CPI Côte-d’Ivoire : Le Juge-président épaté par le témoignage du général Gouai Bi Poin « Ce témoin est assez fort »

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Audience du 3 avril 2016
« Pendant que le témoin était sorti de la salle, le juge a fait cet aveu au bureau du procureur et des avocats de la défense, «Ce témoin est assez fort. Il nous a démontré depuis le début de son témoignage qu’il est clair et cohérent dans ses dires. J’avoue qu’il est assez fort car il dit sans faux-fuyant ce qu’il veut dire. » (Shlomit Abel)

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«Le chef d’état-major s’alignait sur les positions de ses généraux»

Ivoire Justice

Témoin de l’accusation dans le cadre du procès Gbagbo-Blé Goudé, l’ex-commandant du CECOS, Georges Guiai Bi Poin, a achevé sa déposition à la Cour pénale internationale (CPI) ce lundi 3 avril.

Par Anne Leray

L’interrogatoire mené par l’avocat de Charles Blé Goudé, ancien ministre de la jeunesse de Laurent Gbagbo, a duré moins d’une heure ce matin. Jean-Serge Gbougnon a d’abord voulu savoir si les hommes du CECOS – impliqués selon les charges de l’accusation dans les crimes commis pendant la crise postélectorale en Côte d’Ivoire – étaient vêtus d’un treillis identifiable. « Non, le personnel du CECOS n’avait pas de tenue particulière, chacun venait avec la tenue de son corps d’origine » a précisé Georges Guiai Bi Poin.

« Charles Blé-Goudé n’a jamais participé à une réunion à l’état-major »

Plusieurs vidéos ont ponctué les questions de l’avocat ivoirien. La première, apparemment inédite pour le témoin, montrait des images d’archives du Golf et une scène militaire se déroulant au milieu des fleurs, montée sur un fond musical, et commentée ainsi par le présentateur : « des casques bleus aux côtés de la rébellion contre une force régulière de Côte d’Ivoire, le spectacle est surréaliste ». L’avocat demande au témoin s’il reconnaît l’endroit. « Je pense que c’est relatif à l’affrontement du 16 décembre ». « Quelle était la couleur des casques onusiens à cette époque ? ». « Bleus » répond le témoin.

Présentant une autre vidéo où figure l’ancien ministre de la jeunesse présent dans le prétoire, Jean-Serge Gbougnon va alors droit au but : « Durant la crise, Charles Blé Goudé a-t-il pris part une seule fois à vos réunions à l’état-major ? » « Non, Charles Blé Goudé n’a jamais participé à une réunion à l’Etat-major » affirme l’ex-commandant du CECOS. L’avocat poursuit : « Durant la crise, avez-vous reçu des instructions militaires de Charles Blé Goudé ? » « Je n’en ai jamais reçues et de toute façon je ne les aurais pas exécutées », lance le témoin.

Remontant le temps, Me Gbougnon diffuse une vidéo montrant le bataillon de l’infanterie de marine de l’armée française quittant l’Hôtel Ivoire le 9 novembre 2004. On y voit Guiai Bi Poin discutant avec un responsable de cette unité. « Où ont débuté les tirs et d’où provenaient-ils ? » interroge l’avocat. « Ils ont commencé à l’étage supérieur de l’hôtel et comme si c’était un signal, il y a eu une fusillade généralisée en provenance du régiment français (…) Sur l’esplanade, il y avait beaucoup de morts et de blessés » relate le témoin. « Les soldats français ont décroché devant vous, savez-vous si certains étaient blessés ? » « Je n’ai pas vu de blessés parmi eux. Nos hommes n’étaient pas armés, la foule non plus. Il y avait une ambiance bon enfant » décrit le témoin alors qu’à l’image, l’atmosphère paraît plutôt tendue.

Philippe Mangou : « si les gens du Golf continuent à nous emmerder… »

Jean-Serge Gbougnon met ensuite en avant le fait que certains des officiers du CECOS qui entouraient Georges Guiai Bi Poin, ont été promus sous le régime Ouattara. « Ils avaient de bons profils d’où mon choix de les avoir gardés à l’époque. Ils montrent aujourd’hui qu’ils sont de bons hommes ». Poursuivant le fil de sa démonstration, l’avocat souligne la similarité entre le CCDO (centre de coordination des décisions opérationnelles, mis en place par Alassane Ouattara en 2013, ndlr) et le CECOS (centre de commandement des opérations de sécurité). « Le CCDO était-il aussi composé de militaires, de gendarmes et de policiers, et avait-il pour mission de lutter contre le grand banditisme ? » questionne Me Gbougnon avant de conclure. « Oui » répond le témoin.

