Enquête sur l’école en Côte-d’Ivoire: «Il faut en finir avec les instituteurs niveau Bepc! »

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Evariste Kouadio | LIDER News | 1er mars 2017

La réforme de l’école ivoirienne est l’un des piliers du projet de société de Liberté et Démocratie pour la République (LIDER), qui ambitionne, depuis sa création en 2011, de renouveler le système éducatif afin qu’il produise des femmes et des hommes capables d’être compétitifs dans un environnement globalisé. Parmi les ingrédients préconisés par LIDER : l’introduction de l’anglais, de l’informatique et de l’apprentissage aux métiers manuels et à l’économie domestique dès le primaire, suivie de l’apprentissage aux métiers de la terre au collège et de celui aux métiers industriels et commerciaux au lycée. Mais qu’en pensent les acteurs-clé que sont les instituteurs ? Nous avons rencontré à ceux de la commune de Cocody.

Monsieur Moïse N., Directeur d’EPP, 49 ans. Avec ses 11 ans dans l’enseignement, il a pris fonction dans cet établissement à la rentrée scolaire 2016-2017. Suite à nos questions, il s’exprime sans faux fuyant : « Aujourd’hui, tout le monde constate que l’école ivoirienne se porte mal ; ce n’est pas étonnant si le ministère recrute 5 000 nouveaux instituteurs adjoints (IA) c’est-à-dire ceux qui ont le niveau Bepc, alors que nous, enseignants, avons déjà indiqué notre opposition à ce genre de recrutement à travers nos syndicats. Même le concours des inspecteurs, nous enseignants en poste, on n’y a plus droit. Tout se passe désormais par nomination, par décret. On vient de nommer 60 nouveaux inspecteurs tout dernièrement. Pire, le ministère change à tout moment les méthodes pédagogiques ; toute chose qui finit par perturber les enfants. La preuve, depuis toujours, on a fonctionné avec la méthode par objectif (Mpo). Il y a cinq ans de cela, on nous a dit de passer à la formation par compétence (Fpc). Comme si cela ne suffisait pas, il y a 3 ans, on nous demande de passer à l’approche par compétence (Apc), sauf que les livres à notre disposition ne sont pas adaptés à cette nouvelle méthode pédagogique. En réalité, ces différents changements font que l’enseignant ne peut que tâtonner.

Aujourd’hui 13 février 2017, je viens de l’Inspection où on nous apprend qu’une nouvelle matière est créée : le programme Entrepreneuriat scolaire dont le support de formation est un fascicule qu’on vient de nous remettre. La chose la plus grave que nous déplorons, c’est que pour les matières que nous enseignons aux enfants, il y a trop de théorie et la pratique fait cruellement défaut. Or, le petit Ghanéen qui sort du Cm2, est capable de faire de la peinture bâtiment, de la maçonnerie, de la menuiserie, de la construction etc….et ainsi, il a des compétences vraiment pratiques pour s’insérer plus facilement dans la vie active s’il arrête ses études à la fin du primaire. Le ministère de l’éducation nationale de Côte d’Ivoire devrait modifier profondément le programme éducatif dans ce sens.

Je pense que la réflexion de LIDER en ce qui concerne la réforme de l’école est salutaire pour notre pays. D’ailleurs, c’est un des rares partis politiques en Côte d’Ivoire qui prend le temps de travailler sur la question. L’idée d’introduire l’anglais dans le programme scolaire dès le primaire est une bonne idée et la Côte d’Ivoire aurait dû le faire depuis longtemps. Tous les grands ouvrages dans le monde sont en anglais, tous les appareils qui sortent des usines aujourd’hui ont leur notice en anglais. C’est l’anglais qui est utilisé dans les échanges commerciaux entre les Etats, les continents. En pensant aussi à l’informatique dès le primaire, LIDER a vu juste car dans ce monde nouveau, la technologie a pris le pas sur tout. Et le premier langage universel pour apprendre et pour travailler, c’est l’informatique et nos enfants ne doivent pas être en reste. Pour ce qui est des métiers manuels, les pays voisins comme le Ghana sont des exemples que notre pays devrait imiter. LIDER a pensé aussi à l’économie domestique. Elle existe mais seulement dans les Ifef (Instituts féminins d’éducation des jeunes filles) et certaines écoles de filles comme le lycée Sainte-Marie à Cocody, le lycée Mamie Faitai de Bingerville. Mais cela reste trop sélectif. Tout est question de volonté politique, de volonté des gouvernants. LIDER a une vision politique qui apportera beaucoup à notre pays. »

