Côte d’Ivoire: Brindou M’Bia, l’ex-patron de la police, dans le prétoire contre Gbagbo et Blé Goudé

blank

La Haye: Après examen des requêtes liées aux mesures de protection du témoin, la Chambre a décidé d’entendre P-46 sans qu’il reste anonyme. Brindou M’Bia, directeur général de la police ivoirienne jusqu’en janvier 2017, était entendu aujourd’hui dans le cadre de l’affaire Gbagbo-Blé Goudé.

Par Anne Leray Source: Ivoirejustice

Ce mercredi 15 février, la Chambre a rendu sa décision face aux demandes de protection du témoin P-46, rejetant certaines requêtes de son conseil, jugées « disproportionnées à l’égard de la publicité des débats » mais autorisant le recours au huis-clos partiel quand nécessaire, et notamment quand le témoin interviendrait sur des sujets pouvant lui faire courir un risque d’auto-incrimination (1). C’est donc à visage découvert que ce nouveau témoin est apparu dans le prétoire.

Un témoin au sommet de la hiérarchie

Brindou M’Bia, 62 ans, n’est autre que l’ancien directeur général de la police ivoirienne, nommé à cette fonction en 2008 sous la présidence de Laurent Gbagbo et démis en 2017 sous celle d’Alassane Ouattara. Ses fonctions « conférées par le chef de l’Etat » le liaient au ministre de l’intérieur à qui il devait rendre des comptes, ministre qui en référait lui-même au président. Brindou M’Bia exerçait dans les sommets de la hiérarchie.

Il a été remercié en janvier dernier après neuf ans de service. « Pourquoi ? » questionne le président Cuno Tarfusser. « En Côte d’Ivoire, les grands chefs de l’armée, de la police et de la gendarmerie ont été démis de leurs fonctions » répond-t-il. « Cela n’est donc pas lié à la crise postélectorale », poursuit Cuno Tarfusser. « Non » répond le témoin. Dans l’attente de sa retraite, il serait à présent « simple policier tout en conservant son grade ». Il a été remplacé par Youssouf Kouyaté.

Brindou M’Bia a également été commandant adjoint du CECOS (Centre de commandement des opérations de sécurité), dirigé par le général Guiai Bi Point. Une structure créée en 2005 « pour lutter contre la grande criminalité alors que nous étions en pleine crise », rassemblant la police, la gendarmerie et l’armée, et que les témoins mentionnent souvent en abordant la crise postélectorale et ses violences.

Inventaire des forces armées en présence

« Nous avons la chance d’avoir le patron de la police ivoirienne avec nous » a souligné le représentant du procureur Eric MacDonald, le questionnant sur « les missions de la police ». « Protéger la population et ses biens en zone urbaine » a t-il répondu laconiquement.

A travers son interrogatoire, l’accusation a cherché à en savoir plus sur les structures placées sous son autorité entre novembre 2010 et avril 2011. Elle a aussi cherché à établir l’organigramme des forces armées en présence : leur hiérarchie, leurs effectifs, leurs missions, leurs bases, leurs équipements, les armes dont elles disposaient, la façon de les identifier à travers leurs tenues et de reconnaître leurs véhicules sur le terrain.

Une batterie d’acronymes s’est ajoutée à cet inventaire auquel le témoin s’est plié avec calme : Compagnie républicaine de sécurité (CRS), Brigade spéciale de protection (BSP), Brigade anti-émeute (BAE), Détachement mobile d’intervention rapide (DIMIR), Compagnie d’intervention de la préfecture de police d’Abidjan (CIPPA). Il a également été invité à placer sur une carte d’Abidjan, les bâtiments auxquels sont rattachées ces structures.

Une audience en pointillé avec les huis-clos partiels

C’est enfin sur la question des rapports de police circulant « de la base vers le haut » que le substitut du procureur s’est penché. « Quelle est la place de ces rapports dans la discipline ? » a t-il demandé. « Il est très important pour un commissaire de faire des comptes-rendus à son supérieur après ses missions », a répondu le témoin. Comme avec le précédent témoin P-506, chef de district pendant les événements, MacDonald est revenu sur les bulletins d’information quotidiens (BQI), une synthèse journalière préparée par les commissaires de police, ainsi que sur les bulletins d’information spéciale (BQS) relatant un seul fait jugé important.

L’interruption prévisible et régulière de la déposition par des huis-clos partiels, souvent demandés par l’avocat conseil du témoin, a rendu la déposition difficile à suivre, obligeant le public du procès à lire entre les lignes. On a pu comprendre toutefois qu’entre des rapports non vus ou non signés par leurs destinataires ou des bulletins signés sans que leurs propres auteurs n’en aient eu connaissance, la chaîne d’information ait pu comporter quelques couacs. C’est peut-être ce que cherche à approfondir l’accusation.