Entre autres questions subsidiaires, le juge Tarfusser a voulu savoir si des mesures avaient été prises contre le Commando invisible. « Il était infiltré à la casse d’Adjamé et n’avait pas de signes distinctifs. L’aspect inextricable de cette casse n’a pas rendu possible un renfort de patrouilles », répond le témoin. Lorsque la représentante du procureur, Melissa Pack, ouvre ses questions supplémentaires, elle reste sur le même sujet. Le témoin revient alors sur une disposition avancée par le chef d’Etat-major pour libérer ladite casse de ses occupants. « Il a proposé de la pilonner. Mais l’utilisation de l’artillerie, qui n’est pas précise, comportait trop de risques, d’autant que l’autoroute du Nord était à proximité. Cela aurait fait des dégâts collatéraux importants. Le chef d’état-major, comprenant la pertinence de ce que disaient ses généraux, a dit OK ». Le mortier, qui avait été disposé sur place, aurait alors été enlevé.

Questionné sur l’utilisation de lance-roquettes multiples, le général revient sur une réunion du 30 mars 2010. « Toutes les troupes avaient décroché et revenaient à Abidjan. Quand on est dans une situation où l’on perd ses positions, on peut être stressé. Le chef d’état-major a dit si les gens du Golf continuent à nous emmerder, on va leur en lancer un ou deux sur la tête. Nous lui avons indiqué que ce n’était pas recommandé de tirer sur un hôtel ».

« Je vais encore répéter à votre honorable que Cour… »

Lors de sa déposition, Guiai Bi Poin a rapporté plusieurs situations où des propositions émanant du chef d’état-major, Philippe Mangou, avaient été examinées et réfutées par ses généraux. Ce matin, les demandes de précision du procureur l’ont relancé sur le sujet. « Il n’y avait pas de vote mais on échangeait beaucoup. Le chef d’état-major était ouvert, disponible et comprenaient nos arguments contre ses choix opérationnels. Il s’alignait sur les positions de ses généraux. Contrairement à ce que j’ai entendu, nous étions réfléchis et responsables ».

Les questions de l’accusation qui paraissent ne plus finir, ainsi que son recours à de nouveaux documents qui, selon la défense, ne font pas partie du dossier, font peu à peu monter la tension dans le prétoire. Emmanuel Altit, avocat de Laurent Gbagbo, met alors sur la table l’un de ses griefs : « Le procureur a choisi depuis le début de l’affaire de nier délibérément qu’il y avait des civils armés parmi les marcheurs du 16 décembre. C’est toujours quand il est confronté à la réalité qu’il change son fusil d’épaule et essaie d’adapter son narratif ».

C’est ensuite le témoin qui est sorti de ses gonds lorsque la représentante du procureur lui a demandé si le CECOS avait ouvert le feu sur les marcheurs le 16 décembre. « Je vais encore répéter au procureur et à votre honorable Cour que l’ensemble des forces ce jour-là étaient mises à la disposition du directeur général de la police chargé de conduire les opérations ». « Oui mais avez-vous eu des informations à ce sujet ? » reprend le juge italien Cuno Tarfusser. « Non, le bilan global a été fait par le directeur de la police. Il faudrait être clair sur ce qu’on fait ici » tempête l’ex-chef de l’unité d’élite.

Ainsi se sont achevés les six jours de déposition de Georges Guai Bi Poin, témoin qui aura « exigé un bon niveau de concentration » pour reprendre les mots de Me Knoops, avocat de la défense. Après le directeur de la police, le commandant de la gendarmerie et celui du CECOS, il manque désormais le témoignage du chef d’état-major pour que la galerie des généraux qui officiaient autour de Laurent Gbagbo soit complète. Il est cependant fort probable que le témoin P-176, attendu demain à 9h30 dans le prétoire, ne soit pas Philippe Mangou.

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