Une contribution de Pierre Soumarey
1 – L’IDÉE D’UN CHANGEMENT DE POUVOIR AVANT TERME
La rhétorique récurrente sur la thématique du besoin, voire de la nécessité, d’un changement de pouvoir, de la mise en place d’un Gouvernement de transition, pour permettre de réduire la pauvreté, de réussir la réconciliation, de construire la cohésion sociale, de conduire à plus de démocratie et à une plus grande indépendance, est une vue de l’esprit, que des entrepreneurs politiques tentent depuis un certain temps d’imposer insidieusement à l’opinion publique. Cette idée constante nourrie pour les uns, par des stéréotypes et une stratégie politique, et pour les autres, par des idéologies et des théories, réussit à s’implanter progressivement à la faveur de la dynamique du mécontentement qui gonfle, d’autant plus facilement qu’elle répond en réalité, à des intentions insurrectionnelles entretenues depuis fort longtemps dans l’esprit d’une frange de la population, pour laquelle il ne s’agit que d’un prétexte, pour assouvir un désir de revanche. Celui-ci reste légitime, tant qu’il conserve un caractère strictement démocratique de la part de l’opposition, qui est ici dans son rôle, en soufflant sur les braises. C’est la démocratie. En revanche la proposition d’un Gouvernement de transition interpelle, car contraire à notre Constitution.
Par pure hypothèse, si l’on devait envisager un tel changement dans le cadre d’un accord politique de crise, il apparaitrait aussitôt à la réalité, que celui-ci ne modifierait en rien la nature des problèmes de la société Ivoirienne. En effet, quel que soit le pouvoir qui pourrait se mettre en place, il ne se produira aucun changement significatif, dans les conditions de vie des populations, car on ne réduit pas la pauvreté d’un coup de baguette magique, par la seule force du pouvoir incantatoire de la parole politique et on ne réconcilie pas les populations par Décret. Ensuite, les auteurs et les tenants de cette idée, n’ont pas de programmes alternatifs, chiffrés et modélisables à présenter aux Ivoiriens, pour réduire cette pauvreté, qui puissent leur donner quelque fiabilité et crédibilité. Cette lacune ne peut que susciter la méfiance. Enfin, ils manquent d’analyse systémique, car l’État est une continuité et l’action a besoin de durée pour produire des effets. S’opposer à la stabilité de la trajectoire actuelle, revient à refuser le redéploiement de notre économie, la restructuration de notre Administration, l’installation des prérequis du décollage. Dès lors, cette idée manque de cohérence dans la vision qu’elle a de l’État. Ceci indique une perte du sens des réalités, car seul l’investissement tire la croissance et il ne peut avoir de redistribution en aval sans cette dernière. De même, seule la création d’emplois et la formation permettent de résorber le chômage, source principale de la pauvreté, et il n’y a que l’entreprise et l’école pour le faire. Il en découle que cette proposition exprime davantage une posture démagogique, qu’elle n’est susceptible d’apporter véritablement « la solution ». Une rupture nous exposerait inexorablement à une aventure à haut risque, puisqu’elle n’est ni portée par un projet fédérateur, ni frappée du sceau du réalisme. Il s’en suit qu’elle ne peut réduire, ni la pauvreté, ni la fracture sociale, comme prétendue par ses partisans.
