La création d’une banque par un parti politique, au bénéfice exclusif de ses militants est une hérésie, qui se heurte à la Constitution et au droit commun (bancaire et commercial). C’est une initiative qui enfreint les limites légales de l’objet social d’un parti politique, et sort outrageusement du domaine de ce qui est admis par la communauté nationale comme relevant des activités traditionnelles d’une formation politique. Si les partis politiques se créent et exercent librement leurs activités, ils ne peuvent le faire, toutefois, que conformément à leur statut, leur forme, leur objet social et la Loi. En effet, ils ont l’obligation impérative de le faire dans le cadre très strict de la Constitution, qui en fait une association, très différente des autres. À défaut de s’y conformer, il revient à l’État d’intervenir avec détermination pour faire respecter la Loi, car « les partis politiques exercent leurs activités librement, sous la condition de respecter les lois de la République »
1 – Le Cadre Légal
a) – AU TITRE DE LA CONSTITUTION DE 2016
« … Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. … Les partis et groupements politiques légalement constitués bénéficient du financement public, dans les conditions définies par la loi. » Art. 25
Le financement des partis politiques est assuré sur des deniers publics, pour remplir la mission que lui confie la constitution, celle de coopérer à faire vivre les principes du système démocratique dont s’est doté l’État, à travers l’expression plurielle de la volonté populaire. En cela, ils sont des partenaires indispensables au processus de bonne gouvernance. Dès lors, ces fonds publics appartiennent à l’État au sens sociologique du terme, donc à l’ensemble de la communauté nationale. Cette dotation exceptionnelle, vise la réalisation d’actions prédéterminées par la Constitution, au regard de leur importance et de leur intérêt pour la nation, exactement à l’instar d’un service public. Cette particularité fait que les fonds mis à la disposition des partis politiques pour assurer leur fonctionnement, sont strictement adossés à leur rôle et leur mission dans la vie politique et démocratique de la nation. Ceux de former et d’informer ses militants et sympathisants, de sensibiliser et de mobiliser les populations en vue de partager et d’exprimer des opinions et des projets programmatiques. Peut-on confisquer ces fonds publics au profit exclusif de ses militants, au motif de leur exprimer reconnaissance et solidarité ? Donner à leur emploi une autre orientation ou un autre objet, que ceux prévus par la Loi, constitue un détournement qui n’a pas besoin d’être démontré. Il est manifeste. En effet, en se muant en une organisation financière d’entraide interindividuelle, le RDR cesse de jouer son rôle constitutionnel. Soit il n’est plus éligible au bénéfice des fonds publics, soit il doit revenir à son rôle institutionnel de participation et d’animation de la vie politique (encadrement, formation, contradiction, proposition, représentation, canalisation, exigence, choix, orientation et contrôle politique de l’action gouvernementale).
b) – AU TITRE DE LA LOI N° 93-668 DU 9 AOUT 1993 RELATIVE AUX PARTIS ET GROUPEMENTS POLITIQUES
« … le Parti politique est une association de personnes physiques qui adhèrent aux mêmes idéaux politiques, s’engagent à les faire triompher par la mise en oeuvre d’un programme, en vue de conquérir et d’exercer le pouvoir selon les principes démocratiques définis dans la Constitution. » (Art. 1)
« Les Partis ou Groupements Politiques ne peuvent s’identifier à une race, une ethnie, un sexe, une religion, une secte, une langue, une profession où à une région du pays. » (Art.4)
Il ressort des dispositions ci-dessus qu’un parti politique possède un objet prédéfini, auquel il ne saurait déroger, et qu’il constitue un contrat d’association aux buts préalablement définis par la Constitution. De prime abord, l’adhésion militante se fait sur la base de convictions, d’idéaux, de valeurs, et d’un projet de société. On ne peut convertir cette adhésion en un soutien électoral en contrepartie d’un soutien financier. C’est illégal et immoral. Ce serait légaliser de fait, la corruption des voix électorales, en les soumettant aux forces de l’argent et à toutes sortes de trafics et de séduction, jusqu’aux plus irresponsables, comme des promesses déraisonnables et irréalisables, avec les conséquences que nous savons. La fin ne justifie pas toujours les moyens. Un parti politique n’est pas une association à but lucratif ou une coopérative de crédit. Il ne peut pas être une association financière, dont les membres jouissent d’un droit d’attribution ou d’éligibilité à des avantages matériels (postes, emploi, assistance financière, crédits) en retour de leur adhésion ou de leur soutien électoral. C’est la pire des perversions que l’on puisse faire de l’application d’une Loi, en la détournant de son objet principal.
c) – AU TITRE DU DROIT BANCAIRE ET DE LA CONCURRENCE
Enfin, aux termes de la présente loi, un parti politique n’est pas autorisé à s’identifier à une profession. Or, l’activité de crédit constitue le propre d’une activité professionnelle, réservée exclusivement aux banquiers et aux institutions financières. Faire du crédit est une concurrence déloyale à l’endroit de ces agents économiques, et un exercice illégal de la profession de banquier. En effet, le Code monétaire et financier prévoit un monopole de cette activité au profit de ces derniers, en interdisant « à toute personne autre qu’un établissement de crédit ou une société de financement, d’effectuer des opérations de crédit à titre habituel ». C’est une violation flagrante de ce monopole, qui doit être sanctionnée comme telle. Par ailleurs, une banque peut-elle justifier légalement du mode sélectif et préférentiel de sa clientèle, sur une base politique ? Se serait illicite.
