Ce deuxième jour de déposition de l’ex-commandant supérieur de la gendarmerie ivoirienne, Edouard Kassaraté, n’aura rien révélé sur les implications de Laurent Gbagbo et son ministre de la Jeunesse. Face aux esquives du témoin de l’accusation et à son amnésie volontaire, Cuno Tarfusser s’est employé à lui rappeler son devoir de vérité.
Par Anne Leray
Ce vendredi 10 mars dans le prétoire de l’affaire Gbagbo-Blé Goudé, l’accusation a repris son interrogatoire dès le lever de rideau à 9h30. Le représentant du procureur, Alexis Demirdjian, est alors entré dans le vif du sujet, s’arrêtant sur la situation entre les deux tours de l’élection présidentielle (31 octobre et le 28 novembre 2010), et posant des questions directes sur des faits concrets. Mais le général Kassaraté s’est montré peu coopérant, excellant dans les esquives et les réponses évasives, rendant la tâche du procureur ardue.
D’abord très calme en début de séance, le juge Tarfusser a une nouvelle fois rappelé au témoin P-11 : « Nous avons besoin de la vérité pour pouvoir prendre des décisions ». Mais comme d’autres témoins de l’accusation avant lui, Kassaraté s’est muré derrière ses trous de mémoire, multipliant à l’envi les « je ne me souviens pas », et se montrant fâché avec les dates.
Tarfusser a plusieurs fois prêté main forte au procureur lors de cette journée de déposition. « J’insiste, faites appel à votre mémoire M. le témoin, et dites nous ce que vous savez ». Excédé après une dizaine de demandes de même nature, il a ordonné : « Je vous demande instamment de dire la vérité, c’est votre devoir et je vous rappelle que vous avez prêté serment. Je n’ai jamais autant réitéré cette demande à un témoin ».
Une gendarmerie décrite comme indigente
Interrogé sur un décret du 14 novembre 2010 mentionnant la réquisition des forces armées nationales déployées sur le territoire, Kassaraté affirme ne pas s’en souvenir. « Je n’ai jamais vécu de situation de réquisition en Côte d’Ivoire ». Quand le procureur lui montre que l’information a été relayée dans le Journal officiel, il déclare : « je n’étais pas destinataire du journal officiel, je ne l’ai jamais été ». Irrité par ces dénis à répétition, le juge Tarfusser intervient à nouveau : « Si vous n’êtes pas destinataire du journal officiel, alors vous ignorez la loi, et pour un commandant supérieur de gendarmerie, ce n’est pas une bonne chose ».
Kassaraté s’est également gardé de répondre à des questions liées à ses hommes quand ceux-ci étaient mis à disposition d’autres services des FDS, et donc placés sous l’autorité d’autres généraux tels que le chef d’Etat-major particulier du chef d’Etat ou le général Guiai Bi Poin, chef du CECOS. Il s’est aussi souvent retranché derrière les ordres de Philippe Mangou. « La gendarmerie, l’armée et la police travaillions toujours selon les ordres fixés par le chef d’Etat-major ».
Face aux questions sur l’équipement des forces de police, il a plusieurs fois évoqué une structure quasiment indigente. Faisant état de l’armement en novembre 2010 : « Nous étions sous-équipés et en sous-effectif. Nos casernes avaient été attaquées en 2002 par la rébellion, nos armes et nos véhicules emportés. Il était difficile d’assurer nos missions régaliennes ». Il reconnaît avoir fait des demandes au ministre de la Défense et avoir reçu « des boucliers et des bâtons pour maintenir l’ordre » de même que « des véhicules bâchés pour les escadrons et les brigades ».
Rien n’a filtré à propos des réunions au sommet de l’Etat
Le patron de la gendarmerie nationale, qui résidait au camp d’Abgan et se rendait au travail chaque jour sous escorte, a été sondé sur sa présence à la résidence présidentielle, avant et pendant les élections. Mais de l’objet et du contenu de ses nombreux passages sur place avec le général Mangou, attestés par « un livre d’or » recensant les entrées et les sorties de chaque visiteur, rien ou presque n’a filtré.
« Entre novembre et avril, combien de fois êtes-vous allé à la résidence rencontrer le chef de l’Etat ? » a demandé le représentant du procureur. « Autant de fois que j’avais de raison de m’y rendre » a répondu Kassaraté lapidaire. A chaque réunion avec Laurent Gbagbo mentionnée par l’accusation, que ce soit en présence de Guillaume Soro, de Charles Blé Goudé ou de toute la panoplie des grands généraux, la même réponse. « Je ne me rappelle pas y être allé » ou « je n’y étais pas ».
« Le 19 novembre 2010, vous dites avoir évoqué le programme sécuritaire avec le Président de la République, de quoi avez-vous discuté ? » questionne encore Me Demirdjian. « Le chef d’Etat-major a rendu compte en notre nom de la situation sécuritaire dans le pays ». Et après ? « Le président en tant que chef suprême des armées nous a ordonné de continuer à sécuriser la population et ses biens ».
La réponse la plus spontanée du général Kassaraté a fait suite à une question sur les conséquences pour la gendarmerie de la proclamation conjointe de Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara à la présidence du pays. « Cela a créé beaucoup d’incertitudes pour nous de voir que les candidats ne s’étaient pas accordés sur les résultats ». « En tant que commandant de la gendarmerie, vous avez alors émis des instructions ? » « Non, nous observions, c’était encore la paix ».
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