Par ailleurs, j’observe que les aspirations profondes des populations portent d’une part, sur leur préoccupations matérielles immédiates : désenclavement des zones rurales, densification des structures socio-économiques, réduction du coût de la vie, relèvement du pouvoir d’achat, et d’autre part, sur leur intégration à la société, leur inclusion au mouvement de l’émergence et l’assainissement de leur environnement socio-économique : socialisation par le travail, participation plus importante aux fruits de la croissance, réforme de certaines pratiques administratives, meilleur traitement des inégalités sociales, intégration à la Haute Administration. Il en découle que le projet de l’émergence n’est pas foncièrement remis en cause, il est seulement questionné par une opinion publique qui s’interroge sur sa logique socio-économique, sa méthode, ses étapes et ses délais. Ce questionnement s’inscrit dans une démarche transhistorique, analytique et prospective, qui n’a rien à voir avec l’adoption d’un autre projet. Il ne s’agit nullement pour elle, de changer pour changer (changement de personnes) ou de partager une conception patrimoniale du pouvoir (reconquête des avantages que l’on a perdu, au bénéfice d’un clan, d’un parti politique) ou encore de s’enfermer dans des certitudes et une radicalisation destructrice. Dès lors, son aspiration vise davantage un projet de continuité avec une plus grande inclusion, une amplification et une inflexion de l’action actuelle, dans la stabilité, la sécurité, et la paix. Elle ne remet pas en cause le mandat du Président Alassane Ouattara. Sa revendication est plus sociale et économique, que politique.
En revanche, en parcourant les médias et les réseaux sociaux, on peut remarquer cette manière un peu factieuse, d’appeler à défier le Pouvoir, d’appeler à la sédition contre les institutions, à exacerber un climat social déjà surchauffé. C’est non seulement vouloir fragiliser l’État de droit, mais c’est combattre les principes et valeurs qui fondent la République. La dernière déclaration du FPI-canal historique, qui se fixe comme objectif la reconquête du Pouvoir d’État pour au plus tard en 2020, laisse perplexe l’observateur attentif, sous réserve toutefois, de la fidélité et de l’exactitude de l’information rapportée (source connectionivoirienne) . Énoncé pour le moins troublant, s’il était avéré, car cela revient à déclarer dans un registre implicite, que celle-ci devrait intervenir avant cette date buttoir, alors qu’il n’existe aucune élection décisive en perspective avant cette échéance, le permettant (présidentielle ou législatives). On sait en Afrique, selon un adage populaire, que lorsqu’un aveugle vous menace, c’est qu’il a déjà un pied sur le caillou avec lequel il compte vous frapper. En le disant, le FPI originel ne se trahit pas à son insu par un acte de langage, lâché imprudemment par mégarde, en espérant que nous soyons sourds ou distraits. Les mots utilisés dans cette déclaration sont bien pesés et pensés. Ils correspondent à une volonté manifeste. Or, le FPI a la particularité, de toujours annoncer ces coups d’avance.
Dés lors, il est fortement à craindre à court terme (6 mois, donc d’ici à Septembre) que le pays soit secoué par des tensions et de fortes turbulences, qui pourraient déboucher sur un enchainement surdimensionné aux conséquences imprévisibles, à moins que le Gouvernement veille et ne se fasse pas surprendre .
Est-ce ainsi qu’on peut réduire la pauvreté et construire la cohésion sociale ? La vieille garde du FPI, nonobstant sa légitimité historique, est-elle encore la solution pour le FPI, ou l’opposition, ou encore le pays ? Non seulement elle bloque la représentation politique de plus d’un tiers de la population, mais elle nous propose un horizon restreint (projet supporté exclusivement par ses partisans et sympathisants, qui entrainerait de facto une nouvelle division), hasardeux (absence de projet alternatif crédible) et orageux (méthodes à contre-courant de la démocratie et de l’intérêt général). La Côte d’Ivoire a plutôt besoin d’ordre, de discipline, de travail et de fraternité. Le désordre ne peut pas entrainer la justice sociale et la prospérité, à l’inverse, l’ordre le peut. Dans les grandes démocraties, les grèves, les revendications et la confrontation des antagonismes, constituent une constante de la vie socio-politique, sans que nul ne songe à les exploiter aux fins de renverser les institutions de la République. Sommes-nous assez démocrates et responsables pour ne pas franchir la ligne ?
