Au cœur de notre combat pour la liberté, la démocratie et la souveraineté, il faut lire le livre de Raymond Koudou Kessié, « Des chrysanthèmes pour la Françafrique »
Ce livre préfacé par le doyen et écrivain émérite, Double Lauréat du Prix littéraire d’Afrique Noire et postfacé par le professeur émérite de Droit public Albert Bourgi doit être lu. Prévu pour être dédicacé le 21 mai à Londres, ce livre a le mérite de réveiller en nous de façon démonstrative, pédagogique et méthodique les souvenirs sombres de l’histoire récente de notre pays. Ce n’est pas un moteur de réveil pour entretenir des ressentiments quoique légitimes ; des rancœurs compréhensibles ou ressusciter des douleurs, conséquences d’un gâchis. C’est plutôt pour contribuer à susciter un éveil des consciences pour qu’il n’y ait plus jamais ça. En même temps que lire ce livre peut engendrer une révolte salutaire, il peut aussi interpeller ceux qui n’ont pas compris les vrais enjeux de la tragédie qui frappe notre pays, à mesurer le chemin à parcourir et le rapport de force à construire pour conquérir notre liberté, notre démocratie et notre souveraineté.
Il faut saluer toutes les initiatives prises (le battage des pavés ; les conférence-débats ; les échanges dans des cercles et réseaux, dans le cadre d’une diplomatie non gouvernementale). Mais la lutte que nous menons et qui doit avoir son pendant de tactique et de stratégie, ne doit pas être une sphère de divertissement, de distraction et de passe-temps parce qu’on voudrait meubler une oisiveté ou assouvir des désirs malsains et mesquins, soulager des pulsions d’égos démesurés ou animer la flamme d’un narcissisme intempestif.
Les moments que nous vivons, exigent plus que jamais de la solidarité. Les Ivoiriens, les autres Africains et les démocrates qui les accompagnent dans ce combat noble, sont attentifs à cette valeur de solidarité. Ne se connaissant pas bien au plus fort de cette crise, certains chemins ont été empruntés sur la base de la bonne foi. Mais au-delà de plus qu’un mi-parcours, il nous revient inéluctablement de puiser dans nos intelligences respectives et sous le seau d’un imaginaire collectif, identifier les forces qui peuvent nous conduire à atteindre nos objectifs.
Nous ne pouvons pas continuer de nous conduire comme si rien ne s’était passé dans notre pays. Nombre de nos compatriotes dont des cadres et anciens ministres sont exilés par la chasse aux sorcières ; d’autres sont marginalisés et/ou emprisonnés dans notre propre pays pour leurs opinions politiques et certaines élites se comportent – du fait des improvisations ; d’impréparations et de manque d’approches prospectives – comme si la situation se prêtait à un cadre de règlement des conflits entre des personnes.
Les progressistes ont en face d’eux un pouvoir liberticide qui emprisonne à tour de bras. Simone Gbagbo vient d’être acquittée de crime contre l’humanité et de crime de guerre. Il faut saluer son équipe de défense et tous ceux qui ont œuvré pour obtenir ce résultat. Mais Simone Gbagbo reste en prison pour un jugement antérieur qui, même si la charge visée « d’atteinte à la sureté de l’Etat » reste aussi fantaisiste que celle(s) pour lesquelles elle vient d’être acquittée, il ne faut pas écarter l’intrusion de mains politiques. A ce propos, on peut citer Fanny Pigeaud « Ce n’est pas pour épargner à Simone Gbagbo les affres de la justice internationale que le pouvoir ivoirien veut éloigner la CPI de la Côte d’Ivoire. Il s’agit plutôt d’éviter d’avoir à répondre à d’éventuelles futures demandes de transfèrement concernant ses propres hommes … » Des soldats, des milices et des proches de Ouattara ont été des auteurs de massacres odieux. « Le plus important de ces massacres a été perpétré voilà tout juste six ans, les 29 et 30 mars 2011, à Duékoué (Ouest).
En l’espace de quelques heures, au moins 800 civils, dont des personnes âgées et des enfants, ont été abattus à bout portant, égorgés ou brûlés vifs. Or, après avoir longtemps regardé ailleurs, la CPI a lancé il y a quelques mois une enquête sur ces atrocités…. »
A la page 79 du livre du professeur Raymond Koudou Kessié, on lit : « Pour un contentieux électoral, ils ont préféré la guerre au recomptage des voix demandé par le président Laurent Gbagbo ». C’est le titre du chapitre 5 qui commence par : « Le pouvoir français, qu’il soit issu de la droite ou de la gauche, suit toujours la même politique vis-à-vis des anciennes colonies africaines de la France : seul compte la protection des intérêts économiques et militaires français. Cinquante ans après les indépendances, l’histoire coloniale continue de peser lourdement sur les rapports entre la France et l’Afrique francophone ». Dixit Fanny Pigeaud.
