De la Grèce antique à la Révolution française en passant par la Rome antique, l’époque médiévale, le Siècle des Lumières, le parlementarisme britannique, la démocratie a parcouru un long chemin avant de devenir ce qu’elle est aujourd’hui. Et elle n’est pas apparue au Côte d’Ivoire comme par magie. Le souffle démocratique qui s’est emparé de l’Afrique à la fin des années 80, appuyé par le Discours de la Baule, ne s’est pas estompé malgré les coups de kalachnikov à Bamako, à Kinshasa; les descentes musclées des soldats dans les cités universitaires d’Abidjan, de Yaoundé, de Lomé, de Ndjamena… Mesurant la soif de liberté de leurs concitoyens, les dirigeants africains vont lâcher du lest. Partout sur le continent africain, le fait du pluralisme sera consacré dans les constitutions.
Convaincu des risques de (re)confiscation du pouvoir politique, les Assemblées constituantes vont fixer une limite au nombre de mandats présidentiels. Cette disposition, perçue par plusieurs comme une saine mesure, a été adoptée par la majorité des pays africains. Elle est parfois même inamovible. Cette limitation du mandat présidentiel est appréhendée comme une condition sine qua none en vue de l’alternance (changer celui qui exerce le pouvoir) perçue comme la seule voie de l’alternative (inventer une autre forme de gouvernance, une autre répartition des richesses, des leviers du pouvoir…).
Prenant le parti de la limitation du mandat présidentiel dans ce débat qui se dessine, nous fondons notre argumentation sur deux hypothèses : les exigences de justice et de liberté. Elle est une exigence de justice dans la mesure où elle donne à chaque courant, à chaque sensibilité politique, une chance d’accéder au pouvoir. Nous la percevons également comme une exigence de liberté qui consiste à remettre au peuple sa souveraineté, le choix de porter ses espoirs sur un autre citoyen après deux mandats. Ces idées préliminaires et introductives ci-dessus mentionnées nous permettent de fixer les dimensions de notre démarche en nous orientant sur quatre directions de recherches dont l’objectif est de montrer les 4 schémas de Soro (I), les complexes équations de Bédié (II), les 2 stratégies du RDR (III) avant d’en arriver à la quête de virginité politique du FPI en vue de 2020 (IV).
I-LES 4 SCHEMAS DE SORO POUR 2020
Hobbes s’est interrogé sur la valeur des promesses. Sa conclusion: en l’absence de la possibilité d’une sanction réelle, les promesses de réciprocité sont vides. Seul un contrat renforcé par la menace d’une sanction lourde peut faire respecter un contrat, en faisant en sorte que la partie qui se rétracte le paye fort cher. Or, les promesses futures ne sont pas des contrats. La parole, même donnée, ne suffit pas. Le soldat Soro en ferait les frais.
Convaincu (ou presque) de ne plus être dans les schémas du RHDP pour 2020, le président de l’Assemblée nationale se tient, chaque matin devant son miroir en pesant le pour et le contre de différents schémas. On pourrait les résumer autour de 4 grands axes :
1-Faire le mort. Soro pourrait prendre du recul à partir de 2021 et mettre ce temps à profit pour divers projets : travailler pour son ONG, suivre des formations en Occident, travailler dans ses plantations… Ce recul lui permettrait de faire des analyses à froid afin de mieux préparer 2025. La grande faiblesse de ce schéma est que le soldat Soro semble avoir besoin (pour un temps encore) d’une immunité en béton…
2-S’aligner derrière le candidat RDR. Soro pourrait jouer la carte de la discipline du parti en s’alignant tranquillement derrière le candidat du RDR. Cette approche ‘’obligerait’’ celui-ci à ne pas l’oublier en cas de victoire. Dans un tel schéma, combien d’années faudra-t-il à Soro pour gravir les escaliers du RDR qui le conduiront vers la présidence ? Le plus grand avantage de cette stratégie serait le capital de sympathie qu’il pourrait récolter s’il était oublié après la victoire du candidat RDR…
3-Jouer sa carte personnelle. Soro pourrait s’engager corps et âme dans la bataille de 2020. Il a quelques armes qui pourraient l’y aider. On lui prête une certaine fortune et une assise auprès des militants du RDR. Les risques pourraient être énormes en cas de défaite : il ne lui resterait plus qu’à se battre pour le poste de député de Ferké. L’immunité d’un député est-elle si bétonnée que celle du numéro 4 du régime en place ?