2 –LA RÉCONCILIATION ET LA COHÉSION SOCIALE
Force est de constater, que l’alternance pacifique du pouvoir ne fait pas encore partie de notre histoire, si l’on excepte l’accession au Pouvoir du Président Bédié par un mécanisme constitutionnel. Pourquoi cette difficulté et comment l’expliquer ? Nous proposons ci-après quelques pistes exploratoires :
a) – La survivance des germes d’une culture politique confiscatoire et patrimoniale, qui trouve son origine dans les pratiques du parti unique, mais aussi dans notre propre tradition culturelle de soumission à l’autorité. Le Roi ou le Chef est incontestable dans nos communautés. Dans le prolongement de cette attitude de soumission, nous devons respect aux personnes ou aux générations plus âgées, et nous devons répéter indéfiniment la coutume telle que nous l’avons reçue (rites, gestes, paroles et usages) sans la questionner et sans l’innover. Aucune entorse à cette règle n’est admise. En d’autres termes, nous avons l’obligation de perpétuer un système ou un ordre établi. Y déroger ou s’élever contre celui-ci, est un affront, passible de sanction, d’exclusion ou encore de bannissement. Dans cette conception du Pouvoir et de l’ordre qui le maintient, il n’y a pas de place au changement, à la concurrence, à la remise en cause. Il n’existe que la succession (généalogique, constitutionnelle ou politique), comme mécanisme d’accès au Pouvoir. Lorsque celui-ci est mal arbitré ou mal géré ou encore contrarié, il y a conflit. C’est ce que nous donne à observer notre histoire.
C’est cette attitude comportementale, héritée de nos traditions et d’une culture politique démocratique dévoyée, que nous observons dans les partis et chez certains politiques appartenant à la Génération des indépendances. Lorsque ces derniers arrivent au sommet de l’État, ils trahissent les mobiles de leur action et oublient leurs promesses démagogiques, pour s’installer à leur tour dans le même moule de pensée, le même système de valeurs, le même mode de gouvernance. Il s’en suit que les actes ne sont pas en harmonie avec les discours, et que l’État réel contredit l’État de droit. Ceux qui se parent de la robe de la vertu en pensant faussement être autrement, et qui revendiquent le monopole de la vérité et de la représentation populaire, bien qu’elle n’ait jamais été clairement démontrée par des élections, n’en sont pas exempts. ces défauts, ils en ont superposé d’autres: duplicité, falsification, mauvaise foi, faux, intolérance, violence.
b) – L’existence d’une extrême personnalisation de la politique (culte de la personnalité) et l’apparition d’un électorat radicalisé (fanatisme, populisme). L’importance de la dimension du phénomène s’explique par la faiblesse du niveau moyen d’éducation des masses, l’endoctrinement et l’embrigadement de la jeunesse, chez qui la rationalité de la démarche d’adhésion à un discours, à une cause, a disparue, au profit d’une allégeance inconditionnelle à une personne et de l’opportunité de se procurer une source potentielle de revenu. Dès lors, nous sommes dans les domaines de l’intérêt matériel et des affects (absence de raison critique, de relativité et d’objectivité dans l’analyse). Cette absence de soutien réfléchi explique la perméabilité et la prédisposition à la violence (intolérance à la différence, démesure) et à la haine contre des concitoyens en raison de leurs opinions, de leur appartenance politique, culturelle, et géographique (rejet de l’adversaire de son camp, qui devient la cible à abattre à tous prix). Les historiens et les sociologues pourront s’intéresser au phénomène dans le futur, pour tenter de l’expliquer, mais ce qu’il est pertinent d’observer d’ores et déjà, c’est l’apparition des phobies qui se sont développées dans la société ivoirienne. La fixation obsessionnelle sur un objet de rejet et de détestation viscérale, relève de l’irrationnel (inconscient). Cette catégorie logique est non seulement inquiétante et menaçante pour le futur, mais elle signifie d’une part, qu’une catégorie importante de la population n’a pas encore une conscience claire des motifs rationnels et des faits objectifs, qui motivent ses antipathies et ses rejets (information déformante sur la toile et dans les médias, réflexion insuffisante), et d’autre part, qu’à travers la parole publique, le subconscient des uns s’adressent au subconscient des autres. Dès lors, le discours politique et le dialogue social sont habités par sorte d’écho inaudible, par cet inconscient (résurgence d’une mémoire traumatique et subséquemment réactivation de sentiments négatifs tels que la méfiance ou la haine). Cette situation pathologique ne nous donne pas à percevoir, à voir, à entendre, et à analyser objectivement la réalité. Or, la politique est la saine appréciation de la réalité. Il en découle déformation des faits, escroquerie à l’information, autisme politique, démesure dans les réactions.
