Une tribune internationale de Lawrence Atiladé
Doctorant en science politique à l’EHESS-Paris
Secrétaire à la communication du RJR-France
La diplomatie, telle que nous l’observons de nos jours, est une science moderne. Pourtant, comme tant d’autres branches des connaissances humaines qui n’avaient même pas de nom avant le dix-huitième siècle, ses premiers rudiments s’aperçoivent à la naissance des sociétés et méritent d’être étudiées. Dès qu’il y a eu plusieurs Etats séparés, soumis intérieurement à une forme de gouvernement, ils ont senti la nécessité de donner à leurs rapports extérieurs, bienveillants ou hostiles, le plus de stabilité et de netteté possible. En temps de guerre, il fallait fixer le commencement des hostilités, leur durée, leur cessation ; il fallait, en outre, contracter des alliances défensives et offensives. En temps de paix, il fallait s’accorder sur la manière de communiquer et sur le mode d’échanges des produits et des intérêts de chaque pays. C’est cette ligne de conduite diplomatique que suivait Felix Houphouët Boigny, père de la Nation ivoirienne, qui ambitionnait de faire de la Côte d’ivoire « l’amie de tous et l’ennemie de personne ». Sur cette même lancée, l’actuel Président de la République SEM Alassane OUATTARA, a procédé le mercredi 12 octobre 2016, au Ministère des Affaires Etrangères, au lancement officiel de la campagne pour un siège de membre non permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unies pour la période 2018-2019. Il a aussi ajouté que cette candidature a été adoubée à l’unanimité aussi bien par la CEDEAO que l’Union Africaine (UA). A cet égard, il a remercié ses pairs pour cette marque de confiance. Pour rappel, depuis 1989, date à laquelle elle a réussi à se faire élire dès le premier tour en qualité de membre non permanent, malgré l`hostilité de certains pays Africains et du monde arabe, la Côte d’Ivoire ne s’est plus proposée au Conseil de sécurité, à cause de ses différentes périodes d’instabilité politico-économique. C’est donc le lieu ici d’interroger cette « réapparition soudaine » pour en comprendre ses retombées. Que vaut-elle en réalité ? Peut-on asserter que cette tentative de retour au conseil de sécurité est un non évènement ou au contraire un indice positif de la bonne santé de la diplomatie ivoirienne, quand on sait que le droit de veto est détenu exclusivement et uniquement par les seuls membres permanents ?
Pour faire la lumière sur cette problématique, nous nous attacherons d’abord dans notre présent propos, à exhumer les actes concrets du Dr Alassane Ouattara, qui ont milité en faveur d’un repositionnement rapide de la Cote d’ivoire (I), avant de conclure par un regard critique (II) qui pourrait nous instruire au-delà de la Cote d’Ivoire, sur la nécessité d’une convergence Africaine.
I- Le génie diplomatique du Président Alassane Ouattara, élément catalyseur de la candidature de la Cote d’ivoire
Le Conseil de sécurité est chargé d’agir au nom de tous ses membres afin d’assurer une « action rapide et efficace » pour ce qui est du maintien de la paix et de la sécurité internationales, et ce conformément aux buts et principes des Nations Unies, aux termes de l’Article 24 de la Charte. Il est composé de 15 membres, dont 5 (cinq) permanents ayant droit de veto : Chine, États-Unis d’Amérique, Russie, France et Royaume-Uni, et 10 (dix) non permanents, non pourvus du droit de veto, élus par l’Assemblée générale pour un mandat de deux ans (renouvelé par moitié tous les ans) d’après la répartition suivante : (5) cinq États membres du groupe des États d’Afrique et du groupe des États d’Asie-Pacifique (en général, trois d’Afrique et deux d’Asie-Pacifique), (1) un État membre du groupe des États d’Europe orientale, (2) deux États membres du groupe des États d’Amérique latine et des Caraïbes, (2) deux États membres du groupe des États d’Europe occidentale et autres États. Par exemple, du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2018, l’Angola, l’Egypte et le Sénégal sont les pays Africains, qui feront partie des membres non permanents du conseil de sécurité. Quant à la Cote d’Ivoire, elle fut membre de 1964-1965, puis de 1990-1991, avant de se voir disqualifier pour instabilité chronique. Vingt-cinq années plus tard, elle remobilise toutes ses missions permanentes, ambassades et consulats Généraux, pour porter très haut son ambition, afin qu’au terme du scrutin de juin 2017, son élection au Conseil de Sécurité soit effective. Dès lors, il serait intellectuellement maladroit pour nous d’apprécier cette « résurrection » sans avoir au préalable dit un mot sur la dimension diplomatique de l’homme qui a l’a impulsée. Dès son accession au pouvoir en 2011, le Président Alassane Ouattara a d’abord privilégié les relations frontalières avec le Mali, le Ghana, le Burkina Faso, la Guinée, le Liberia, le Sénégal, le Togo, le Bénin et le Nigeria, par la multiplication des visites et la participation aux rencontres sous régionales. Pendant sa direction de deux ans à la tête de la CEDEAO, il a contribué au règlement des conflits au Mali et en Guinée-Bissau. Grâce à son tact, la Côte d’Ivoire a pu se repositionner en s’attirant la sympathie de la plupart des 15 Etats. Loin des frontières Africaines, Alassane Ouattara a brillé de sa présence sur les continents, Américain, Européen et Asiatique. En témoigne, les prochains jeux de la Francophonie, le premier sommet en Afrique subsaharienne de Union européenne, véritable cadre institutionnel pour débattre de l’avenir des relations entre les deux continents, qui se tiendront à Abidjan cette année 2017. Ses prises de parole régulières, tous les ans aux Nations unies a permis au monde entier de comprendre les profondeurs de la crise Ivoirienne. Qu’est ce qui s’est réellement passé en Côte d’Ivoire ?