2 – Le cadre socio-politique
Au moment où toute la nation découvre avec stupéfaction – sans en connaître toute la réalité et sans en comprendre toujours toutes les données – à la circonstance des revendications récurrentes des ex-combattants, les promesses qui leur ont été faites, que d’aucuns jugent exorbitantes, inconsidérées et illégales, faut-il entretenir « la culture de la récompense militante ou combattante » au sens noble du terme ? Plutôt que de reformer la mentalité étroite de ses militants de base, égoïstement personnelle et abusivement revendicative, le RDR choisit la facilité et la fuite en avant, en dévoyant l’essence même du combat politique. C’est développer une culture politique qui consacre un affaissement des valeurs qui élèvent le débat démocratique. La démarche politique des militants du RDR serait nourrie, du fait de la création de cette banque, non pas par un idéal, un projet de société, une adhésion à un programme d’action, ou tout simplement par la raison, mais par des calculs, des motivations égoïstes et opportunistes, qui n’aident pas le citoyen à s’émanciper.
Le combat politique est un combat par la Loi, qui n’a de sens que lorsqu’il est orienté vers la recherche d’une gestion efficace de la chose publique, des affaires d’Etat, de la justice et de la cohésion sociale, d’un développement économique et humain, de la sécurité et de la paix. Dès lors, il n’y a rien de véritablement surprenant, que la hantise d’une réconciliation inachevée, du succès final des chantiers du Président de la République, des difficultés financières nouvelles qui apparaissent (chute des cours, imprévus budgétaires), d’une indemnisation des victimes très lente et nettement insuffisante, ne semble ni habiter ses discours, ni parcourir l’esprit de ses militants, alors que c’est sur ces questions et le partage d’une vision commune pour l’avenir du pays, que devrait se faire sa mobilisation.
Quelles sont les causes qui conduisent le RDR à créer une banque d’entraide et de solidarité ? Son incapacité à pouvoir mobiliser autour de ses idées et de son programme ? Certes, pour relever ce défi, tous les partis politiques ont besoin de soutien populaire, faut-il pour cela le monnayer ? Si cette initiative reflète le désir de ses militants de base, qui attendent des cadres de leur parti, solidarité fraternelle, reconnaissance des efforts accomplis, et parfois récompense militante, est-ce une réponse adéquate à cette demande relationnelle ? Voici certaines des questions qu’il devrait se poser. Dans tous les cas, comme dirait l’autre, la réponse n’est certainement pas dans la création d’une banque, c’est un pis aller. Ailleurs, ce sont les militants eux-mêmes qui cotisent en vue de procurer à leur organisation politique, les moyens de faire triompher leurs idées, leur projet de société, leur programme d’action, de conquérir et d’exercer le pouvoir à cette fin.
Conclusion
C’est ce type de comportement politique (fuite en avant) qui nous a conduit au stade où « l’illégal et l’irraisonnable » sont devenus des « droits de fait », qui se revendiquent désormais en Côte d’Ivoire. C’est le cas également dans certains secteurs d’activité, tel que le transport, livrés à une anarchie qui s’accumule et se consolide au fil du temps pour former, ici aussi, « des droits de fait » consacrés par un usage constant, qu’il sera difficile de combattre par la suite, faute de décisions courageuses en temps opportun. J’invite l’Etat à interdire la création de cette banque, en ce qu’elle contrevient à la Loi. Il lui revient dans son rôle régalien de contrôler le bon usage des fonds publics et leur destination finale. Ne pas le faire créerait un fâcheux précédent, qui transformerait la nature même de notre pratique politique, en modifiant profondément les rapports des partis politiques à la Loi, suivant qu’on est au pouvoir ou dans l’opposition. Ce serait faire violence à l’État de droit, tout en soutenant officiellement « la politique du ventre », autant dire, en tuant dans le citoyen, surtout dans notre jeunesse, tout idéal, toute ambition nationale. Le levain qui tire toute nation vers le haut. Nous n’avons pas le droit de les éteindre dans notre société.
La vie est difficile, mais elle l’est pour toute la communauté nationale. Un parti politique n’a pas vocation à se substituer à l’État, car son action est nécessairement discriminatoire, sur la base d’un critère d’appartenance politique. Dès lors, cette solution est aussi moralement inadmissible. Il est nettement préférable d’apporter des réponses institutionnelles à cette situation générale. Celles-ci évitent de rompre le principe de l’égalité des citoyens, devant les difficultés de la vie. Il est temps que les partis politiques adoptent en interne, les différentes notions et aspects liés au bon fonctionnement de la démocratie et à l’instauration d’une bonne gouvernance, qui fondent leur financement sur fonds publics. Ils doivent intégrer la finalité que leur assigne la Constitution.
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