4-S’allier à un parti d’opposition. Tout projet s’inscrit dans un contexte. En cas de confrontation directe et ouverte entre le PDCI et le RDR, Guillaume Soro pourrait s’allier à un candidat opposé à ces 2 partis. KKB ? La tendance Sangaré ? Sur le champ politique ivoirien, tout est possible. Un tel attelage lui permettrait d’être au moins troisième. En cas de second tour (plus que probable), Soro deviendrait le faiseur de Roi. Il pourrait mieux négocier ce tournant avec diverses cartes en main : poste de premier ministre, président d’institution, ministre des Affaires étrangères. En somme un poste confortable et juteux qui lui permettrait de songer sereinement à 2025 !
Le succès de tout projet dépend de divers facteurs dont sa conception, les ressources (humaines, logistiques, financières), le contexte et la … fameuse marge d’imprévisibilité qu’est la chance ! De toutes ces approches, que décidera Guillaume Soro ? Pendant ce temps, Bédié fait face à 3 complexes équations.
II-LES 3 EQUATIONS DE BEDIE POUR 2020
L’Appel de Daoukro scelle-t-il un pacte stratégique ou alors implique-t-il un contrat moral? Dans les affaires politiques, la seule morale est celle de l’intérêt ; la réciprocité étant fonction des coûts possibles en cas de non respect des engagements. Un pacte stratégique n’est pas un contrat moral. Chacun doit tirer ses bénéfices de la situation tant qu’elle perdure. L’histoire des coalitions montre que leur équilibre temporaire tient du calcul immédiat, et n’engage en rien l’avenir. En l’occurrence, il était simplement question de balayer un Laurent Gbagbo en 2010. Chaque leader et son parti avaient leur agenda avec les différents schémas de gestion de cette coalition circonstancielle. De toutes les façons, il ne peut en être autrement avec des partis qui ont déjà géré l’exécutif.
S’interrogeant sur la valeur des promesses, Hobbes en vient à cette conclusion: en l’absence de la possibilité d’une sanction réelle, les promesses de réciprocité sont vides. Seul un contrat renforcé par la menace d’une sanction lourde peut faire respecter un contrat, en faisant en sorte que la partie qui se rétracte le paye fort cher. Or, les promesses futures ne sont pas des contrats… La parole, même donnée, ne suffit pas… Et, de quelle arme dispose le PDCI pour faire payer au RDR son « ingratitude » ?
Pour mieux canaliser le PDCI et, partant, protéger les intérêts du RDR, Ouattara a déjà mis en scelle son équipe : Gon président et Duncan vice président. Ce schéma ne saurait gêner les Décideurs du RDR dans la mesure où il ne viendrait jamais à l’esprit de Duncan de remettre en cause les acquis du RDR : les postes juteux occupés par ses cadres. C’est justement le nerf de la guerre entre le PDCI et le RDR. Normal. Le PDCI, seul aux affaires, aurait du mal à partager équitablement le gâteau Ivoire entre ses cadres. Quel retour Duncan pourrait-il apporter au PDCI, lui qui serait plus coloré RHDP, voir plus Alassaniste que PDCI ?
C’est d’ailleurs pour cela que la base PDCI milite pour une candidature aux couleurs PDCI (et non RHDP) en 2020. Ce ne sont pas les candidats qui manquent : Akossi Bendjo, Charles Diby Koffi, Guikahué, Niamien Ngoran; sans oublier la tendance RHDP menée par Ahoussou Jeannot, Patrick Achi. L’on pourrait joindre à cette liste de jeunes loups comme Billon, Thierry Tanoh, Alain Donwahi… Seulement voilà : Bédié acceptera-t-il de jouer une carte PDCI dans une logique de confrontation ouverte avec le RDR ? Je peux me tromper mais il y a de fortes chances que Bédié joue la carte du partenariat gagnant-gagnant. Un tel schéma pourrait sacrifier le choix du RDR au PDCI, Duncan, en vue d’un cadre plus embaumé de parfum PDCI. Ce ne sont pas les difficultés qui manqueraient à untel attelage. Qui serait le président ? Bien sûr que le PDCI veut la présidence et RIEN d’autre. Le RDR acceptera-t-il une vice présidence constitutionnellement dépouillée ? A supposer même qu’il accepte ; qu’en sera-t-il des postes juteux tenus par ses cadres ?
Attelage Gon-Duncan, 2 candidats PDCI, schéma RHDP avec un cadre plus coloré PDCI au détriment de Duncan ; que fera Bédié ? Son allié du RDR se débat autour de 2 stratégies.
