De la nécessite d’un consensus des parlements africains

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Une tribune internationale de Lawrence Atiladé

Doctorant en science politique à l’EHESS-Paris, Secrétaire à la communication du RJR-France

Qu’il soit monocaméral, bicaméral ou même tricaméral, tout Parlement incarne selon Hans Kelsen le « destin de la démocratie » du pays, ou (dans Etat fédéral) du territoire qu’il représente. Généralement élue, cette assemblée a une double visée : faire et défaire les lois, ce qui en fait le détenteur du pouvoir législatif; contrôler l’action du gouvernement du pays. Entre autres fonctions, cet organe collégial peut également conseiller et représenter la nation dans les relations internationales et les affaires extérieures de sorte que là où se trouvent les intérêts des citoyens, là aussi se trouve l’activité parlementaire, qui devient transfrontalière et universelle. A ce carrefour, et face aux défis de la mondialisation, elle doit être capable d’assurer avec dignité et efficacité la représentation du peuple dont elle porte la voix, aux quatre coins du monde. Ainsi, dans les pas du Parlement Européen, l’Afrique, pour s’impulser une nouvelle dynamique a créé le Parlement panafricain lors de la cinquième session extraordinaire des chefs d’État et de gouvernement de l’Organisation de l’unité africaine (OUA, aujourd’hui Union africaine), le 2 mars 2001 à Syrte, en Libye. Il compte 250 parlementaires membres dans 50 pays. C’est le troisième organe de l’Union africaine, après la Conférence des chefs d’Etat et le Conseil exécutif. Chaque pays qui signe et ratifie le protocole a droit à cinq députés, dont une femme au moins. Son but est de promouvoir les principes de la Démocratie et des Droits de l’Homme en Afrique ; puis d’assumer la mise en œuvre des décisions de l’Union Africaine. Dans cette lancée, les parlementaires du continent ont lancé un plaidoyer pour que l’Afrique obtienne un siège de membre permanent au Conseil de sécurité de l’Organisation des nations unies.

En réponse à cette requête, le conseil de sécurité a posé une condition préalable : « le consensus. Africain ». Autrement dit, il faut que les Africains s’accordent à parler d’une même voix avant de prétendre à une place au conseil dont l’une des conditions d’adhésion est la puissance militaire, économique. Comment le Parlement Africain qui n’a qu’un rôle consultatif peut-il remplir sa mission ? N’est-ce pas d’ailleurs ce qui expliquerait son manque de poids politique, et de visibilité ?

Sans succomber aux charmes de l’utopie d’un consensus en politique, nous analyserons succinctement dans un premier temps les arguments qui militent pour une « Afrique forte » (I), dans une deuxième, les défis qui attendent la diplomatie parlementaire Africaine (II), avant de conclure par une esquisse des nouvelles configurations de celle-ci (III).

I- Les arguments du Parlement panafricain et les perspectives mitigées
Même si économiquement certains experts optimistes qualifient de « prospère » la croissance économique de l’Afrique, est-il vraiment justifié de continuer à affirmer que la « stabilité monétaire », telle qu’elle est conçue dans la zone CFA, est une condition et non un obstacle à un développement digne de ce nom ? Force est de constater que dans le système actuel, l’équilibre externe prime sur l’équilibre interne, et tout l’enjeu est de bousculer cette hiérarchie de manière à ce que les objectifs internes soient davantage pris en compte sans que l’instabilité monétaire ne s’installe et détruise les acquis. Cela passera sans doute un jour ou l’autre par une remise en cause de la fixité de la parité du CFA avec l’euro. Cette question est inextricablement à la fois économique et politique car elle implique également celle de la souveraineté et, donc, de la rupture plus que symbolique vis-à-vis de l’ancienne métropole. À qui profite réellement le franc CFA ? Le président Guinéen Alpha Condé a répondu à cette interrogation, avec humour au dernier forum sur l’émergence qui s’est tenu à Abidjan. Il a incité les Africains à « rompre le cordon ombilical ». En somme qu’on ne commette pas l’erreur de déconnecter le débat monétaire du débat sur l’émergence. On comprendra mieux alors ce rapport du 29 septembre 2016 du Fonds monétaire International ? (http://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2016/09/29/africas-economic-growth-continues-to-falter-yet-some-countries-show-signs-of-resilience).

