales. En clair, les pauvres devront payer, quand le cercle du pouvoir pourra continuer de briller, voire s’agrandir avec la création prochaine du Sénat.
Comme d’habitude, au lieu d’analyser les causes profondes de la crise, on recherche les boucs émissaires, tout en épargnant soigneusement la responsabilité, voire l’incompétence du ministre de la Défense et des services de renseignement qui comme toujours n’ont rien vu venir, alors qu’ils sont payés justement pour anticiper sur les événements. Les doigts accusateurs se pointent déjà sur certaines personnalités. Pourtant cette mutinerie dénote d’une crise profonde du parti au pouvoir. Le fait que les militaires proches du régime se rebellent contre l’autorité montre qu’il y a malaise en la demeure. L’échec des Réformes du secteur de la sécurité (RSS) est patent, mais pas dans le sens prévu : l’armée n’est ni professionnelle ni prétorienne. De plus, la faible mobilisation des militants du RDR pour s’opposer aux militaires traduit une tendance lourde, la déliquescence d’un parti en panne d’idéal.
L’échec des RSS
On nous a abreuvés de statistiques sur le taux de réussites de la démobilisation (90%), la quantité des armes récoltée (dérisoire), le coût des opérations (exorbitant, mais composés essentiellement de salaire des experts). Cette focalisation sur les chiffres a fait oublier cette vérité essentielle (Einstein) : « tout ce qui compte ne peut être compté et tout ce qui peut être compté ne compte pas toujours ». En matière de sécurité, ce qui compte et se chiffre difficilement est la qualité de la formation donnée aux hommes. Comme l’a si bien dit Thomas Sankara, « un militaire sans formation politique est un criminel en puissance ». Ces mutineries à répétition montrent s’il en était besoin que ces hommes n’ont de militaires que l’uniforme. Ils semblent n’avoir reçu pendant 7 ans, aucune instruction en matière de civisme, de respect de la hiérarchie, de connaissance du sacerdoce qui fonde leur métier : la défense des citoyens contre les périls internes et externes. Faut-il leur en vouloir quand -on regarde le dénuement dans lequel les a laissés le régime, préoccupé qu’il était par la question des démobilisés et la traque des progbagbo. Les réformes du secteur de la sécurité sont restées un beau slogan arrimé au concept de sécurité humaine, qui pour rappel met au centre de l’action des forces de sécurité la protection des citoyens. Véritable fiasco, dû en partie à l’incompétence des acteurs : le ministre de la Défense, le président lui-même, est un banquier, ses adjoints, l’ancien Paul Koffi Koffi un ingénieur statisticien et le nouveau Richard Donwahi, un fils à papa venu d’on ne sait où avec un DEUG 2 en poche. Quant au ministère de la Sécurité, il est géré par un bachelier, Hamed Bakayoko. Bref, autour du président, aucune expertise réelle. Pourtant, les questions de sécurité touchent à la vie des citoyens, elles sont pour ainsi dire trop sérieuses pour être confiée à des personnes totalement incompétentes. Bien sûr que des cadres compétents existent au sein du RDR. Mais le président semble avoir fait le choix du copinage (ses bons petits) au mépris de la méritocratie. On pousse même l’outrecuidance à nommer comme ministre des secrétaires de direction : pauvre Afrique!
La loi de programmation des forces de sécurité intérieure 2016-2020, brandie par le régime comme une panacée à la crise actuelle, risque de produire de sérieuses déconvenues. Et pour cause, cette œuvre d’amateurs repose sur deux piliers essentiels, tous économistes (encore). La réduction des effectifs et l’équipement des forces de sécurité. Faut-il rappeler que le Burkina Faso, le Sénégal ont des armées plus professionnelles sans avoir les moyens de la Côte d’Ivoire. Tout n’est pas qu’argent dans la vie. Il suffit de miser sur la qualité de la formation des hommes, leur adhésion à des valeurs transcendantales : la nation, l’État.
Tout porte à croire que le régime ait voulu maintenir les mutins dans leur dénuement intellectuel pour en faire une garde prétorienne. Pour preuve, le régime a utilisé des moyens insidieux, qui sapent les valeurs républicaines de l’armée, à savoir l’utilisation des imams, pour désamorcer la bombe. Attitude irresponsable du point de vue des garants de la laïcité, mais aussi attitude emprunte d’une grande naïveté. En effet, la plupart des mutins ne sont musulmans que de nom et leurs gris-gris en disent long sur leurs croyances. Les imans auraient eu plus de succès s’ils avaient associé à leur démarche le chef du bois sacré de Dokaha ou les présidents des associations de dozos.
En se rebellant contre le régime, les 8500 militaires ont montré qu’ils avaient des intérêts propres, distincts de ceux du régime. La graine de la discorde est semée entre les deux. Le régime sait désormais qu’il ne peut compter sur cette armée pour mater son opposition ou confisquer le pouvoir. Ce qui est une bonne nouvelle pour les démocrates, car l’oblige à rechercher l’onction du peuple, à se démocratiser.