III-LES DEUX SCHEMAS DU RDR POUR 2020
Comment déployer une stratégie gagnante de conservation du pouvoir politique ? Telle est la vraie question qui occupe les stratèges du RDR. Cette question en entraine plusieurs dont :
-Comment canaliser le PDCI ?
-Comment maintenir un ordre interne impliquant une ‘’discipline’’ rigoureuse?
-Comment ‘’empêcher’’ une dynamique interne au FPI ?
A quelques 42 mois de la future élection présidentielle (qui sera un référendum pour le parti au pouvoir), le RDR avance ses pions sous deux angles différents.
1-Une alliance avec le PDCI. Le RDR se verrait bien allié au PDCI lors de l’élection présidentielle à venir afin de limiter les risques. Seulement que dans cette coalition, le RDR voudrait avoir la présidence en laissant la vice présidence au PDCI. Les cadres du RDR ne cachent plus leur rejet systématique des présupposées implications de l’Appel de Daoukro. A la question de savoir si l’Appel (unilatéral) de Daoukro scelle un pacte stratégique ou un contrat moral, le RDR répond ouvertement qu’il s’agit d’un simple pacte stratégique. La seule morale est donc celle de l’intérêt. Sur ce volet, le RDR estime avoir partagé les postes juteux du gâteau Ivoire avec son principal allié. Il ne se sent plus endetté !
Dans une telle logique, le RDR sort sa carte pour s’allier les cadres RHDP qui hésitent encore ou alors qui refusent de s’aligner docilement derrière un candidat RDR: la mentalité d’assiégés à l’instar de Massada dans la géopolitique juive. Plus d’une fois, le RDR a fait comprendre à ses alliés et surtout à ses cadres et militants les risques auxquels ils s’exposeraient en cas de perte du pouvoir politique. Derrière cette coalition revendiquée par le RDR se peaufine la (vraie) stratégie du RDR pour 2020 : tenter seul de conserver l’Exécutif si le PDCI se montrait plus ‘’gourmand’’.
2-Le RDR seul contre TOUS. Calculatrice posée sur le bureau, la vraie question qui attire l’attention des stratèges RDR est la suivante : si tout le Nord vote 100% pour le candidat du RDR, combien de voix lui restera-t-il à obtenir à l’Ouest, au Centre, à l’Est et au Sud pour remporter l’élection présidentielle de 2020 ? Cette stratégie se met en place depuis un certain temps. C’est la raison pour laquelle, lors des législatives, le RDR mettra toute la pression sur Bédié Himself pour retirer tous les candidats PDCI du Nord de la Côte d’Ivoire. Des cadres importants du PDCI dont des Secrétaires Exécutifs en feront les frais. Et le RDR a déjà préparé les esprits à gagner avec des chiffres frôlant les 100% dans son bastion traditionnel.
Le RDR s’appuie sur cette approche pour des raisons évidentes. Le moindre mal pour le RDR serait de perdre le pouvoir au profit du PDCI, son principal allié. Cependant, le PDCI au pouvoir se verrait bien relancer le processus de justice transitionnelle. Cela pourrait impliquer la libération des cadres FPI dont Simone Gbagbo, Assoa Adou, Lida Kouassi, Hubert Oulaye… Et les cadres FPI exilés dont Koné Katinan, Ahoua Donmello devraient regagner Abidjan. La justice pourrait se pencher à nouveau sur divers dossiers visant les cadres de l’opposition et les militaires restés fidèles, loyaux au régime Gbagbo. Quand on y ajoute l’épineuse question du DDR et de la réforme du secteur de la sécurité, les postes juteux que ses cadres pourraient perdre, le RDR préférerait jouer seul sa carte que de se contenter d’une vice présidence constitutionnellement dépouillée. Comment compte rebondir le FPI ?
IV-LE FPI EN 2020: TO BE OR NOT TO BE ?
Le FPI prépare sérieusement 2020 après une décennie de traversée du désert. Ce ne sont pas les difficultés qui manquent…
1-Sangaré, Affi et la parabole du semeur (Matthieu 13). Que diraient-ils à Gbagbo s’il était libéré aujourd’hui ? Qui a nettoyé le champ afin que poussent les bons grains ? Qui a semé l’ivraie au FPI ? Voici ce qu’en dit le verset 30 : « Laissez croître ensemble l’un et l’autre jusqu’à la moisson, et, à l’époque de la moisson, je dirai aux moissonneurs : Arrachez d’abord l’ivraie, et liez-la en gerbes pour la brûler, mais amassez le blé dans mon grenier. » En attendant la moisson (en présence de Gbagbo ?), chaque tendance du FPI peaufine sa stratégie pour 2020.