Au plan économique, nous pouvons également rajouter que le taux de croissance, qui est en moyenne de 9 % depuis 2012, a crédibilisé davantage l’action économique du Président de la République. Sans oublier, par ailleurs, la Résolution 2284 adoptée le 28 avril 2016, qui a décidé de mettre un terme au mandat de l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI). Comme résultante de cette offensive diplomatique, la Cote d’ivoire fera son entrée au conseil de sécurité de l’Organisation des nations Unies (ONU), en 2018, a révélé l’Ambassadeur de France Georges Serre, lors d’une cérémonie. A ce stade de notre raisonnement, inutile de nous arrêter en si bon chemin, car certains pourraient nous taxer à tort ou à raison de « naïf diplomatique ». En effet, la représentation au conseil de sécurité, au risque de nous répéter, ne dure que deux ans, et les membres sortants ne sont pas immédiatement rééligibles. C’est-à-dire qu’après deux bonnes années, il faut revenir à la normalité et attendre encore (qui sais ?) quelques années plus tard pour re-postuler. Ce qui suscite tout de même des interrogations.
II – Au-delà de la candidature ivoirienne
Les critiques sont de deux ordres :
D’une part, le Conseil de sécurité a tenu sa première séance le 17 janvier 1946 à Church House, dans le quartier de Westminster à Londres. Depuis, il s’est établi au siège de l’ONU à New York. Il a également tenu des séances à Addis-Abeba (Éthiopie) en 1972 et dans la ville de Panama (Panama) et à Genève (Suisse) en 1990. Les pays qui y siègent, en permanence ou non, acquiert une dimension d’influence forte et ont par conséquent, un poids politique considérable. Sur le plan géostratégique, l’hypothèse d’une ouverture croissante peut entraîner des rivalités et des antagonismes régionaux. Espérons que le scénario ivoirien soit une exception. En plus des facteurs terroristes, nous sommes loin de le croire.
D’autre part, il n’est pas faux de penser que les dispositions du code international avaient pour objet d’asseoir sur la loi morale de l’humanité les rapports et les devoirs réciproques des Etats, d’augmenter la sainteté des serments et des engagements mutuels de manière à les rendre plus odieux, plus dangereux et à peu près impossibles ; d’aviser enfin aux précautions à prendre pour faire, dès le début, les distributions et les échanges des pays libérés, avec équité et au contentement des parties. Actuellement, sur les 54 Etats africains combien sont-ils à bénéficier du statut de membre non permanent ? Pis, le constat est poignant : parmi tous les continents, l’Afrique est le seul à n’avoir jamais eu de siège de membre permanent. Dans ce contexte, ne s’ensuit-il pas la nécessité d’une révision de la Charte des Nations Unies afin de permettre à plus d’un milliard d’africains de se faire représenter au sein de ce Conseil par au moins un pays comme membre permanent avec droit de veto ? Voilà pourquoi la question de la réforme du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies (ONU) a été de nouveau soulevée par les chefs d’Etat et de gouvernement Africains, lors du 27ème Sommet France-Afrique qui s’est tenu à Bamako, au Mali. Ceux-ci appellent les dirigeants de l’organisation mondiale à engager une réforme rapide du Conseil de sécurité des Nations Unies pour mettre fin à l’injustice dont est victime le continent Africain depuis 1946. Mais, sous quelles conditions ? D’ailleurs, à supposer que cet appel reçoive un écho favorable, serait-il un critère de légitimité démocratique ?
Pour nous Africains, face au déferlement des passions et des interprétations liées aux conflits successifs, il est encore et plus que jamais nécessaire de retrouver notre capacité de mutation et d’adaptation à de nouveaux défis stratégiques. Il se pourrait qu’on puisse parler à minima d’une seule voix pour pouvoir combler ce qu’il conviendrait de qualifier de « vide diplomatique ». Apparemment, logique, pour ceux qui estiment que pour être membre permanent et donc audible il faut d’abord être puissant « militairement, économiquement, politiquement, diplomatiquement etc. N’est-ce pas, d’ailleurs les dénominateurs qui caractérisent les cinq membres permanents ? En d’autres mots, il ne s’agira pas seulement pour les Africains de parler d’une même voix, mais encore faut-il que cette voix conduise à vocaliser concrètement un plan visant à atteindre l’objectif. Peut-être, une diplomatie renforcée et anticipative des Parlements Africains serait la bienvenue. Ainsi, qu’il nous soit permis, dans la deuxième partie de cette tribune, d’analyser ce que serait l’apport de la diplomatie dans la construction d’un consensus parlementaire Panafricain.
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