CPI Côte-d’Ivoire: L’indicatif du ministre Tagro Désiré était « Atlas » selon le témoin Brédou M’Bia

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Par Ivoire Justice

L’ancien chef de la police ivoirienne Brédou M’Bia, présent à La Haye pour témoigner plusieurs jours durant dans l’affaire Gbagbo-Blé Goudé, a poursuivi sa déposition aujourd’hui.

Anne Leray

La déposition de Brédou M’Bia, qui avait démarré mercredi avec vingt-quatre heures de retard suite à des débats liés à sa protection, a repris ce 16 février à la Cour pénale internationale (CPI). Un problème technique a d’abord interrompu l’audience à peine ouverte, et fait dire au président Cuno Tarfusser agacé « Mon rêve d’une journée sans problèmes ne sera pas encore réalisé aujourd’hui ». Eric MacDonald, substitut de la procureure Fatou Bensouda, a ensuite repris son interrogatoire avec l’exploration des systèmes de communication en vigueur au sein des forces d’Etat, et plus précisément au sein de la police.

Le complexe maillage des communications policières

Rapports et compte-rendus écrits ou oraux, émis par courrier, fax, radio, téléphone…, le substitut du procureur Eric MacDonald a cherché à expliciter une chaîne de transmission à la hiérarchie et au maillage complexes, ainsi que la terminologie usitée pour ces rapports liés au quotidien ou à l’urgence. Il a également soumis au témoin une série de documents de police confidentiels, remis aux enquêteurs du procureur en novembre 2011, dont il devait valider la bonne et due forme.

Prenant son service à 6h, l’ex-DG de la police nationale explique qu’il recevait trois rapports tous les matins pour « informer le ministre de l’Intérieur entre 7h30 et 8h par téléphone, et si besoin de visu » en se rendant dans ses bureaux situés sur le quartier du Plateau. « En temps de crise, quelle est la fréquence de ces communications ? » demande Eric MacDonald. « Tout dépend des circonstances, il n’y a pas de fréquence préétablie ».

Concernant les communications radio, les indicatifs de chaque réseau ou chef d’unité d’intervention ont été passés au crible. « Chaque structure avait son réseau radio », confirme le témoin précisant que Minos était l’interface entre celui de la police et de la gendarmerie, et que son PC était situé dans les bâtiments du ministère de l’Intérieur. Même l’indicatif du ministre a été dévoilé. « C’était Atlas mais il était très rare qu’il intervienne » précise le haut gradé de la police. Un indicatif déjà mentionné le 8 février par le témoin Sinaly Dosso, ancien sergent-chef, et décrit « comme un donneur d’ordre ».

La vidéo d’un discours de Gbagbo

S’intéressant à la période électorale de l’entre-deux tours, entre le 31 octobre et le 28 novembre 2010 (1), le substitut du procureur fait diffuser une vidéo relative à l’installation d’une nouvelle compagnie républicaine de sécurité appelée CRS 4. On y voit Laurent Gbagbo tenir un discours aux accents belligérants à ses troupes, le 3 août 2010 à Divo. « Les tâches qui vous attendent sont des tâches de bataille contre les flibustiers, contre les semeurs de désordre, de pagaille, contre la chienlit mais des tâches de paix envers les citoyens normaux qui ont le droit de pouvoir sortir et s’amuser normalement (…) Vous avez pour ennemis, je n’ai pas dit pour adversaire mais pour ennemis, tous ceux qui sont contre la République et la paix, tous ceux qui veulent troubler les élections en Côte d’Ivoire. (…) Votre ligne de démarcation est nette entre la paix et le désordre ».

« Des gourdins, des couteaux et des machettes »

Brédou M’Bia décrit d’abord un entre-deux tours « sans problème réel » avec une atmosphère « normale où chacun attend que son candidat gagne ». Mais quand il est questionné sur les « barrages érigés par la jeunesse ivoirienne », la situation semble moins calme qu’évoquée. « Par qui étaient tenus ces barrages ? » « Par le RDR (Rassemblement des républicains, proche de Ouattara, ndlr) et la LMP (Ligue du mouvement pour le progrès, proche de Gbagbo, ndlr) qui empêchaient la libre circulation ». Etaient-ils armés ? « Ils avaient des gourdins, des couteaux et des machettes ».

Dans une déclaration faite aux enquêteurs concernant la levée de ces barrages à Abidjan, il précise que « les étudiants de la Riviera quand ils venaient en nombre étaient parfois plus armés que nous. On était donc obligés de négocier pour qu’ils quittent ces barrages ». On apprend aussi qu’un couvre-feu était en place autour du 27 novembre et que le témoin informé par ses collaborateurs « de menaces sur l’ordre public lors du scrutin » aurait « donné des instructions par rapport aux armes à feu qui ne devaient pas être utilisées sauf en cas de légitime défense ».

Pour éviter à Brédou M’Bia un risque d’auto-incrimination (2), les réponses aux questions cruciales engageant les forces armées, sont systématiquement passées en huis-clos partiel. Ce fut le cas pour la dernière interrogation du jour : « Des crimes commis par les FDS ont-ils été portés à votre intention ? »… Seuls ceux qui étaient présents dans le prétoire ont entendu la réponse.

(1) Des élections qui, selon le témoin, ont été sécurisées « par le centre de commandement intégré (CCI) qui utilisait des éléments des Forces de défense et de sécurité (FDS) coordonnées par le chef d’Etat-Major Philippe Mangou, par les Forces armées des forces nouvelles (FAFN) ainsi que par l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) ».

(2) L’auto-incrimination concerne les témoins qui peuvent être impliqués à différents degrés dans les faits dont est saisie la Chambre et qui risquent des poursuites du fait de leur déposition.

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