A-L’hypothèse qui hante Affi. Quel avenir politique pour Affi après la présidentielle de 2020 ? Et si les élections législatives du 18 décembre 2016 avaient scellé le sort de l’actuel président du FPI ? Ne pas avoir d’élu en pays Attié, Abbey, Bété, Wè, Kroumen, Abouré… signifie clairement que la base FPI ne se reconnait pas en Affi. La preuve, le FPI n’a eu que 3 députés loin derrière l’UDPCI…
En principe, après la présidentielle de 2020, Ouattara devrait se retirer de l’espace politique ivoirien. Le contexte socio politique aurait largement évolué depuis la crise de 2011. Plusieurs cadres emprisonnés, en exil devraient retrouver la liberté et circuler librement à Abidjan. Comment Affi va-t-il négocier ce tournant ? Organiser un congrès juste après la présidentielle de 2020 pour filer la patate chaude à l’un de ses lieutenants ? Il va sans dire que les procès vont se multiplier pour le contrôle du FPI ; les affrontements sur le terrain également.
B-Sangaré à la croisée des chemins. L’ami de Gbagbo est décidé à occuper le terrain au nom du FPI. Ce qui embête les autorités et Affi. Pour le moment, l’Exécutif ivoirien ne semble pas déterminé à l’arrêter pour usage abusif d’une organisation dont il ne serait plus membre. Va-t-il présenter des candidats lors des élections régionales à venir ? Quel schéma pour la présidentielle de 2020 ? Une alliance avec un candidat de poids de sorte à peser dans le jeu politique à nouveau semble s’imposer…
2-Préparer 2025. Le FPI peut-il remporter la présidentielle en 2020 ? Tout serait possible en politique. Toutefois, au stade actuel, le FPI n’a pas la dynamique interne qui puisse le propulser au devant de la scène politique. Ce parti pourrait glaner quelques sièges au niveau des élections régionales à venir. Pour l’Exécutif, il serait peut-être intéressant de miser sur 2025.
A-Adapter la grille de lecture. Les activistes du FPI, à l’instar de leurs adversaires du RDR, se contentent de déplacer les cadavres pour réécrire l’histoire récente de la Côte d’Ivoire en attribuant le meilleur rôle à leur leader. Est-ce une stratégie payante ? Ne gagneraient-ils pas à faire leur bilan en reconnaissant leurs égarements en vue de sceller un nouveau pacte avec les électeurs ? Une telle approche nécessite un changement de grille d’analyse…
B-Renouveler le personnel politique. Comme toute organisation qui mise sur l’Avenir, le FPI gagnerait à préparer sérieusement la carrière de certains de ses cadres qui pourraient porter assez haut le flambeau FPI lors des batailles à venir. Je pense à Ahoua Donmello, Koné Katinan, Désiré Dallo, Aké N’gbo… Ces cadres eux-mêmes gagneraient à s’y préparer en adaptant leur stratégie : chercher à occuper l’espace tout en se donnant une image de leader national et non de chef de clan. D’ici là, le FPI cherche à se donner une certaine virginité politique, de sorte à gagner le cœur des Ivoiriens à nouveau…
La limitation du mandat présidentiel permet tous les 10 ans (ce qui correspond aujourd’hui à la durée généralement maximum de 2 législatures) à tous les courants politiques de se faire entendre et de conquérir le pouvoir. De leur confrontation dans le débat d’idées peuvent naitre des approches nouvelles en vue de la gouvernance, des projets de société.
De la Grèce antique aux années 90, l’alternance se présente comme un gage de stabilité politique et donc de croissance économique dans la mesure où elle permet à tous les acteurs politiques d’espérer remporter des élections. Cette limitation du mandat présidentiel pourrait empêcher aux partis d’opposition de n’avoir recours qu’à la violence en vue de l’alternance. Elle a l’avantage de susciter la démocratie au sein des partis politiques.
Le renouvellement du personnel politique permet un nouveau style de leadership avec de nouvelles idées. Ces nouvelles approches sont une chance pour un dynamisme, pour empêcher une société statique, sclérosée par des pratiques rétrogrades. Qui voudrait se retrouver avec des dirigeants vivant dans une bulle et complètement dépassés par l’environnement socio politique dont Bokassa, Mobutu, Amin Dada nous ont fourni des souvenirs imprescriptibles ? De ces différents camps qui ont fait l’objet de la présente étude (auxquels s’ajouteront d’autres candidats), quel sera le choix du peuple ivoirien ?
Sylvain N’GUESSAN, Institut de Stratégies (IS)
prospectiveinfos@gmail.com
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