Le manque d’idéal
Le moins qu’on puisse dire est que le parti de Ouattara n’arrive plus à mobiliser. Les appels à manifester contre les mutins, dont la cause est pourtant impopulaire, ont connu un faible écho. À Adjamé, un des rares succès, on pouvait voir devant le camp Gallieni une foule clairsemée, composée de tous les apparatchiks du régime et de leurs lignages ainsi que de quelques badauds, certainement des microbes, attendant que les choses dégénèrent pour voler la population. Le fait n’est pas surprenant, l’année dernière, la grand-messe organisée au stade Houphouët-Boigny à la veille du referendum sur la constitution avait brillé par ses gradins vides. La médiocrité du texte n’explique pas tout, encore moins ses dispositions impopulaires (création du Sénat inutile et budgétivore), ou sa procédure antidémocratique (aucune assemblée constituante, même pas la consultation des militants du RDR). Le désamour entre le RDR et sa base vient de plus loin : les dirigeants ont sapé toutes les valeurs sur lesquelles s’est construit ce parti et pour lesquels biens de personnes ont été tués :
L’idéal démocratique : Le RDR est créé est en 1994 après que Djeni Kobinan leader des réformateurs du PDCI se soit vu refuser la parole lors d’un bureau politique du PDCI. Est-ce le même parti qui aujourd’hui refuse tout débat en interne, qui décide de façon autoritaire du choix des députés? Est-ce le RDR qui a tant souffert des interdictions de manifester et dont les militants ont été tués pour ce seul fait en décembre et octobre 2000, en 2004 et 2010, qui une fois au pouvoir interdit de façon frénétique toutes les marches de l’opposition? Les militants ne reconnaissent plus la vielle mère, Henriette Diabaté, celle qui a écrit les plus belles pages du militantisme féminin en Côte d’Ivoire. Ils s’expliquent mal son mutisme devant ce gouvernement pléthorique de 34 ministres qui ne compte que 6 femmes (17 %).
La liberté de la presse : de 1995 à 2000, la principale cible des manifestations du RDR a été la RTI pour exiger que les médias publics soient ouverts à toutes les sensibilités politiques. Que de manifestants battus ou tués au cours de ces manifestations. Est-ce ce le même RDR qui monopolise aujourd’hui les médias d’État, transformés en une caisse de propagande du régime? Est-ce le RDR, qui a dénoncé les atteintes à la liberté de la presse du temps de Bédié et de Gbagbo, qui fait voter cette loi liberticide, la pénalisation des délits de presse. N’est-ce pas le contraire de ce qui nous a été seriné pendant plus d’une décennie par Charles Sanga, Meité Sindou, Bamba Alex et autres journalistes du parti.
La bonne gouvernance : le plus haut fait d’arme d’Amadou Gbon, ce qui lui vaut sa renommée actuelle au sein du RDR, est cette phrase prononcée en 1998 à un meeting du RDR, alors qu’il était député : « Bédié est un voleur ». Cela lui a valu la levée de son immunité parlementaire. Quelle admiration sans bornes, pour le Ouattara des années 1990, celui que les militants présentaient fièrement comme l’icône de la bonne gouvernance, celui qui a fait payer l’impôt aux plus riches et a fait de la moralisation de la vie publique son cheval de bataille. Quelle différence avec ce régime affairiste où Loïc le beau-fils, règne sur le café cacao, Bitogo sur tous les marchés d’État, le couple Gbon Coulibaly et Hamed Bakayoko, sur tous les postes juteux de l’administration ?
À l’amnésie de sa propre histoire se joint une incapacité à comprendre les plaintes des militants. Misère morale de qui pense guérir la détresse et le manque d’horizon des militants par la distribution de billets de banque. Un parallèle peut être fait avec la France de 1789. Au début de la révolution, les manifestants criaient à la famine : « on veut du pain, scandaient-ils » et le roi Louis 16 de répondre : « et bien qu’on leur donne du pain ». Il n’avait rien compris. Le pain fut servi, mais la grogne s’amplifia et le roi fut décapité quelques années plus tard. Bien sûr je ne souhaite pas une fin tragique aux tenants du pouvoir. Mon but est de dire qu’il est naïf de prendre les plaintes des militants au premier degré au risque de trouver des réponses inappropriées et inefficaces. Les précongrèss du parti ont été en ce sens une occasion manquée de reconquérir la base. Au lieu d’écouter, les dignitaires du parti sont venus avec des discours déjà écrits, dont le contenu mêle fausses empathies, «je vous ai compris » (la formule est de De gaulle) et fausses autocritiques sur de prétendus élus qui auraient abandonné les militants, comme le berger son troupeau. Analyses fausses qui conduisent à des solutions tout autant fausses, la création d’un fonds d’aides aux militants ou encore les distributions d’argent aux sections du parti à travers le pays. Ils n’ont vraiment rien compris. L’homme ne se nourrit pas que de pain, dit l’Évangile. Ce qui importe en politique est de construire un idéal de société, des valeurs qui fédèrent les esprits, de tresser des cordes de l’imaginaire qui lient le peuple. Il est urgent que ce travail soit fait, le RDR regorge de de nombreux intellectuels. Sidibé Valy, Yacouba Konaté, Franklin Nyamsi (le philosophe de Guillaume Soro) s’ils n’étaient trop occupés à manger auraient été parfaits pour ce travail. Autrement, la déliquescence du RDR risque de se poursuivre.
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