Par Jean-Claude DJEREKE
Si j’étais français d’origine africaine, je donnerais ma voix, le 23 avril 2017, à Jean-Luc Mélenchon. Je porterais mon choix sur lui pour 8 raisons:
1/ Il appelle les choses par leur nom. Le leader de la France insoumise estime, en effet, que, quand le peuple est fatigué d’être continuellement roulé dans la farine et de faire des sacrifices alors que ceux qui lui promettent monts et merveilles s’empiffrent et s’engraissent sur son dos, celui qui aspire à lui montrer une autre manière de gouverner ne doit pas s’embarrasser de fioritures ni caresser les “salopards” dans le sens du poil mais parler “dru et cru”. Quel but poursuit-on en disant les choses telles quelles? “Provoquer les consciences, attirer l’attention sur les sujets peu abordés par les médias soumis à l’oligarchie financière dans laquelle on trouve Martin Bouygues, Xavier Niel, Serge Dassault, Bernard Arnault, Vincent Bolloré, Pierre Bergé, Patrick Drahi, François Pinault, Matthieu Pigasse et Arnaud Lagardère.
2/ Il juge “ irresponsables” la plupart des journalistes français. Il les nomme à juste titre “la caste médiatique ou les curés médiatiques qui disent comment on doit parler, de quoi on doit parler”. Pourquoi est-il si dur avec eux? Pourquoi les fustige-t-il ? D’abord, parce que ces journalistes croient tout savoir et détenir la vérité; ensuite, parce qu’ils aiment bien “agiter leurs palmes et leurs engins à encens” à l’endroit des riches et puissants et diaboliser ceux qui osent s’attaquer à un système bâti sur le pillage, la violence et le mensonge; enfin, parce qu’ils préfèrent les clichés et les lieux communs à un travail rigoureux et professionnel quand ils doivent parler de l’Afrique et de ses dirigeants.
3/ L’humain occupe une grande place dans sa vision du monde et de la politique et, pour lui, si c’est l’humain d’abord qui compte, alors il faut se préoccuper et s’occuper de toute personne, c’est-à-dire de tout homme et de toute femme, “quelle que soit sa condition sociale, quelle que soit son éducation, quelle que soit sa religion”.
4/ Il refuse que les Français soient les porteurs de valises des États-Unis, tout comme il lui est insupportable que les amis et ennemis des Américains deviennent les amis et ennemis des Français. Il est d’autant plus opposé à ce rôle dégradant et indigne que les “États-Unis sont des fouteurs de guerre dans le monde entier”. Le candidat de la France insoumise souhaite que “la France discute avec tous les pays, se défende elle-même pour pouvoir agir librement”. Il est donc favorable à ce que son pays “quitte au plus vite l’OTAN, alliance anachronique qui multiplie les facteurs de possibles conflits à venir et ne servant plus qu’à embrigader les pays européens derrière les États-Unis”. Lorsque Sarkozy et Hollande réclamaient à cor et à cri le bombardement de la Syrie et la mise à l’écart de Bachar Al Assad, ils ne faisaient que répéter comme des perroquets un cantique entonné quelques jours plus tôt par la Maison blanche. Il n’est donc pas étonnant que ces gens-là, prompts à obéir au doigt et à l’œil aux Américains, veuillent avoir des valets en Afrique francophone. Mélenchon, lui, n’a pas l’intention de manger de ce pain-là; et lui, qui ne veut pas courber l’échine devant Donald Trump ou Angela Merkel, serait incohérent s’il devait faire la guerre à des présidents “indociles” en Afrique. Il serait accusé de ne pas pratiquer ce qu’il prêche s’il maintenait les bases militaires françaises en Afrique.
5/ Il est l’un des rares hommes politiques français à avoir condamné, de façon ferme et constante, le parti pris de la France dans le conflit ivoirien, l’intervention de Licorne en faveur de Dramane Ouattara en mars-avril 2011 et l’inculpation d’un seul camp alors que des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité ont été commis par les deux camps. Et pourtant, quand Laurent Gbagbo dirigeait le pays, il ne lui a offert ni costumes, ni mallette d’argent, ni virée nocturne à la rue princesse de Yopougon.
