Côte-d’Ivoire attaque de Bassam: Un chercheur prévient «L’oisiveté des jeunes constitue un terreau fertile pour les groupes terroristes »

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Un an après l’attaque terroriste de Bassam – Un jeune chercheur ivoirien prévient :

«L’oisiveté des jeunes constitue un terreau fertile pour les groupes terroristes. Il faut repenser les mesures de lutte… » (Interview)

Lassina Diarra est un jeune journaliste et chercheur ivoirien qui s’intéresse depuis quelques années aux questions terroristes dans la sous-région. Il a fait le tour des capitales ouest-africaines, rencontré et interrogé des jeunes victimes d’endoctrinement. Il a sorti deux livres sur le sujet. Il éclaire ici la lanterne de nos lecteurs sur ce fléau des temps modernes

« La CEDEAO face au terrorisme transnational : mécanismes et stratégies de lutte ». Présentez-nous en quelques mots votre ouvrage ?

C’est un ouvrage de deux-cents quinze pages. Il traite l’historique, le mode opératoire, les sources de financement et des cibles prioritaires des mouvements terroristes. Nous avons également exposé des mécanismes et des stratégies de l’organisation sous régionale qui sont appuyées par des initiatives nationales pour pourvoir face à cette menace pérenne et volatile. En prenant en compte la nature transnationale du terrorisme, nous avons présenté les soutiens diplomatiques, politiques et militaires que des puissances occidentales et des organisations internationales apportent à la CEDEAO au-delà du cadre sous régional. Dans notre ébauche de solutions, nous préconisons, entre autres, la création d’un fichier régional de criminels que chaque Etat peut consulter.

Un an après l’attaque terroriste de Grand-Bassam, quelles solutions concrètes proposez-vous aux gouvernements ouest-africain pour juguler ce fléau ?

Le terrorisme s’inscrit dans un contexte global de sécurité internationale. Cependant, le continent africain, particulièrement l’espace ouest africain connaît une recrudescence d’attaques terroristes sans précédent. Entant donné que chaque région du globe, présente une spécificité en matière de menace terroriste, les réponses efficientes doivent fondamentalement tenir compte des réalités régionales. Il appartient aux Etats d’assainir le champ musulman, parce que quoi qu’on dise le terrorisme est lié à la question d’idéologie, de foi et de conviction tirées des enseignements l’islam, bien qu’ils soient erronés et rigoristes. C’est en cela que le rôle des dignitaires est essentiel dans la lutte contre la radicalisation. Il leur appartient de déconstruire la théorie des idéologues islamistes au moyen des arguments et des faits contenus dans l’orthodoxie musulmane. Il faut également mettre en œuvre un cadre de concertation solide qui transcende les divergences théologiques et les égoïsmes personnels au profit d’une vision globale et humaniste basée sur la protection des vies innocentes. Aussi, faut-il développer une culture de renseignement, tant au sein des forces de défense et de sécurité qu’au sein de la population. Les deux entités doivent prendre conscience de l’extrême dangerosité que représente le terrorisme et la nécessite d’élaborer un plan national de renseignement.

Pensez-vous que nos Etats sont suffisamment armés pour mener cette guerre non-conventionnelle ?

Le terme de guerre non-conventionnelle indique clairement que les solutions militaires ne doivent pas être privilégiées. Malheureusement c’est ce à quoi nous assistons dans la plupart des Etats africains. Des budgets de Défenses sont augmentés au nom de la lutte contre le terrorisme, en laissant des secteurs essentiels tels que l’éducation. De façon générale, l’amélioration des conditions de vie des populations ne dépasse pas le stade des discours. Pourtant, l’extrémisme violent tend à se développer davantage dans les pays qui ne parviennent pas à avoir une croissance forte et durable, à créer des emplois décents pour les jeunes, à réduire la pauvreté et le chômage, à combler les inégalités, à endiguer la corruption et à gérer les relations intercommunautaires dans le respect des droits de l’Homme. Par ailleurs, l’extrémisme prospère en cas de déficit démocratique ou quand règnent la mauvaise gouvernance, la corruption et une culture de l’impunité. Les violations du droit international des droits de l’Homme commises au nom de la sécurité de l’Etat favorisent l’émergence du terrorisme, en ce sens qu’elles marginalisent des individus et suscitent l’hostilité envers l’Etat de groupes de populations importants qui, en réaction, soutiennent les terroristes, éprouvent une certaine sympathie à leur égard, voire devenir des complices. C’est ce qui s’est passé au Nigéria dans la lutte contre le groupe terroriste Boko Haram. De façon générale, les armées africaines sont peu soucieuses du respect des droits de l’Homme. De ce point de vue, elles ne sont pas suffisamment outillées pour faire face à la menace djihadiste.

