La Côte-d’Ivoire est loin du chemin de la rédemption

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Par Prao Yao Séraphin

« Dans la grisaille du présent, nous attendons un jour nouveau, une vie nouvelle, un printemps nouveau, une rédemption, un rachat, une revanche, une révolte ».
(Francesco Alberoni)

Le mot latin « redemptio » veut dire rachat. La rédemption désigne, dans le vocabulaire théologique chrétien, l’acte par lequel Jésus « rachète » les hommes esclaves de leur péché en le payant de sa vie. Appliquée à notre pays, la rédemption pourrait transcrire la fin du calvaire des Ivoiriens après des moments difficiles. Certains ont cru que le changement brutal de régime allait de pair avec la délivrance des Ivoiriens. D’autres ont vu dans les chiffres avancés par les organismes internationaux, un retour à la Côte d’Ivoire des années 1960. Dans les lignes qui suivent, nous montrons que la rédemption de la Côte d’Ivoire n’est pas pour aujourd’hui. Nous avançons ici cinq arguments pour le montrer.

Un savant bricolage macroéconomique

Depuis 2011, certains organismes internationaux ne manquent pas d’éloge vis-à-vis du Président actuel. La raison est simple : il fait du chiffre. En effet, la croissance du PIB ivoirien a atteint 9,8% en 2012, 8% en 2013, 8,5% en 2014, 8,4% en 2015 et 8,5 % en 2016. Amorcé en 2012, le nouvel élan économique du pays est soutenu à la fois par la demande intérieure et extérieure. En ce qui concerne le secteur agricole, qui représente 22 % du PIB, la production de la plupart des grandes cultures a augmenté. La Banque mondiale retient particulièrement l’augmentation du cacao (36 %), du café (16 %), de la noix de cajou (18 %) et de la canne à sucre (12 %). De son côté, l’indice général de la production industrielle a bondi de 10,5 %, tandis que le secteur manufacturier et la construction ont respectivement progressé de 10 % et 23 %. L’indice du chiffre d’affaires dans le secteur des services a grimpé de 7 % et le nombre d’abonnés aux services de télécommunications a augmenté de 14 %. Ainsi, selon un rapport du Centre de Promotion des Investissements en Côte d’Ivoire (CEPICI) rendu public le 12 juillet 2016, les investissements réalisés en Côte d’Ivoire au premier semestre 2016 ont atteint 219 milliards de francs CFA (370 millions de dollars), en progression de 25% par rapport à la même période de 2015. Les chiffres sont flatteurs mais dans les faits, la relance est essentiellement soutenue par les investissements publics (dans les secteurs des transports, de l’énergie, de la santé et de l’éducation) et privés (mine, agriculture, énergie et logements). Les grands travaux ont été financés par un endettement extérieur massif. Les autorités font aujourd’hui face à plusieurs enjeux de finances publiques. Pour l’année 2015, le déficit global a atteint -3,6% du PIB, en hausse par rapport à 2014 (-2,3%). Cela s’explique par le fait la dépense publique a été orientée à la hausse sous l’effet d’une augmentation des dépenses liées à l’organisation des élections, des subventions au secteur de l’énergie et du coût de la dette. Pour combler ce déficit, le pouvoir a compté sur les émissions de titres dont l’eurobond de 1 Md USD émis avec succès en février 2015 au taux de 6,625% et d’autres emprunts sur le marché local.

La pauvreté est endémique en Côte d’Ivoire

Depuis 2011, la vie est devenue chère en Côte d’Ivoire : le prix des denrées alimentaires ne cesse de flamber. Le riz, le sucre, l’huile, ont connu une hausse significative, sans que le ministère du commerce ne trouve la solution. La cherté de la vie est en partie due aux nombreuses taxes imposées par le gouvernement. La croissance ivoirienne n’est pas assez inclusive. Aujourd’hui, près de la moitié de la population est en situation de pauvreté, c’est quasiment cinq fois plus qu’en 1985. Depuis 2012, la pauvreté baisse d’à peine 0,3 % pour chaque point de croissance gagné. Il en résulte que la croissance ivoirienne n’est pas réductrice de pauvreté car les fruits de la croissance ne seront pas partagés. Il faut également noter que le taux de chômage est élevé, autour de 25 % et les projections montrent que 350 000 nouveaux travailleurs vont arriver sur le marché de l’emploi chaque année.