Il prévoit en effet que malgré un léger rebond, les cours des matières premières devraient rester bien en deçà des niveaux record enregistrés entre 2011 et 2014. Les performances économiques du continent continueront d’être contrastées. Si les plus grandes économies de la région et les autres pays exportateurs de matières premières devraient enregistrer une légère hausse de leur croissance, au fur et à mesure que les cours se stabiliseront, le reste de l’Afrique progressera à un rythme soutenu, notamment grâce aux investissements dans les infrastructures. Dans un tel contexte, la reprise devrait être modeste, avec une croissance réelle du PIB prévue à 2,9% en 2017, et 3,6 % en 2018.

En revanche, au plan démographique, Population Reference Bureau (PRB) souligne le poids que représentera la population Africaine dans les prochaines décennies. Selon cette organisation Américaine, le continent va assister à l’émergence de nouvelles puissances démographiques : le Nigeria qui restera la première puissance démographique Africaine atteindra 400 millions d’habitants à l’horizon 2050 ; la population de la République démocratique du Congo sera multipliée par plus de 2,5 ; et l’Ethiopie comptera, elle, 165 millions d’habitants. Derrière ces trois puissances démographiques, l’Egypte, la Tanzanie, le Soudan ou encore l’Ouganda feront partie des vingt pays les plus peuplés au monde en 2050. D’après l’Unicef, à la moitié du siècle un quart de la population mondiale sera Africaine. A ce niveau, ne nous réjouissons pas trop tôt, car cette hausse exigera d’énormes investissements dans l’éducation et la santé. Faute d’emploi, la jeunesse désœuvrée pourrait contribuer à faire monter la pression sociale et constituer un frein au développement politique et économique sur le continent. Si la population Africaine veut profiter à fond de cette dynamique, il faut au préalable qu’elle se pose la question de savoir si avec un aussi faible niveau d’urbanisation, sans tissu économique et sans tissu productif viable, cette forte pression démographique constitue un argument solide pour son positionnement. A entendre l’OCDE (l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques), l’urbanisation est concomitante du développement, mais les villes surpeuplées sont contre-productives. C’est à la fois une condition et une conséquence du développement partagé, ce qu’on appelle la croissance inclusive. Au-delà de 6 millions d’habitants, une ville génère plus d’appauvrissement que d’amélioration du niveau de vie.
Au regard de ce tableau fortement contrasté, l’urgence de s’accorder s’impose au parlement Africain, mais sur quels principaux points ?

II- Défi consensuel du Parlement panafricain

Cette nécessité se veut interne (par la réévaluation au plan institutionnel), et externe (par l’harmonisation des besoins communs aux Africains). En premier lieu, les appellations « Commission », « Parlement panafricain » et « Conseil de paix et de sécurité » attribuées aux organes principaux de l’Union Africaine (UA) ne sont pas sans rappeler les institutions majeures de l’Union Européenne (UE) et de l’ONU. La cérémonie officielle de lancement du Parlement panafricain s’est tenue le 18 mars 2004 à Addis-Abeba, siège de l’Union Africaine. Comparaison n’étant pas raison, le protocole du parlement Africain, lui, a besoin d’être adopté par 28 Etats membres pour entrer en vigueur, mais seulement 14 des 54 membres l’ont fait jusqu’à présent. Comment jouer un rôle vital dans la promotion de l’intégration de l’Afrique et du développement social, politique et économique du continent quand les membres refusent « délibérément » de ratifier ? Les sessions plénières du Parlement panafricain, quant à elles, ne durent pas plus de dix jours et n’ont lieu que deux fois par an. En ajoutant les réunions des commissions (deux fois par an également), les déplacements des parlementaires à Johannesburg sont limités. Outre cela, l’assemblée ne rend pour l’instant que des recommandations ou des avis purement consultatifs, qui sont ensuite transmis aux autres organes de l’UA. Ne gagnerait-on pas à encourager les gouvernements Africains à repenser ce statut en adoptant et en ratifiant un protocole visant à accorder au Parlement Panafricain des pouvoirs législatifs, comme l’a suggéré son président Roger Nkodo Dang ? Encore faudrait-il connaitre le degré d’opérationnalité d’un tel mécanisme en rapport avec les pesanteurs administratives qui minent les institutions Africaines. En gros, sa faible représentativité, son rôle consultatif et la non ratification des pays membres expliquent qu’après 15 ans d’existence, le Parlement panafricain manque de visibilité, et de poids politique.

