Alpha Condé est en visite d’Etat à Paris. Le chef de l’Etat guinéen, président en exercice de l’Union africaine, étaits l’invité de RFI. Morceaux choisis de cette interview.
«Nous voulons désormais être maîtres de notre destin»
RFI : M. le président, lors de cette visite d’Etat vous avez dit : « Les Africains sont très reconnaissants au président Hollande pour tout ce qu’il a fait pour l’Afrique ». A quoi pensez-vous ? A son engagement militaire au Sahel ? A son attitude par rapport à la fameuse Françafrique ?
Alpha Condé : A son attitude, mais surtout à trois actes qu’il a posés. Son intervention au Mali nous a sauvés parce que sans son intervention ça aurait été la catastrophe. La deuxième : lorsqu’on a eu Ebola en Guinée, non seulement il nous a accompagnés, mais il est venu lui-même en Guinée en plein Ebola. Il a été à l’hôpital voir les malades. Le troisième c’est son action relayée par [Laurent] Fabius et ensuite par Ségolène [Royal] à la COP21, les résultats que nous avons obtenus sur le climat, mais surtout le financement de l’énergie, puisque la COP21 s’est engagée à financer 10 Gigawatts, dont 5 par l’Union européenne. Donc ces trois actes posés sont fondamentaux. Ensuite, il a toujours montré une grande ouverture avec l’Afrique en traitant l’Afrique en pays majeur et non pas en une attitude paternaliste.
Quand vous dites que vous n’avez pas d’inquiétude si c’est M. Fillon ou M. Macron, vous aurez plus d’inquiétude si c’est M. Mélenchon ou Mme Le Pen ?
Non, [Jean-Luc] Mélenchon est un camarade de longue date. Mais vous connaissez les positions de Mme Le Pen sur l’Afrique, donc je ne vous apprends rien. Par contre, Mélenchon est un camarade de longue date. Nous avons participé à plusieurs congrès du Parti socialiste et je pense que c’est quelqu’un qui est attaché à l’Afrique. Donc je n’ai aucune inquiétude.
Donc c’est le vieux militant de l’international socialiste qui parle aussi là.
Oui.
(…)
M. le président, vous présidez également l’Union africaine pour toute cette année 2017 et au Congo Kinshasa l’opposition dit que le Premier ministre nommé vendredi dernier par le président Kabila n’est pas consensuel et que sa nomination contrevient à l’accord du 31 décembre dernier. Qu’est-ce que vous en pensez ?
J’ai eu à discuter avec le président Kabila, avec Félix [Tshisekedi] et aussi avec [Moïse] Katumbi. Notre objectif, c’est d’accompagner le Congo Kinshasa afin de permettre à l’opposition et au président Kabila de s’entendre pour que les élections aient lieu en 2017 et que le Congo sauvegarde son unité et la paix.
Notre rôle c’est de les accompagner et non pas de porter un jugement, mais nous allons tout faire pour amener les partenaires à un accord. Nous verrons bien, puisque nous continuons à discuter avec eux. J’avais téléphoné au président Ali Bongo qui est président de la Cemac, pour qu’on voit ensemble comment nous pouvons agir, quitte à nous rendre ensemble au Congo, discuter avec le président Kabila et les autres.
En tout cas nous allons accompagner, l’Union africaine va accompagner le Congo parce que le Congo c’est le poumon et le centre, le cœur de l’Afrique. Il est extrêmement important pour nous que ce pays soit stable et que les choses se passent normalement. Donc nous allons discuter sans ingérence, mais nous allons les accompagner. On verra ce que nous pourrons faire pour les aider.
Donc vous êtes prêt s’il le faut à prendre votre bâton de pèlerin avec Ali Bongo et à aller à Kinshasa ?
Ali Bongo et d’autres, comme le président dos Santos, le président Sassou [Nguesso], le président Idriss Déby, le président Obiang. C’est-à-dire les principaux acteurs de l’Afrique centrale. D’abord nous échangeons beaucoup, parce que nous sommes très préoccupés de la situation au Congo, étant donné l’importance du Congo en Afrique.
Dans votre feuille de route pour l’Union africaine vous dites : « Nous, les Africains, nous ne sommes pas maîtres de notre destin ». Un exemple : le franc CFA, est-ce que vous pensez que vos voisins doivent renoncer à cette monnaie qui est accrochée à l’euro, via le Trésor français ?
Je n’ai pas dit que nous ne sommes pas maîtres. J’ai dit que nous voulons désormais être maîtres de notre destin. C’est-à-dire que nous ne voulons plus qu’on nous dicte. Nous voulons pouvoir définir notre propre plan de développement économique, notre propre façon d’appliquer les principes démocratiques à nos pays. Ce que j’ai dit c’est que l’Afrique aujourd’hui doit se prendre en main. Maintenant, je ne suis pas membre de la zone franc. C’est les pays membres de la zone franc qui doivent savoir si c’est avantageux ou pas et décider. Et je ne suis pas membre de la zone franc, mais je suis partisan d’une monnaie régionale ou continentale. Je suis partisan d’une monnaie dans le cadre de la Cédéao et plus tard d’une monnaie africaine.
(…)
Votre premier geste politique en tant que président de l’Union africaine c’est d’avoir aidé le Maroc à revenir dans la grande famille africaine. Aujourd’hui le royaume frappe à la porte de la Cédéao. Est-ce que vous pensez que le Maroc a une place à part entière dans votre organisation régionale ?
Je suis président de l’Union africaine, je ne suis pas président de la Cédéao.
Oui, mais vous en êtes membre.
Oui, je suis membre de la Cédéao. Je pense que nous allons en discuter entre les chefs d’Etat. J’ai déjà échangé avec le roi du Maroc et je pense que le Maroc sait à peu près quels sont les problèmes posés. Tout ce qui peut renforcer l’intégration africaine, je suis pour. Mais ça dépendra de la vision des pays de la Cédéao.
Ça veut dire que vous êtes ouvert à cette perspective ?
Je suis ouvert. Vous savez, le Tchad avait déjà demandé à adhérer. Donc nous verrons bien quelles sont les possibilités. Ce n’est pas seulement le Maroc, le Tchad avait demandé à adhérer. Est-ce qu’il faut revoir la recomposition des régions ou pas ? C’est un débat libre. Mais notre objectif aujourd’hui c’est l’intégration continentale. C’est pourquoi nous avons confié au président du Niger Issoufou d’être le champion pour la zone de libre-échange, afin de mettre fin à toutes les barrières douanières, etc, pour que le commerce interafricain soit l’essentiel.
Et aussi nous avons confié au président Museveni l’intégration politique, au président Alassane Ouattara l’agenda 2063, pour qu’effectivement l’intégration africaine soit une réalité. Donc ça dépasse la Cédéao, ça dépasse la Sadec. C’est une véritable intégration continentale. N’oubliez pas que la Cédéao est en retard par rapport à l’Afrique australe et à l’Afrique de l’Est, qui ont déjà très avancé dans l’intégration économique, notamment la zone de libre-échange.
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