« Qui a vraiment gagné l’élection présidentielle de 2010, en Côte d’Ivoire ? Cette question n’intéressait pas le camp Ouattara et la communauté internationale, car pour eux la réponse était déjà connue avant les élections : Ouattara, quels que soient les cas de figure. Ils prétendent donc naturellement que cette question est dépassée et pourtant elle sera toujours d’actualité tant qu’elle n’aura pas trouvé de réponse conforme à la vérité des urnes. Les preuves abondent cependant pour confirmer la victoire de Laurent Gbagbo ». Le professeur Raymond Koudou Kessié reprend à bon droit l’interrogation qu’avait posée le Président Laurent Gbagbo lors de son intervention à la CPI le 28 février 2013. Encore pour Fanny Pigeaud : « soutenir qu’Alassane Ouattara avait remporté l’élection présidentielle de 2010 et que Laurent Gbagbo refusait de reconnaître sa défaite ne correspond pas à la réalité des faits. A la vérité, l’on doit parler de la victoire volée au Président Gbagbo au profit de Ouattara. »
Quand on lit de telles choses, étayées par de longues enquêtes, on doit regarder en face les réalités et les paramètres objectifs en présence au pays. Les rebelles et leurs parrains nous ont menés en bateau, de ruse en ruse, huit années durant. Et comme anesthésiés, nous avons baissé toute garde. De la même façon, depuis six ans, un jeu similaire avec une répartition de rôles se déroule devant nous à la CPI. Imaginons un seul instant un « simple » français, suspect dans une affaire délictueuse, traité comme l’a été le Président Laurent Gbagbo – par une cour de justice étrangère –, avant son arrestation, pendant et à son transfèrement à La Haye. Quelle n’aurait pas été l’indignation de la communauté internationale entraînée par la France ? Et si procès il devait y avoir, il n’y aurait pas eu une telle durée de détention préventive et le procès ne se serait pas poursuivi après le passage des premiers témoins surtout que des éléments vidéos sont faux et des dépositions ouvertement mensongères.
Il est donc plus que temps de comprendre et d’intégrer que Laurent Gbagbo est maintenu artificiellement hors de son pays pour que sa popularité ne déteigne pas sur la mauvaise gouvernance de Ouattara. Et aussi longtemps que nous serons distraits, la situation risque de perdurer. Nous avons un pays vendu à la découpe ; où des dirigeants pillent des deniers de l’Etat pendant que des morts sont nombreuses à cause des souffrances que subissent les populations qui n’ont plus aucune dignité parce que dans le dénuement le plus total. Notre combat ne laisse donc pas de places à des guerres de positionnements inopportuns qui dispersent les forces pendant que les souffrances subies par le peuple, perdurent.
Que voulons-nous ? Nous voulons la liberté, la démocratie et la souveraineté pour décider de notre destin. Face à un prédateur bien organisé et un système qui travaille à la perpétuation d’une économie de rente, il n’y pas d’autres choix que l’union des forces progressistes, dans un esprit de mutualisation des expériences et des efforts pour un cadre d’élaboration de rapport de force. On ne libérera pas ce pays les uns contre les autres. Le Président Laurent Gbagbo l’avait tellement bien compris qu’il s’était ouvert à des talents du pays. Certains l’ont pris pour de la faiblesse ; c’était une générosité naïve pour d’autres quand des égoïsmes dans son entourage ne se pressaient pas pour accompagner cet élan qui prenait son inspiration dans « l’idée d’une nation et la construction d’une nation ivoirienne ». Ce sera donc dans un mouvement d’ensemble d’Ivoiriens progressistes que nous mettrons fins aux sévices de l’oligarchie au pouvoir – qui criait hier à l’exclusion mais – qui n’a pas trouvé meilleur projet de gouvernance que le « rattrapage ethnique ».
C’est avec la démocratie que nous pourrons voir la nécessité d’élections démocratiques en 2020. C’est par la démocratie qu’on peut mesurer le poids réel de chaque structure politique. Pour imposer la démocratie, il nous faut concevoir une plateforme à la hauteur des enjeux, avec des objectifs précis dans le temps et une charte qui serait aussi simple qu’engageante. Les élites et les leaders politiques ivoiriens doivent être vigilants pour que les tares comme le sectarisme, la suffisance et le manque de dépassement de soi et du moi ne viennent pas par intermittence polluer les efforts ou annihiler les jalons de l’érection d’une plateforme salutaire qui construirait un cercle vertueux. Il ne serait pas responsable que des leaders se soustraient – sans aller jusqu’au bout d’une démarche – dont ils ont participé à l’élaboration conjointe.
Les petits jeux des appareils qui contemplent un attentisme intempestif et cultivent des artifices qui font tourner en rond à cause d’intérêts pas toujours identifiés, commencent par agacer un peuple qui assiste au brouillage des messages de la lutte. Il est impérieux d’en sortir.
Dr Claude Koudou
Commentaires Facebook