Mme Edith K., Directrice d’EPP, 51 ans. A l’évocation de l’anglais, de l’informatique, de l’apprentissage aux métiers manuels et l’économie domestique au primaire comme un aspect du projet de LIDER, la directrice nous coupe en ces termes : « Nous ici, on vous a devancé dans ce domaine. Nous sommes un groupe scolaire de 5 établissements dirigés par des femmes, donc 5 directrices. Par notre initiative personnelle, nous avons accepté un jeune informaticien qui est venu nous voir pour nous dire qu’il veut donner des cours d’informatique à nos élèves. Il vient avec son ordinateur et il forme nos élèves. Nos élèves sont formés à l’informatique à partir des classes de Ce2, Cm1, etc. Les enfants sont contents mais le nombre d’appareils et le nombre de formateurs sont trop réduits par rapport au nombre d’élèves qui souhaitent apprendre. C’est l’informatique qui dirige le monde aujourd’hui, tôt ou tard, le ministère sera obligé d’instaurer l’informatique au primaire.»

Monsieur Koné K., Directeur d’EPP, 47 ans, nous fait entendre ceci : « Le niveau de l’école ivoirienne a beaucoup baissé. Moi, quand j’étais petit, j’ai fait l’école franco-arabe à Korhogo et c’est après que j’ai intégré l’enseignement général. J’ai présenté le Bepc en candidat libre dans les années 80 et je suis enseignant au primaire depuis 1998. Aujourd’hui, les effectifs de classe sont élevés. Dans mon établissement, il y a 48 élèves au Cp1, 53 au Cp2, 53 au Ce1, 49 au Ce2 , 42 au Cm1 et 50 au Cm2. La majorité de nos élèves vient de Blockhauss, mais aussi des quartiers précaires des environs de Cocody. Notre chance, c’est que plus de 80% de ces enfants arrivent au Cp1 en passant par la maternelle ; donc ils arrivent avec une base minimum qui leur permet de suivre. C’est surtout les 20% qui n’ont pas fait la maternelle qui apprennent difficilement. Cela montre qu’il est très important que les enfants passent par la maternelle ; la maternelle les aide beaucoup.

L’autre difficulté qui fait que le niveau baisse, c’est les matières. Les décideurs de notre éducation pensent introduire de la pratique dès le Cm2 en instaurant la matière ‘’Sciences et Techniques’’. Dans sciences et techniques, on parle de circuit électrique mais cela reste toujours théorique puisqu’on ne manipule rien devant les enfants ; les enfants eux-mêmes ne manipulent rien. Ils ne voient le circuit électrique que dans le livre, alors qu’une manipulation réelle et concrète les aiderait plus. Et donc, on retombe dans les échanges théoriques qui ne permettent pas aux enfants de comprendre exactement ce qu’on leur enseigne. Notre plus gros problème, c’est que les livres du primaire mis à notre disposition ne sont pas adaptés au programme qu’on nous demande d’enseigner aux enfants. Exemple, dans le cours d’histoire Cm1, on nous demande d’enseigner le royaume de Kong. Malheureusement, le livre d’histoire cm1 est totalement muet sur le royaume de Kong. Nulle part le livre n’en parle. Comment voulez-vous qu’après la classe, l’enfant prenne le temps de relire cela à la maison. Il se contente de ce que le maître a dit et qui est souvent mal recopié dans son cahier de leçon. Les livres que nous avons ont été conçus pour être conformes à la méthode dite formation par compétence (Fpc), alors qu’actuellement la méthode pédagogique en vigueur, c’est l’approche par compétence (Apc). Il faut qu’on nous apporte des livres qui sont adaptés au programme et à la méthode pédagogique que le ministère veut nous faire appliquer.