Les Ivoiriens peuvent-ils valablement se considérer comme étant à l’abri d’une nouvelle attaque terroriste ?

Le terrorisme a transformé le monde en un éventuel champ de bataille. Ce qui veut dire qu’aucun Etat, aucune région du monde n’est à l’abri des actions terroristes. En ce qui concerne spécifiquement le cas de la Côte d’Ivoire, il faut dire qu’elle est confrontée à la menace extérieure, c’est-à-dire une menace menée par des groupes narcoterroristes qui commanditent des opérations djihadistes conte l’Etat ivoirien à partir d’un territoire paria ou difficilement contrôlable par un gouvernement. Je veux parler d’Al-Qaïda au Maghreb islamique, Al-Mourabitoune de l’Algérien Mokctar Belmokctar et d’Ansar-Dine. Mais, la question fondamentale est de savoir si des Ivoiriens pourraient être embrigadés ou devenir des potentiels djihadistes pour mener des actions terroristes contre leur Etat. A ce niveau, le risque est énorme. Car on a assisté, ces dernières années, à la commission de nombreux actes de radicalisation qui sont qualifiés par l’autorité judiciaire de délinquance ordinaire et sont traités par la presse comme des faits divers. Aussi, faut-il souligner le développement du salafisme à Abidjan ainsi que dans de nombreuses villes de l’intérieur du pays. La Côte d’Ivoire a pris de nombreuses dispositions, qui sont essentiellement d’ordre opérationnel, c’est-à-dire la création de plusieurs unités spéciales antiterroristes au sein des forces de défense et de sécurité, au sein des forces armées et des mesures d’ordre législatif, c’est-à-dire la loi antiterroriste votée en juillet 2015. Vu l’évolution vertigineuse de la menace et la recrudescence des attaques terroristes dans des Etats voisins, ces mesures ont besoin d’être profondément repensées. La lutte contre le terrorisme est un combat de longue haleine, elle demande de travailler sans relâche, de fermer le maximum de mailles.

Le terrorisme tire la majorité de ses ressources humaines de la jeunesse. Comment peut-on parvenir à contrer cette radicalisation des jeunes dans la sous-région ?

L’oisiveté des jeunes constitue un terreau fertile pour les groupes terroristes. Les dirigeants doivent mettre l’emploi et la formation des jeunes au centre de leur politique de gouvernance. Ceux-ci ne doivent pas rester au stade des discours, mais doivent être une réalité. Il faut éduquer et développer le civisme, la notion de la République et la culture de la non-violence chez les jeunes. Il faut lutter par des politiques réalistes et efficaces contre l’endoctrinement, contre l’instrumentalisation des jeunes. Créer dans les Etats comme le Mali, le Niger et le Nigéria des centres de déradicalisation et d’insertion des jeunes afin qu’ils réalisent leur potentiel. J’ai interviewé en 2014 des recrues djihadistes à Kidal. Certains d’entre elles ont évoqué l’obscurcissement de leur avenir et l’absence d’une assistance sociale de l’Etat malien comme raison fondamentale de leur engagement aux côtés des groupes djihadistes. J’ai également assisté au procès de quatre présumés djihadistes poursuivis par le Tribunal de Bamako. Les difficultés sociales et le sentiment d’abandon revenaient de façon récurrente dans leurs récits.

Légende : Lassina DIARRA, Chercheur, spécialiste du terrorisme en Afrique de l’Ouest – Auteur de l’ouvrage : La CEDEAO face au terrorisme transnational mécanismes et stratégies de lutte. 09 17 66 88

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