Au procès Gbagbo-Blé Goudé, le témoignage tant attendu de Brédou M’Bia aura laissé un goût de frustration pour ceux qui attendaient plus. « Je ne me souviens pas », une formule vue comme une pirouette pour éviter à la fois de mentir et de devoir dire la vérité.
Fin du témoignage de l’ex-directeur général de la police ivoirienne par Ivoire Justice
Après six jours d’interrogatoire, la déposition de Brédou M’Bia, patron de la police au moment de la crise postélectorale, s’est refermée avec deux jours d’avance par rapport à ce qui avait été annoncé. Le procès reprendra le 6 mars.
Par Anne Leray
La déposition de Brédou M’Bia s’est achevée ce mercredi 21 février. C’est Jean-Charles Gbougnon, du barreau d’Abidjan et avocat de Charles Blé-Goudé, qui a pris la parole. « Je sais que c’est un peu difficile parce que d’habitude c’est vous qui interrogez », a-t-il lancé en début de séance à l’ex-DGPN.
Revenant sur différentes déclarations du témoin et sur des rapports joints au dossier ou évoqués pendant les audiences, la défense a cherché à montrer que l’identification de certains groupes d’étudiants, de jeunes ou de marcheurs, acteurs pro-Gbagbo ou pro-Ouattara agissant à divers moments de la crise, ne reposaient pas toujours sur des faits tangibles.
Flagrant délit d’approximation
Elle a ainsi demandé au témoin s’il existait des « critères d’identification objectifs » pour reconnaître par exemple des membres du RHDP, du LMP ou du FESCI. Ce à quoi le témoin a répondu qu’il n’avait pas établi de critères avec ses collaborateurs et qu’ils identifiaient les groupes selon l’appartenance dont ils se réclamaient, et qu’a contrario, il n’était pas possible de savoir au nom de quel mouvement ils agissaient. « Si eux-mêmes ne prennent pas parti, nous ne pouvons pas les identifier ».
Face à ses approximations, le témoin a apporté une nuance en pointant « une confusion » entre les rapports évoqués où les agents de police « ne font que rendre compte » et les enquêtes qui vérifient les faits relatés. Des enquêtes dont a pourtant appris, au fil des audiences, qu’elles étaient plutôt rares. « La Chambre doit comprendre que les rapports de vos collaborateurs sont des rapports non vérifiés ? » a lancé Me Gbrugnon. « Ce n’est pas tout à fait exact » a répondu M’Bia avant de s’emmêler dans ses explications. Quand on sait que beaucoup d’éléments versés au dossier de l’accusation relèvent de rapports de police (ce qui n’invalide pas forcément leur véracité), la perche tendue par la défense n’était pas anodine.
Me N’Dry, également avocat de Charles Blé Goudé, a pour sa part présenté un document daté du 21 mars 2011 mais portant une date de fax de février 2006. « Comment un document peut porter une date de fax antérieure ? », a-t-il demandé. « Cela me paraît tellement gros que je ne sais pas comment ça a pu arriver », a répondu Brédou M’Bia.
Un couvre-feu à Abobo
Le fil de l’interrogatoire a ensuite suivi son cours avec les dernières questions d’usage de la défense, de l’accusation et du juge-président. Ce qui a mené à la diffusion d’un extrait de journal télévisé par les avocats de Charles Blé Goudé, dont on a appris au passage qu’il aurait versé « deux millions » de francs CFA au commandant Loba de la Brigade anti-émeute (BAE). On y voit l’ancien ministre de la Jeunesse et de l’Emploi de Laurent Gbagbo s’adresser aux jeunes venus le rencontrer dans son quartier, avec le désir de s’engager pour défendre la nation. Il leur répond en substance : « pour le moment ce qui se passe ne dépasse pas la capacité de notre armée. Je ne veux pas vous amener à faire la guerre mais à trouver du travail », répétant plusieurs fois devant les caméras « Je ne veux pas de la guerre dans ce pays ».
De son côté le procureur Eric McDonald a présenté deux vidéos datant du 12 janvier 2012. La première relate la rencontre entre le chef d’Etat-major Philippe Mangou et les commandants des forces de sécurité, en vue d’arrêter des mesures face aux attaques essuyées par les FDS. La seconde est une retransmission du discours télévisé de Mangou suite à cette rencontre, dénonçant avec force des attaques contre les FDS « avec des armes de guerre (…) par des groupes embusqués répondant à l’appel de politiciens retranchés à l’Hôtel du Golf ». Il y annonce des mesures d’urgence telle que l’instauration d’un couvre-feu à Abobo du 12 au 15 janvier 2011 et prévient à la cantonade qu’en position « de légitime défense » les FDS « ont le droit de riposter à toutes les attaques ».
Des informations mais peu de révélations
« Monsieur le témoin nous vous souhaitons un bon retour », a conclu Cuno Tarfusser avant de lever la séance jusqu’au 6 mars prochain. Le témoignage de Brédou M’Bia, accompagné de presque 400 pages de déposition et de plus de 300 documents aux origines parfois opaques, aura duré six jours. En dehors de ce qui a pu être révélé en huis-clos et donc de façon confidentielle, l’une des principales informations a été la demande de démission à Laurent Gbagbo par l’ensemble des commandants des forces de sécurités (FDS) ainsi que par le chef du CECOS, « pour éviter les problèmes ». Demande de retrait qui aurait eu lieu à sa résidence, le 14 mars 2011 d’après ce qu’a laissé entendre l’accusation.
L’ancien directeur général de la police, fâché de son propre aveu avec les dates et sachant répondre de façon évasive, a donné peu d’informations sur la présence et le rôle de miliciens ou de mercenaires durant la crise, sur les civils tués, sur la place des rebelles, ou sur ce qu’il s’est passé à l’Hôtel du Golf. Dans le prétoire de façon générale, le « je ne me souviens pas » est une pirouette qui évite à la fois de mentir et de devoir dire la vérité. Reste comme toujours à savoir pourquoi.
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