D’ailleurs, on nous a enseigné la pédagogie par objectif (Ppo) au Cafop et nous avons bien assimilé ; mais depuis, on nous demande d’appliquer l’Apc et pour cela, des séminaires ont été organisés par nos inspecteurs. Mais le volume horaire des séminaires n’est pas suffisant pour faire correctement le tour de la question. Les nouveaux instituteurs dits IA (instituteurs adjoints) qui viennent en stage chez nous ne connaissent pas le travail, leur formation me semble trop rapide et il leur faut du temps, il leur faut plusieurs années de pratique pour qu’ils s’adaptent vraiment. Il faut donc selon moi, revoir la formation des enseignants depuis le Cafop ; il faut en finir avec cette histoire d’Instituteurs Adjoints, niveau Bepc et penser à donner des possibilités à des universitaires qui n’ont pas pu réussir leur licence en Anglais, en français, en histoire. Même des étudiants titulaires du Bts en informatique peuvent être affectés au Cafop pour les préparer à l’enseignement dans le primaire.

Autre incompréhension dans notre système scolaire, pourquoi ne pas commencer les cours dès 8h00 et les achever à 16h30 comme les autres fonctionnaires de l’administration. Cela nous laisserait le temps de rentrer un peu plus tôt à domicile et préparer le cours du lendemain.

L’anglais et l’informatique au primaire est une nécessité pour notre système éducatif. Nous pensons qu’on devrait commencer ces deux matières avec les élèves de Ce1, Ce2 etc….et pas avant. A partir de Ce1, les enfants sont aptes à apprendre et ils pourront assimiler rapidement, surtout l’informatique qui est pratique. D’ailleurs, il y a deux ans de cela, un particulier est venu nous voir pour donner des cours d’informatique à nos élèves. On lui a expliqué que si les parents devraient payer quelque chose, l’école retiendrait 15% pour la coopérative. Le responsable de la structure a donné son accord et quelques mois après il a arrêté le projet. Nos élèves aiment bien qu’on leur enseigne l’informatique, de façon pratique avec des appareils. Ils attendent cela avec impatience. Mais il n’y a pas que les élèves, il faut que le ministère de l’éducation nationale pense à former les enseignants que nous sommes dans le domaine de l’informatique, mais aussi l’internet. Nous avons vraiment besoin de cela dans notre travail. Pour les métiers manuels, si on met en place un programme scolaire qui prend en compte des métiers comme la menuiserie, cela permettra à ceux qui ne peuvent pas faire l’enseignement long de chercher à se débrouiller un peu plus tôt dans la vie plutôt que de devenir des enfants de la rue et agresser les passants pour trouver à manger.»

En écoutant ces trois enseignants s’exprimer sur la réforme de l’éducation que souhaite le parti au flambeau, on se rend compte qu’un énorme chantier attend LIDER. A défaut d’avoir les idées et la volonté de réformer profondément l’école ivoirienne, les décideurs actuels pourraient déjà adapter le cursus de formation dans les Cafops et surtout, augmenter significativement les effectifs d’enseignants du primaire, en évitant de les entasser dans les bureaux du ministère.

Mme Kandia Camara se plaint que 2.000 enseignants désertent les classes pour se consacrer au syndicalisme, en oubliant de désespérer à propos des milliers d’enseignants qui sont dans les bureaux de son ministère et qui auraient pu être dans les classes plutôt que faire de l’administration au Plateau.

En effet, au bout de six ans de gouvernance Ouattara, le nombre d’enseignants est encore largement en-deçà des besoins de notre école alors même que le ministère de l’éducation nationale a en son sein dix-sept (17) directions, deux (02) secrétariats et quatre (04) services annexes.

Que vient faire une direction des écoles, lycées et collèges (Delc) à côté d’une direction de la pédagogie et de la formation continue (Dpfc) ? Quel intérêt y a-t-il à avoir une direction de la mutualité et des œuvres sociales (Dmos) ? Que fait concrètement la direction de la vie scolaire (Dvs) ? La gestion des cantines scolaires nécessite-elle vraiment une direction (Dcs), alors que cette mission peut être confiée à la direction de l’animation, de la promotion et du suivi des comités de gestion des établissements scolaires (Daps-coges) ? A quoi sert la direction de la veille et du suivi des programmes (Dvsp) quand la direction de la pédagogie et de la formation continue existe ?

Ces cinq directions du ministère de l’éducation nationale sont, à notre sens, de peu d’utilité et essentiellement budgétivores, quand on sait que chaque directeur dispose de conseillers et d’un secrétariat au moins. Pour le bien de l’école ivoirienne, les ressources disponibles, y compris les ressources humaines, doivent être utilisées à bon escient sur l’ensemble du territoire national pour l’émergence d’un capital humain de qualité.

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