La politique française à l’épreuve de l’éthique: la Cinquième République en crise

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ELIOT BLONDET/AFP

Une tribune internationale de Franklin Nyamsi
Professeur agrégé de philosophie, Paris, France

Jamais dans l’histoire de la 5ème République Française depuis sa naissance en 1958, les citoyens se sont retrouvés dans une telle perplexité et un tel désabusement. Les chiffres récurrents des sondeurs effraient. 30% d’électeurs français menacent de s’abstenir de la prochaine élection présidentielle. Près de 50 % des électeurs français sondés ne savent pas encore lequel des onze candidats déclarés en cette échéance 2017 bénéficiera de leur vote. Du Général de Gaulle à Hollande, en passant par Pompidou, Giscard d’Estaing, Mitterrand, Chirac ou Sarkozy, l’alternance politique entre la droite et la gauche au sommet de l’Etat aura, bon an mal an, servi de respiration à la démocratie et de moment de sanction ou d’approbation des élus par les électeurs. Or, pour la première fois de son histoire, le peuple de la cinquième République se retrouve devant une élite, presque tous bords confondus, contestable sur le plan du respect des valeurs morales que les professeurs servent de la classe maternelle aux Ecoles Doctorales et autres Grandes Ecoles, à tous les enfants d’une génération française : liberté, égalité, fraternité, honnêteté, loyauté, sens de l’intérêt général, transparence dans la gestion des biens publics, et tutti quanti.

La France politique ressemble, à qui regarde les bouleversements en cours, à un véritable champ de ruines.

En conséquence d’un mandat qui s’achève sans avoir accompli ses promesses socioéconomiques, le Président de la république sortant, François Hollande, par ailleurs poussé dans le dos par bien de ses propres camarades socialistes, ne se représentera plus en 2017.

En raison d’une mise en examen intervenue le 15 mars 2017 pour soupçon de détournements de deniers publics, de faux et d’usage de faux, le candidat de la droite et du centre, l’ancien Premier Ministre François Fillon, pourrait entrer au palais présidentiel en mai prochain avec un dossier judiciaire en épée de Damoclès sur la tête.

Pour une affaire quasi similaire, cette fois-ci liée à l’usage suspect de ses indemnités de députée européenne, Marine Le Pen, la candidate du Front National à la future élection présidentielle, est convoquée chez les juges et doit se réfugier derrière son immunité européenne – ironie du sort pour celle qui veut la fin de l’Europe politique- pour échapper au verdict qui l’angoisse.

Emmanuel Macron, le candidat du ni gauche ni droite, avec la nouvelle affaire de Las Vegas, semble entrer dans le cercle sulfureux des candidats sous caution éthique, d’autant plus que son milieu naturel demeure celui des banques et de la spéculation financière internationale.

Quant à Benoît Hamon, le candidat issu de la primaire de la gauche et des Verts, on n’a pas tardé à lui reprocher un coup de fil suspect à l’occasion de l’embauche de son épouse par un grand groupe économique de la place.

Le point d’orgue de cette catastrophe morale généralisée est en dernière date, la démission du ministre socialiste de l’Intérieur, Bruno Le Roux, à la suite de l’ouverture d’une enquête judiciaire sur l’emploi de ses deux filles alors mineures comme assistantes parlementaires…

Au bout de l’échiquier, le candidat du Front de Gauche et du Parti Communiste Français, Jean-Luc Mélenchon, semblerait être, l’unique rescapé parfait de la crise éthique en cours. Mais on a tôt fait de lui trouver des liens peu orthodoxes avec la Russie de Poutine, la Chine Communiste, le Cuba des Castro ou la Syrie de Bachar El Assad, sans oublier ses trop imprudentes amabilités avec l’ancien dictateur de Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo…

Dans ces conditions, quelques questions s’imposent : I) Qu’est-ce qui explique le discrédit éthique quasiment généralisé de la classe politique française ? II) Que peut-on réellement espérer, dans ces conditions, des futures élections présidentielles et législatives françaises ?