6/ Alors que les autres candidats préconisent de fermer les frontières européennes ou de bloquer les migrants dans les pays de transit (Maroc, Libye, Tunisie, Algérie, etc.), Mélenchon propose de soigner le mal à la racine: il faut arrêter de faire la guerre dans tel ou tel pays étranger. Depuis que la crise syrienne a commencé, il martèle que “les gens migrent parce qu’il y a la guerre chez eux et parce que nous détruisons leurs économies”. Récemment, il est revenu à la charge sur la question en déclarant: “Pour lutter contre l’immigration massive – qui d’ailleurs est principalement interne aux pays en voie de développement –, il faut s’attaquer aux causes des migrations : l’impossibilité de tout développement des pays de départ, en raison des dettes et des politiques d’ajustement structurel imposées par le Fonds monétaire international ou la Banque mondiale, le pillage des ressources par les multinationales et le libre-échange.” Il ajoute: “Nous commencerons par dénoncer les accords de partenariat économique entre l’UE et les pays ACP [Afrique, Caraïbes et Pacifique], dont les conséquences sont de ruiner la petite paysannerie et de mettre en danger la souveraineté alimentaire des pays concernés. Nous proposerons à nos partenaires africains d’initier un audit sur la dette afin de récuser celles qui sont illégitimes…
Nous cesserons d’apporter un soutien aux dictateurs et de cautionner des scrutins frauduleux. Nos efforts porteront sur le soutien aux mouvements démocratiques et populaires et nous dénoncerons les biens mal acquis sur le sol français. Mais, surtout, nous initierons une nouvelle diplomatie altermondialiste basée sur le respect et le développement réel des États, en dénonçant la dette ignominieuse et les accords de libre-échange qui ravagent les sociétés africaines.”(cf. “Le Monde” du 13 avril 2017)
7/ Sur la Françafrique, dont la mort est toujours annoncée mais à laquelle personne ne veut mettre fin, l’ancien ministre de Jospin se montre sans équivoque: “Nous nous engageons à cesser de fermer les yeux sur les élections truquées. Stop à la Françafrique ! Nous soutiendrons les démocraties et appliquerons des mesures restrictives dans les relations avec les dictatures, sans toutefois intervenir dans les affaires intérieures des pays concernés. La coopération avec les pays africains sera redéfinie en fonction de la volonté de sortir du modèle productiviste d’exploitation et du déséquilibre des échanges. Les droits humains et la co-construction des projets de coopération seront au cœur de la nouvelle politique d’aide au développement.” (cf. “Le Monde” du 13 avril 2017)
Huitième et dernière raison: Mélenchon n’est pas seulement un orateur hors-pair. C’est aussi un homme cultivé. Et j’ai toujours eu du plaisir à l’entendre lire ou déclamer des textes de Victor Hugo, de Charles Baudelaire ou de Jean Jaurès. Ceux qui l’ont écouté à Dijon, le 18 avril 2017, peuvent en témoigner puisqu’il termina son discours par ce joli poème de Paul Eluard: “La nuit n’est jamais complète. Il y a toujours, puisque je le dis, puisque je l’affirme, au bout du chagrin, une fenêtre ouverte, une fenêtre éclairée. Il y a toujours un rêve qui veille, désir à combler, faim à satisfaire, un cœur généreux, une main tendue, une main ouverte, des yeux attentifs, une vie,
la vie à se partager.”
Quand on se plonge dans l’histoire de l’élection présidentielle en France, on a quelquefois l’impression que le peuple français est bizarre. Bizarre car, plus d’une fois, il a préféré des “voyous et assassins” (Jacques Vergès) à des gens honnêtes et humains (Mendès-France, Michel Rocard, Lionel Jospin). Cette bizarrerie sera-t-elle rééditée en 2017? Espérons que non car Jean-Luc Mélenchon, s’il est loin d’être parfait, a le meilleur profil pour la fonction présidentielle.
Jean-Claude DJEREKE
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