Interview – Sylvain Kean Zoh (écrivain et homme politique):
L’auteur de « La voix de ma rue », roman au programme des collèges en Côte d’Ivoire s’ouvre à connectionivoirienne. Il parle de son entrée en politique, de ses convictions et jette un regard critique sur l’actualité politique de son pays.
Sylvain Kean Zoh vous êtes écrivain et tout récemment, en 2014, vous vous êtes invité dans la politique en créant l’Ump (Union des masses populaires). Etes-vous à la recherche d’une seconde notoriété ou était-ce réellement pour apporter quelque chose de nouveau à la Côte d’Ivoire ?
Effectivement, je suis écrivain et, grâce au livre, je suis flatté d’avoir une modeste notoriété. C’est vous dire que si mon objectif était de rechercher une notoriété, je n’aurais pas créé l’Ump. Si donc je suis entré en politique, c’est parce que j’ai la conviction de pouvoir apporter quelque chose de nouveau à notre pays. Je veux notamment emmener les Ivoiriens à faire la politique dans la vérité, sans se haïr, sans recourir à la violence et sans jamais trahir les intérêts du pays. Je veux surtout que chacun comprenne qu’on ne vient pas en politique pour s’enrichir mais plutôt pour aider son pays et les populations qui y vivent. En d’autres termes, je veux contribuer au renouveau politique en Côte d’Ivoire par la formation de l’opinion de sorte à permettre à mes compatriotes de faire les meilleurs choix sur les questions qui engagent notre avenir commun. Et je suis heureux de constater qu’avant moi des écrivains ivoiriens de renom que sont Bernard Dadié, Maurice Bandama ont rejoint des partis politiques où ils occupent des postes honorables.
Pendant plusieurs mois, vous avez entretenu la possibilité d’une candidature à la présidentielle 2015. Après vous vous êtes rangé derrière Alassane Ouattara qui l’a emporté. Et si c’était à refaire ?
Il importe, pour compléter l’information, de rappeler qu’en 2015, je n’ai pas fait qu’annoncer ma candidature à l’élection présidentielle. J’ai aussi et surtout interpellé les Ivoiriens sur les failles de ce scrutin. Pour moi et pour l’Ump, il était évident que cette élection ne pouvait pas être transparente. La CEI avait déjà faussé tout le jeu en bâclant expressément la liste électorale. En plus, il y avait de réels risques au plan sécuritaire car le processus Ddr (Désarmement, démobilisation, réinsertion, ndlr) avait lui aussi été bâclé. Les ex-rebelles et autres dozos qu’on nous disait avoir désarmés continuaient de patrouiller aussi bien à Abidjan que dans les villes de l’intérieur…etc. Je me rappelle que tous les candidats annoncés ont fait les mêmes observations que moi. Paradoxalement, quand la CEI, dont nous contestions tous la légitimité, a ouvert les candidatures, Affi N’guessan, Mamadou Koulibaly, Konan Banny, Essy Amara et autres sont allés déposer leurs dossiers, rendant du coup le scrutin « crédible » aux yeux des observateurs. Ma première réaction a été de renoncer à être candidat. Certains ont souhaité que je me présente pour avoir aussi les 100 millions de l’Etat. J’ai dit non. Par contre, et puisque ces gens-là avaient rendu le scrutin « crédible », j’ai appelé mes militants à voter pour le candidat dont le programme mettait un point d’honneur sur la réconciliation nationale chère à l’Ump. Et c’était Alassane Ouattara. Si c’était donc à refaire dans les mêmes conditions, je ferais le même choix.
En vous suivant, nous remarquons que d’un soutien sans faille à M. Ouattara, vous êtes devenu ces derniers temps, très critique vis-à-vis de sa gestion. Comment expliquez-vous ce revirement ? Les Ivoiriens diraient qu’est-ce qui n’a pas marché ?