Discrédit généralisé de la politique française…

IL y a une vulgate sur la question. Elle consiste à penser et à dire, quoiqu’il arrive, que tous ceux qui font de la politique sont des pourris, parce que l’espèce humaine est ainsi faite que rien de parfait ne peut sortir de ses mains. Je conteste cette vulgate. Car ceux qui la défendent y révèlent aussi leur propre tendance à ternir l’image de tout homme ou toute femme publics, uniquement parce que la masse citoyenne, en notre société de consommation, s’engage fort peu dans le suivi des affaires politiques qu’elle confie à l’élite. IL y a incontestablement, des communes au sommet de la république, des hommes et des femmes politiques intègres. IL serait injuste de les balayer du revers, en jetant la politique aux orties, comme on jette le bébé avec l’eau du bain.

Alors, d’où vient le discrédit généralisé de la politique française, si tous ne sont pas pourris? J’énoncerais pour ma part trois causes décisives de cette déliquescence de l’image morale de la classe politique française: une cause institutionnelle, une cause socioéconomique, et une cause éthique.

La cause institutionnelle me semble résider dans la structure constitutionnelle de la 5ème république française, qui concentre trop de pouvoirs dans les mains du seul exécutif, donnant au Chef de l’Etat un véritable rôle de monarque constitutionnel intouchable. IL peut nommer et révoquer sans contrôle à toutes les fonctions régaliennes du pays; déclencher des guerres à l’étranger sans consulter le parlement; piétiner les votes référendaires du peuple souverain, etc. Taillée sur mesure pour le Général de Gaulle au sortir de la 2ème guerre mondiale, tout le monde voit que la constitution de 1958 peut s’avérer une arme dangereuse contre la souveraineté populaire, quand elle tombe dans les mains d’un hyperprésident, d’un Président mêlé au monde de l’argent, ou allié à des forces internationales obscures. Les Français semblent avoir perdu confiance en leur élite parce qu’ils ont enfin découvert qu’en leur nom, cette élite a pu faire et fait encore n’importe quoi en France et hors de France.

La cause socioéconomique évidente, c’est le sentiment d’impuissance qui résulte de l’échec de l’ensemble des gouvernements de gauche et de droite après Lionel Jospin, dans leurs tentatives de faire reculer le chômage de masse et d’affronter les dérégulations provoquées par la mondialisation économique. La fracture sociale française s’aggrave inexorablement, et le culte sacro-saint de la croissance économique, un concept cher au mythe productiviste commun de la gauche et de la droite françaises de gouvernement, n’y fait rien. Les Français ne croient plus en leurs politiques parce qu’ils en ont découvert l’impuissance à changer leurs vies. A accomplir leurs nombreuses et successives promesses d’embellies, qui telles des montagnes accouchant de souris, ont perdu tout crédit. Et quand de plus, les Français ont découvert que les mondes de la politique, de la finance, de la banque, du lobbying étaient poreux les uns avec les autres, ils ont fini par croire que leurs malheurs étaient convenus dans certains cénacles voilés.

Enfin, la cause éthique du discrédit de la classe politique française est la plus lisible preuve de la désaffection d’un peuple désabusé. L’incohérence entre les discours et les actes a atteint son paroxysme. Les hommes et femmes politiques français ont brillé dans l’art de faire tout le contraire de ce qu’ils disent. De violer toutes les valeurs de civilisation qu’ils proclament bruyamment par ailleurs. Comment peut-on être le candidat du redressement économique et de la rigueur française quand on a pris tant de largesses avec l’argent public? Comment parler de préférence nationale aux Français quand on se fait financer par le capitalisme russe? Comment parler de renouveau de la France alors qu’on est en bisbilles avec les capitalismes financiers, les groupes de banque et les lobbies euraméricains? Comment prétendre qu’on va changer la politique française alors même qu’on n’ose pas affronter la zone la plus obscure de cette politique, à savoir les pratiques maffieuses de la France politique, tous bords confondus, en Afrique? Toute la classe politique française, disons-le tout net, a un refoulé freudien africain. Elle n’ose pas assumer sa trop longue dépendance envers les matières premières africaines, aujourd’hui encore exploitées à vil prix par ses nombreuses multinationales, pour le malheur des peuples. Elle n’ose pas s’affranchir des pratiques de prédation aveugle issues des anciennes relations coloniales avec le continent noir. Elle n’ose pas assumer la nécessité de bâtir la puissance française, comme l’Allemagne a bâti la sienne après avoir perdu toutes ses colonies, sur le génie de la France. Comment une telle classe politique pouvait-elle encore convaincre un peuple bien informé de ses pratiques?