Voici le contexte, dans lequel il nous faut construire la cohésion sociale et le rassemblement. Comme nous venons de le voir, il y a en Cote d’Ivoire une fracture historique, culturelle, idéologique et psychologique. Cette division est majorée par un profond clivage entre d’une part, riches et pauvres, et d’autre part, citadins et ruraux. Au surplus, la crise militaro-politique que nous avons vécue a cristallisé de profonds ressentiments dans la société, et a creusé le lit dans lequel tous les extrêmes s’expriment à présent, avec une intolérance et une violence inouïe. Dans la transition douloureuse que nous vivons pour atteindre le seuil démocratique d’une alternance pacifique, l’actualité juridique relative au traitement des crimes commis lors de la crise post-électorale de 2010, occupe un très grand espace dans l’opinion publique, avec une résonnance politique telle, qu’elle a conduit certains à voir dans les modalités de sa résolution, la clé de la réconciliation (CDVR, Épiscopat, FPI canal historique). L’impunité est-elle la solution ? La responsabilité partagée est-elle la solution ? Comment vider totalement les contentieux ?
Pour commencer, il nous faut évacuer un certain nombre d’imaginaires et d’idées reçues, sur lesquels surfent certains politiques :
a) – Les résultats de l’élection 2010 établis par la CEI ont été déchirés en pleine proclamation, devant les cameras du monde entier. Par la suite, son siège a été pris d’assaut par les forces de sécurité au vu et au su de tous. De fait, elle avait perdu indépendance et liberté. Les conditions de sérénité et de sécurité n’étaient plus réunies pour permettre la proclamation des résultats à son siège. On ne saurait le faire avec un fusil sur la tempe, et la mise à l’abri de ses membres était devenue une nécessité. Ensuite, les délais prescrits par la Constitution ne concernent que la transmission des PV des bureaux de vote (transmis à temps du reste au C.C.), et non la proclamation des résultats. Pour preuve, les résultats du premier tour ont été proclamés après ce délai, sans la moindre contestation.
b) – Le Conseil Constitutionnel n’a pas accompli les diligences requises pour rechercher la vérité des urnes. Il ne le pouvait pas en 24 heures, au regard des délais nécessaires à la réalisation de ce travail d’investigation et de vérification. De surcroit, il a outrepassé sa compétence, premièrement en statuant sur des faits imaginaires, pour lesquels il n’était saisi d’aucune réclamation (élimination sans fondement légal de certaines régions sur auto-saisine), deuxièmement en démettant une autre Institution de la République, sans en avoir le pouvoir juridique, troisièmement, en proclamant les résultats de l’élection, alors qu’il n’en avait pas compétence constitutionnelle. Non seulement, il n’a pas dit le droit, mais il a violé à plusieurs reprises la Constitution dont il était le gardien. C’est de l’arbitraire pour dire le moins. L’ensemble des organisations africaines ayant examiné sur pièces le contentieux électoral ivoirien, a conclu pour les raisons précitées, à la victoire sans équivoque du Président Alassane Ouattara. Ceci est un argument supplémentaire qui contredit la théorie du complot.