Vous savez, je ne suis pas le genre de personne qui dit à son ami « passe devant, je te couvre » et qui tire le même ami par derrière pour le faire tomber. Je respecte toujours mes engagements et j’assume mes choix. Mais je vous ai dit plus haut que j’ai appelé à voter pour Ouattara parce que son programme mettait un point d’honneur sur la réconciliation nationale. Mon devoir, dans ces conditions, est de veiller au respect de ce pourquoi j’ai appelé à voter. Ouattara construit des infrastructures. C’est tout à son honneur. Seulement, s’il fait tout cela sans réconcilier les Ivoiriens, il aura travaillé en vain. En vérité, quand un pays a vécu de nombreuses années de crise comme c’est le cas pour la Côte d’Ivoire, la bonne gestion ne doit inclure la « reconstruction » des hommes qui, elle, consiste à agir pour l’unité nationale, la cohésion sociale, la réconciliation et la paix. Si je suis donc critique envers Ouattara, c’est parce qu’il ne me donne pas satisfaction sur ces points. Il faut que le processus de réconciliation soit une priorité nationale au même titre que les infrastructures que l’on construit ici et là. En dehors de cela, il faut relever le niveau de vie des Ivoiriens qui ont commencé à manifester des signes d’essoufflement économiques. Quand, au lieu de ces urgences, on assiste à une inflation générale de tous les prix, il va de soi que je ne puisse pas me taire. Comment me taire d’ailleurs si le peuple crie à la faim ? Comment peut-on se taire quand l’Ivoirien a du mal à se soigner et à envoyer ses enfants à l’école ? Qui peut se taire quand le taux de chômage est à son niveau le plus élevé et que la corruption gangrène tous les secteurs d’activité ? Je ne peux pas me taire quand le Président utilise les fonds publics pour payer des primes de guerre aux ex-rebelles. En tout cas, il ne sera pas dit un jour que Sylvain Kean Zoh n’a rien fait ou dit quand le navire Ivoire prenait de l’eau sous l’ère Ouattara.
Dans 3 ans ce sera 2020 et des élections générales attendent la Côte d’Ivoire. Pensez-vous que le paysage politique national est suffisamment assaini pour des élections sans risque ?
Au stade actuel, je vous réponds par la négative. Il n’y a qu’à constater les récents soulèvements armés pour comprendre que 2020 risque d’être pire que 2010, si l’on n’y prend garde. Le danger pourrait même venir du propre camp du Président Ouattara où il y a déjà une guerre de positionnement qui ne dit pas son nom. Il y a aussi que la CEI demeure dans son mauvais rôle et n’a toujours pas révisé la liste électorale là où la loi électorale prévoit de le faire chaque année. A cette allure, les nouveaux électeurs n’excéderont pas 100 mille personnes en 2020. Par conséquent, ce sont plusieurs millions d’Ivoiriens qui seront encore privés de leur droit de vote. Or, le scrutin de 2020, qu’on le veuille ou pas, sera la vraie élection de sortie de crise. Un certain nombre de dispositions est donc à exiger de Ouattara si nous ne voulons pas de dérapages qui nous plongeront encore dans une crise postélectorale. Il nous faut notamment la refonte et la restructuration de la commission électorale indépendante. Il nous faut également former un gouvernement d’union nationale à charge de se concentrer aussi bien sur les grandes questions qui se posent à notre pays que sur la préparation et l’organisation d’une élection présidentielle transparente en 2020.
Malgré ce sombre tableau, il se trouve aujourd’hui des gens pour tromper Ouattara en allant chanter ses louanges au palais présidentiel et un peu partout à l’intérieur du pays. Le plus ridicule étant l’organisation d’une cérémonie de remerciements à Ouattara pour la nomination de Duncan à la vice-présidence de la République
Quelle est votre lecture du climat sociopolitique actuel ?