Qu’espérer de la future présidentielle française 2017?

La France est menacée, à l’issue de cette élection, soit de patiner, soit de sauter dans un gouffre, soit de reculer fatalement. Dans les trois cas, la menace est grave. Exceptionnellement, la France sortirait donc de cette élection par la grande porte. Démonstration.

La France risque de patiner si elle reconduit à la tête de l’Etat, un politique de droite ou de gauche qui continuera la politique hésitante qu’on a observée depuis le mitterrandisme. La confusion droite-gauche, la répétition du mythe de la croissance-clé de toutes les avancées, et la persistance des crises socioéconomiques successives, n’aideront pas davantage ce pays à progresser. L’aggravation du fossé entre les riches et les pauvres conduirait inévitablement la France vers une ère de grandes confrontations sociales et d’impuissance collective.

La France risque de sauter dans un gouffre, si cédant au nationalisme d’extrême droite, elle se referme sur ses frontières géographiques, s’emprisonne et s’empoisonne mentalement dans une idéologie inféconde de la pureté identitaire et désigne, en son propre sein, des Français comme ennemis jurés d’autres Français. Le logiciel de l’extrême-droite conduirait inéluctablement la France à la guerre civile.

La France risque de reculer fatalement si, au nom d’un populisme de gauche ou de droite mal venu, elle s’enlise dans de nouvelles querelles de clochers, et dans un cycle d’instabilité institutionnelle qui s’appuierait sur l’abus des référendums populaires, au nom du mythe d’une intelligence collective qui serait supposée supérieure à celle de la pensée individuelle.

Comment sortir de ces trois possibilités effrayantes? IL sera impossible de le faire si comme les sondages l’annoncent, près de 7 millions d’électeurs Français qui s’apprêtent à s’abstenir de voter mettent leur menace en exécution. La question redevient dès lors: comment échapper à cette malédiction de l’impuissance collective annoncée pour la France?

ICI encore, trois arguments décisifs me semblent nécessaires:

Premièrement, le peuple Français devrait raisonnablement choisir le candidat qui va changer la 5ème république et instaurer une république respectueuse de la souveraineté populaire. On répondrait ainsi à la crise institutionnelle du présidentialisme à la française. Les Français doivent se donner les moyens de contrôler objectivement leurs élus.

Deuxièmement, le peuple Français devrait voter pour le candidat qui redistribuera plus équitablement les richesses de la France aux Français, à la fois par l’élévation du pouvoir d’achat des citoyens et par la stimulation de l’investissement entrepreneurial, jamais l’une des méthodes sans l’autre.

Troisièmement, j’insiste fortement sur ce critère: le peuple Français devrait voter pour le candidat qui mettra réellement fin à la politique obscure de la Françafrique, véritable école d’immoralité de la totalité de la classe politique française de gauche et de droite depuis le Général de Gaulle. C’est en se libérant de son refoulé immoral africain que la France pourra, à la manière de l’Allemagne, compter véritablement sur son puissant génie national pour affronter victorieusement et originalement ce XXIème siècle.

A chaque citoyenne et citoyen français de voir, de tous les candidats à la présidentielle 2017, celui ou celle qui remplit le mieux ces pré-requis. L’heure ultime de l’examen de conscience aura lieu dans les urnes d’avril et mai 2017. Je n’y dérogerai point, en cette mienne patrie adoptive que je voudrais voir restaurée en sa vocation de nation universaliste inspirée par la bienveillance pour tous les êtres humains.

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