En second lieu, les différences de perception, par exemple, concernant les violences faites à la femme et sa place dans la société et son éducation persistent. Ce qui semble normal vu que les cinq députés par pays sont des parlementaires nationaux, choisis au sein des législatures nationales ou autres organes délibérants des Etats membres, en fonction de la diversité des sensibilités politiques. Dans cette discordance, un consensus est-il envisageable sur l’abrogation des lois discriminatoires à l’égard des personnes handicapées, des enfants ? Sur les moyens de combattre le terrorisme, de promouvoir le commerce et la sécurité en Afrique et de mettre fin aux flux de capitaux illicites ?

Mais en dépit de toutes ces embûches, le Parlement panafricain a pu contribuer de manière significative à défendre la mise en œuvre d’un processus pour que les membres de l’UA adoptent une législation unifiée sur le climat, en intégrant l’Accord de Paris sur le changement climatique adopté en 2015. Par ailleurs, les parlementaires Africains sont également déterminés à promouvoir une plus grande intégration de la région et du continent en accélérant l’effectivité d’un passeport commun qui permettra aux citoyens des Etats membres de voyager sans visa. Sans omettre les différentes missions d’observations électorales envoyées à travers le continent. Cependant, rien n’est encore à jouer. Pour faire plier la balance en leur faveur, les parlementaires Africains doivent faire valoir de nouveaux arguments.

III- Le développement de la diplomatie parlementaire dans la construction d’un consensus

Avant d’envisager adresser une résolution aux instances compétentes de l’ONU, il faut réfléchir à nouveau, non pas pour le plaisir d’obtenir un siège de membre permanent au conseil de sécurité des nations unies, mais pour unifier le continent sur les plans politique, économique et social en améliorant le niveau de vie de l’Africain dans le monde. Pour y arriver, l’Afrique pourra s’appuyer sur une diplomatie parlementaire préventive, et ouverte à un profond examen sur une législation intégrée sur les 4 (quatre) points suivants :

a) L’amélioration des capacités systémiques au niveau institutionnel du parlement panafricain par sa transformation en un organe délibératif. Ce passage du consultatif au délibératif permettra de défendre les droits de l’homme, de consolider les institutions démocratiques et vulgariser et promouvoir la bonne gouvernance.

b) La question de la migration, l’instabilité politico-militaire, et terroriste enregistrée dans certains pays du continent. Contrairement au discours dominant sur l’inaction de l’Union Africaine face au terrorisme qui gagne du terrain, il existe une large gamme d’instruments juridiques et de moyen d’actions (allant des mécanismes de coopération entre services de renseignements aux Forces régionales d’intervention) élaborés par l’UA pour contenir la menace sur le continent.

c) La maîtrise et une efficacité accrues des canaux de transmission de la politique monétaire pour un régime de change du franc CFA plus flexible. De ce fait, entre 1960 et 2012, la « zone franc » a été le théâtre de soixante-dix-huit tentatives de coups d’État. Trente-sept d’entre elles ont entraîné un changement de gouvernement. Tous les pays de la zone franc y ont été confrontés à l’exception du Cameroun et du Sénégal. Le franc CFA a beaucoup de défauts à lui tout seul. Couplé aux autres outils de politique économique, dont la coloration néolibérale est de plus en plus prononcée, il donne la recette d’un cocktail économique mortifère qui obéit à une logique impérialiste : renverser les chefs d’État indociles au profit de successeurs plus favorables aux intérêts néocoloniaux.

d) Il est impératif d’améliorer la productivité des exploitants agricoles pour augmenter les revenus des populations rurales et réduire la pauvreté en Afrique subsaharienne. Mais cela demande d’investir dans les biens publics en milieu rural, notamment les infrastructures, d’adopter de meilleures technologies et de développer la recherche agronomique.

De ceci, que retenir ?

Nous plaçons de grands espoirs dans la mise en place du Parlement panafricain et l’accueillons avec optimisme. Signe de la maturité démocratique il peut être un pivot central pour ce qui est de l’unité continentale. Cependant, sans une diplomatie parlementaire à même d’anticiper sur les problèmes, l’Afrique risque encore une fois de s’éloigner de ses idéaux. En l’espèce, nous pouvons jeter un regard sur les efforts du Parlement Ivoirien dont la première session ordinaire de la 3ème république s’ouvre ce lundi 3 avril 2017, sous la présidence de son excellence Guillaume Kigbafori Soro. Nous y trouverons surement des pistes d’amélioration pour le continent.

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