Je note d’abord et avec beaucoup de regrets que les Ivoiriens, dans leur grande majorité, ne sont pas satisfaits de la gestion de Ouattara au point que les différentes couches sociales ne cachent plus leur mécontentement. Les travailleurs grognent, les planteurs grognent, les ménagères grognent, les jeunes sont en colère parce qu’ils n’ont pas de travail après leurs études, tout le monde se plaint de la cherté de la vie et de la pauvreté qui prennent des proportions inquiétantes. Malgré ce sombre tableau, il se trouve aujourd’hui des gens pour tromper Ouattara en allant chanter ses louanges au palais présidentiel et un peu partout à l’intérieur du pays. Le plus ridicule étant l’organisation d’une cérémonie de remerciements à Ouattara pour la nomination de Duncan à la vice-présidence de la République. Ces personnes, par leurs chants et leurs applaudissements, cherchent à enfermer Ouattara dans le schéma du culte de la personnalité qui n’est jamais profitable à un pays. Je suis par ailleurs triste de constater que des Ivoiriens sont encore en exil quand d’autres sont en prison, que certains réfugiés politiques meurent dans des camps de réfugiés à l’étranger et que leurs enfants sont obligés de s’humilier pour survivre. On ne peut pas être de ce beau pays qu’on appelle la Côte d’Ivoire et accepter que ses concitoyens soient livrés à une telle misère. Il est temps qu’Alassane Ouattara se décide à amnistier tous les acteurs de la crise postélectorale pour ainsi permettre aux exilés et prisonniers pro Gbagbo d’être libres de tout mouvement. Sur ce point, j’entends souvent dire qu’une amnistie serait contraire à la justice. Ceux qui disent cela oublient qu’il y a aussi des coupables dans le camp Ouattara et que ces derniers n’ont jamais été inquiétés par la justice. Ils oublient surtout que, pour la paix et la réconciliation, Laurent Gbagbo a amnistié en son temps Soro Guillaume et ses rebelles qui ont détruit notre pays, violé, tué et volé. Certains veulent que les pro Gbagbo se mettent à genoux et demandent pardon. Mais entre nous, qui a une fois vu Ouattara, Soumaila Bakayoko ou même Soro, qui ont aussi de lourdes responsabilités dans notre crise, se mettre à genoux et demander pardon aux Ivoiriens ? Soyons sérieux et recherchons la paix sans poser de conditions fondées sur des rancœurs.
Le dossier Laurent Gbagbo reste pendant. Etes-vous de ceux qui pensent que sa libération peut donner une chance de réconciliation totale à la Côte d’Ivoire ?
Personnellement, je suis pour toutes les solutions qui vont ramener la paix en Côte d’Ivoire. Si, devant Dieu et les hommes, c’est ce qu’il faut pour que notre pays consolide son unité nationale, se réconcilie avec lui-même et retrouve la paix, pourquoi pas ? Mais, à mon avis, et je le dis sans faux fuyant, le mal ivoirien est trop profond qu’il serait faux de croire que la libération de Laurent Gbagbo sera une sorte de déclencheur automatique pour la réconciliation qui elle, dépend de la disposition intérieure de chaque Ivoirien, vous, moi, Gbagbo lui-même, Soro Guillaume et Alassane Ouattara y compris. Quand Mandela est sorti de prison en Afrique du Sud, non seulement il s’est consacré à la paix et à la réconciliation mais il a été imité en cela par-là société Sud-Africaine dans toutes ses composantes. C’est cette disposition à la paix, partagée par tous les protagonistes qui a facilité la réconciliation dans ce pays frère. Est-ce le cas actuellement en Côte d’Ivoire ? Ma réponse est malheureusement « non » puisque, visiblement, nous ne sommes pas assez préparés à la réconciliation. Gbagbo peut donc être libéré demain sans qu’il n’y ait pour autant la paix dans notre pays.
Comment voyez-vous le Rhdp en 2020 ? Pensez-vous qu’il sera à même de canaliser les ambitions politiques en son sein et de rester crédible aux yeux de ses partisans et sympathisants ?
En tant que Président de parti politique, je ne peux pas m’immiscer dans les affaires internes d’autres partis. Tout le mal que je souhaite au Rhdp, c’est de rester soudé afin que son candidat affronte en toute transparence ceux des autres Coalitions. Là-dessus, il ne se fait aucun doute que si en 2020 l’opposition ivoirienne, dans son ensemble, sans calcul autre que l’intérêt du peuple, s’unit pour présenter une seule candidature unique, elle battra le Rhdp.
Dans quel camp militerez-vous ? A gauche ou à droite ?
Dites-moi aujourd’hui où se trouve la droite et où se trouve la gauche dans notre pays. Ce que je vois, ce sont des partis au pouvoir et d’autres qui, comme l’Ump, ne sont pas au pouvoir. Mon souhait est que les partis qui ne sont pas au pouvoir s’unissent en vue d’une candidature unique à l’élection présidentielle de 2020.
Pensez-vous qu’un parti comme le Fpi peut revenir au pouvoir ?
De ma position actuelle, ce n’est pas l’arrivée au pouvoir d’un parti politique qui m’intéresse. Ce qui m’importe, c’est que le pouvoir revienne au peuple souverain de Côte d’Ivoire au soir du scrutin présidentiel de 2020.
Par SD à Abidjan
Les commentaires sont fermés.