Les inégalités et la corruption sont le jeu favori du régime Ouattara

La croissance économique ne doit pas servir à créer ou à accentuer des inégalités, des tensions sociales ou à dissimuler ou à reléguer au second rang les efforts sociopolitiques nécessaires à construire une paix durable. Et pourtant, c’est le constat actuel en Côte d’Ivoire. Malgré l’embellie économique, nombreux sont les Ivoiriens qui continuent à se sentir exclus. La Côte d’Ivoire a régressé d’un point dans le classement de l’Indice de développement humain (IDH) pour l’année 2015, passant de la 171e à la 172e place mondiale sur 188 pays, selon un rapport par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Les uns profitent des richesses du pays, les autres vivent dans une pauvreté la plus abjecte. Des honnêtes citoyens sont en prison pendant que les bourreaux sont en liberté. Les Ivoiriens se souviennent de la charte d’éthique présentée à la communauté nationale et internationale comme un bréviaire pour la bonne gouvernance et le respect de la chose publique par le régime Ouattara. Aujourd’hui, ce document est piétiné car la mauvaise gouvernance est devenue le jeu favori du régime. Selon la lettre du continent, l’affairisme est au cœur du régime Ouattara. Selon ce journal français, le ministre Adama Toungara est à la tête de deux sociétés dans les hydrocarbures. Les Ivoiriens se rappellent également de l’affaire Celpaid., des déchets toxiques, des détournements dans la réhabilitation des universités publiques. Pour cette réhabilitation, l’Etat a payé plus de 110 milliards FCA contre une estimation de 47 milliards FCFA à l’origine. Sous le régime Ouattara, tous les ministres et les Directeurs généraux de sociétés d’Etat sont des affairistes. Ce « mariage » conduit forcement à la corruption.

La réconciliation est un processus reporté sine die

En Côte d’Ivoire, la réconciliation est le cadet des soucis du régime actuel. Pour eux, ils ont gagné la guerre et donc ils peuvent exclure, humilier les Ivoiriens comme bon leur semble. Les occidentaux ont cru que la croissance économique allait servir les moyens de la réconciliation. Bien au contraire, tout est mis en œuvre pour éviter la réconciliation vraie en Côte d’Ivoire. Par exemple, la question du traitement judiciaire des crimes commis de 2002 à 2011, est traitée sous le prisme de la « justice des vainqueurs ». En effet, les poursuites judiciaires ne visent que Laurent Gbagbo et ses partisans et ce, de façon quasi-exclusive. De plus, le contexte de rattrapage ethnique ou d’accaparement des grands postes institutionnels et sécuritaires par des hommes originaires du nord, exclut une partie importante de la population qui se sent, de ce fait, mal représentée. Pour nous, il est impossible d’avoir le développement économique durable et solidaire sans réconciliation.

La grande muette toujours prête à se faire entendre

Certains politiciens ont introduit la violence dans l’arène politique depuis 1993. Cela s’est manifesté par la rébellion de 2002 qui a fini par la crise postélectorale de 2011. Mais elle n’a pas mis fin à cette dépravation des valeurs ivoiriennes. La paix s’est transformée en violence et barbarie. La situation est tellement grave que les militaires ont rompu le silence pour se faire entendre de la triste des façons. La grande muette est devenue très bavarde. Mieux, elle s’exprime bruyamment avec les armes comme pour dire que celui qui règne par l’épée périra également par l’épée. Pour des primes impayées, les militaires ont pris les armes pour réclamer leur argent au président actuel. Ce dernier a étouffé le problème sans le régler. Malgré les tournées de leur Chef, le général Sekou Touré (CEMA) dans les casernes, les militaires sont prêts à secouer une nouvelle fois la Côte d’Ivoire. Il faut également noter que l’armée ivoirienne est divisée par les traitements à géométrie variable. En effet, au sein de notre armée, tout le monde est loin d’être logé à la même enseigne. Finalement, les militaires peuvent à tout moment se faire entendre.

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