c) – Le représentant de l’ONU était parfaitement compétent pour certifier les résultats, en vertu de la charte de l’organisation à laquelle la Côte d’Ivoire a volontairement adhéré et des conventions qu’elle a régulièrement signées. Suivant le principe de la supériorité de la Loi extraterritoriale sur la Loi interne, les résultats certifiés par celui-ci s’imposaient et avaient l’autorité de la Loi. Il faut rappeler que c’est en vertu d’une Résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU et du même principe, que le Président Gbagbo a pu légalement se maintenir au Pouvoir, à l’expiration du terme de son mandat, contrairement aux dispositions de la Constitution.
d) – Le recomptage des voix aurait constitué une nouvelle violation de la Constitution qui prévoit la reprise des élections, lorsque la sincérité du scrutin est gravement affectée, dans des proportions qui peuvent renverser les résultats. De surcroit, cette opération interviendrait après une décision définitive de justice, non susceptible de recours. À supposer qu’une solution politique puisse être admise dans ces circonstances exceptionnelles, la proposition n’étant assortie d’aucune garantie légale quant à la conservation et l’authenticité des voix à recompter, elle devenait irrecevable. Qui piétine la Constitution ?
e) – La Côte d’Ivoire était pratiquement placée sous mandat de l’ONU, bien avant la crise post électorale, sous les effets combinés de multiples Résolutions, notamment celles relevant du chapitre VII, qui prévoit toute une gamme de mesures coercitives y compris l’emploi de la force. Les forces françaises agissaient déjà sous mandat de l’ONU dans ce cadre depuis 2004 avec l’approbation des autorités Ivoiriennes (Cf. Résolution 1528 du 27/02/2004). Il n’y a donc aucune ingérence lorsqu’il y a accord et consentement préalable. Je précise par ailleurs, que ces accords ont été mis en place avec l’étroite collaboration de la CEDEAO et de L’UA. La voix de l’Afrique a été considérée.
Ensuite, il faut se dire la vérité, car nous ne voulons plus de violence et de crise en Côte d’Ivoire. L’opposition vit dans un monde virtuel à partir duquel elle tente constamment d’universaliser ses positons en créant une Cote d’Ivoire imaginaire. Elle a intérêt à changer de logiciel, à se réorganiser, se rassembler, et à entrer dans la République, plutôt que de prendre la toile en otage (cyber activistes et officines professionnalisées)
Le Président GBAGBO a joué sa partition dans la confection de l’histoire de la Côte d’Ivoire. Il est sorti de la scène, mais la pièce continue. Il ne reviendra jamais plus aux affaires (longueur et issue du procès, limite d’âge naturelle). Sa page est tournée, il a écrit son histoire. Il a tracé un sillon et laissé un enseignement. Du fonds de sa cellule il a suffisamment médité sur le bilan politique de son action et la nature des hommes, d’où sa distance vis-à-vis de la discorde du FPI, à laquelle il aurait pu mettre fin s’il en avait réellement la volonté, tout comme il aurait pu appeler le peuple Ivoirien à l’apaisement et à la réconciliation, à l’instar du Président Nigérian Yacubu GOWON (1966-1975) après le putsch qui l’a destitué. Une telle attitude le grandirait et modifierait profondément la perception de son procès.
Il sait personnellement, dans le fort intérieur de sa conscience, mieux que quiconque ce qu’il a réellement fait et ce qu’il n’a pas fait (ange ou démon ? La justice l’établira), et surtout à qui il doit sa place à la CPI. Il a été trahi involontairement ou induit en erreur par les siens, c’est selon. Un groupe de personnes « jusqu’au-boutistes », dont il est en quelque sorte l’otage. SAM L’Africain ne savait pas si bien dire, lorsqu’il déclara devant la CPI, qu’il a eu, avec une certaine tristesse, la très forte et très nette impression, que le Président GBAGBO a été victime « d’un coup d’État » de la part de certains caciques du FPI, bien avant sa résistance et son arrestation. Selon ses dires de témoin oculaire de la scène, ceux-ci l’auraient empêché de prononcer la déclaration qu’il avait préparée à l’adresse de la Nation. En effet, celle-ci fut solennellement annoncée, mais ne fut jamais lue. Les Ivoiriens l’attendent toujours. À supposer qu’elle fût celle qui a circulée dans les médias et sur les réseaux sociaux, elle aurait permis d’éviter la guerre, avec son lot de désolation. « Après tant de destruction de vies humaines et de biens, alors que s’est dressé une muraille de haine et de méfiance » (FHB), nous avons désormais à reconstruire le vivre ensemble. Ceci donne la mesure de la responsabilité des auteurs de ce « court-circuit ».
Sans ce blocage, le Président GBAGBO ne serait pas là où il est. Nous n’aurions pas l’armée que nous avons. Nous ne serions pas là à discuter de réconciliation, de justice, et notre économie aurait connu une toute autre impulsion. Il assume désormais stoïquement sa part de responsabilité dans le drame ivoirien, dans la solitude et le silence. Il assume cette situation, par dignité, par fidélité, par idéologie, mais aussi pour l’image qu’il essaye de se bâtir pour l’histoire. Cela ne l’empêche pas de contempler du fonds de sa cellule, tantôt avec sourire, tantôt avec amertume, la divine comédie humaine, tel que le ballet des hommes politiques, à l’approche de joutes électorales. Demander à ces personnes, rongées par un profond remord, de faire de la politique plutôt que d’en faire une affaire personnelle, équivaut à leur demander de se renier. Ce qui du point de vue de leur perception s’assimilerait à une trahison. Ils sont eux-mêmes prisonniers des conséquences de leur acte. Au point où ils sont arrivés, ils ne peuvent plus reculer, faire marche arrière, choisir une autre option, ils ne peuvent que persévérer dans leur attitude de blocage. Il faut les comprendre et les aider.
– CONCLUSION –
Construire la cohésion sociale et réussir la réconciliation, imposent un préalable : déconstruire les mythes, les contre-vérités et les idées reçues, afin de restructurer les mentalités. Panser les plaies pour restaurer la capacité d’écoute et de pardon. Le Fonds de dédommagement et de solidarité n’avance pas assez vite, et reste nettement insuffisant. Ensuite, l’entreprise requiert la capacité à aller au-delà de son appartenance, pour agréger des sensibilités différentes, modérées, voire contraires. Il s’agit d’aller au-delà de ses bases ethniques, de ses militants, de ses partisans, sympathisants et amis. Enfin, cet effort doit être accompli par toutes les forces vives et organisations de la Nation. Il exige de nous (partis politiques et personnes) que nous soyons capables de tendre la main et de recevoir celle qui nous est tendue. Sans ces capacités et cette volonté la réconciliation est impossible. Elle sera difficile, tant que nous resterons enfermés dans une sorte d’autisme, repliés sur nous-mêmes, sur notre passé, nos blessures, nos certitudes et nos haines. Elle ne saurait réussir à travers un rapport de force.
Si nous estimons à ce stade du processus, qui s’étendra forcément sur des décennies, que la classe politique a échoué sur ce chantier, l’on ne saurait en imputer la responsabilité exclusive à une partie, bien que l’initiative incombe, en premier chef, au Pouvoir. Si le fait venait à être avéré, il s’agirait en l’espèce, d’un nouvel échec collectif. Nous avons perdu beaucoup de temps dans des discutions interminables entre politiques, plutôt que de s’adresser directement aux populations, aux victimes et aux exilés. Il appartient désormais à la société civile et aux médias, de s’impliquer davantage dans le processus. C’est l’affaire de tous et non exclusivement celle des politiques. Chacun à son échelle, par son action personnelle, peut contribuer au renforcement de la cohésion sociale; peut faire quelque chose qui grandisse la Côte d’Ivoire plutôt que de la dénigrer. Quelque chose qui ne compromette pas l’avenir des prochaines générations. En effet, nous avons le devoir citoyen de bâtir ensemble une Côte d’Ivoire unie, stable, forte et prospère, où il fait bon vivre, pour nous-mêmes et pour notre postérité.
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