(1) L’auto-incrimination concerne les témoins qui peuvent être impliqués à différents degrés dans les faits dont est saisie la Chambre et qui risquent des poursuites du fait de leur déposition.

Adamo Bonaventure Guillaume Séverin, le chef de police qui en savait très peu

L’interrogatoire du témoin P-560, actuellement en service au sein de la direction générale de la police ivoirienne, se poursuivait ce lundi 13 février à la Cour pénale internationale (CPI). Accusation et défense ayant procédé à leur interrogatoire plus rapidement que prévu, sa déposition s’est achevée en milieu de journée.

Adamo Bonaventure Guillaume Séverin, témoin actuellement en fonction au sein de la direction générale de la police ivoirienne, a bénéficié d’une mesure de protection spéciale lors de sa déposition. Il était ainsi accompagné d’un avocat pour éviter l’auto-incrimination (à savoir ne pas s’accuser soi-même d’un crime). Après l’interrogatoire de l’accusation mené par le substitut du procureur Lucio Garcia vendredi dernier, il était aujourd’hui questionné par la défense de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé.

Du 17 septembre 2010 au 9 mars 2011, le témoin P-560, chef du district d’Adjamé au nord d’Abidjan, est au service d’une police nationale encore sous les ordres de Laurent Gbagbo. Il est alors chargé du maintien de l’ordre et a sous sa responsabilité les commissariats de sept arrondissements. Questionné à ce sujet, il décrira son service comme « peu reluisant » concernant les équipements et le nombre de personnels en service, et se présentera comme quelqu’un de pacifique, préférant « l’échange » au recours à la force face aux troubles de l’ordre public.

« Une certaine difficulté à dire les choses »

Le 10 mars 2011, après sept mois à la tête de son district, il prend son service à la direction de la police criminelle en tant que chargé d’enquêtes. Un service au sein duquel il se trouve lors du changement de présidence, Alassane Ouattara ayant été investi en mai 2011. Il dit alors avoir poursuivi ses fonctions normalement au sein d’un service dont le personnel serait quasiment resté inchangé. « Vous êtes resté à ce même poste et c’est tout ? » interroge, surpris, Me Altit. « Oui » affirme le témoin. « Avez-vous été chargé d’enquêtes concernant des viols, des exactions ou des meurtres commis par des rebelles ? » poursuit l’avocat de Laurent Gbagbo. « Non car pour cela il fallait une certaine expérience ».

Les fonctions du témoin pendant la crise postélectorale laissent penser à son arrivée dans le prétoire de la CPI, qu’il est peut-être en possession d’informations significatives. Mais lorsque la défense revisite son expérience et sonde ses connaissances, les réponses restent vagues ; et à mesure que cette dernière cherche à savoir comment fonctionnaient les services de police, leur organisation, leur façon de communiquer, leur hiérarchie, la nature et la fiabilité des rapports transmis à la direction générale…, les renseignements sont peu explicites. « Avez-vous eu des contacts avec l’Hôtel du Golf ou avec des rebelles, avez-vous été approché par le camp Ouattara ou par des personnels civils ou militaires français… ? » questionne Me Altit. « Non » répond le policier. Dans une chaîne allant du préfet de police aux hommes sur le terrain, les informations semblent rarement l’atteindre. « Le témoin a une certaine difficulté à dire les choses » lance la défense à la Chambre.

Lorsque Adamo Bonaventure Guillaume Séverin mentionne une maladie qui l’aurait affecté pendant et après la crise, la défense creuse. Atteint d’arthrose, ce dernier aurait souvent été obligé de quitter son travail pour se rendre à des rendez-vous médicaux, et aurait pris un congé maladie d’un mois, peu après sa nouvelle affectation à la direction de la police criminelle. « Pendant la crise ou à partir du 11 avril, les forces de police ont-elles été attaquées par l’armée française » demande Me Altit. « A ma connaissance non. Mais je n’ai pas mis les pieds au bureau à cette période, je me soignais et je n’étais pas informé. Je ne sais pas qui a tué qui ».

« Je n’étais pas informé »

Beaucoup de réponses se feront sur ce même mode. Mentionnant un rapport remontant du district d’Abobo et mentionnant des affrontements entre le Rassemblement des républicains (RDR) et les Forces de défense et de sécurité ivoiriennes (FDS) qui auraient fait trois morts et deux enlèvements côté police, Emmanuel Altit demande au témoin s’il a des informations sur le sujet. « Vous êtes l’un des responsables de la police à ce moment-là, avec beaucoup de policiers sous vos ordres mais vous ne savez pas qui a tué ces policiers ? ». « Non je n’étais pas informé, ce n’était pas mon district et chacun gérait son district ».

Quittant les sphères de la police pour aller sur un terrain plus personnel, la défense évoque « l’attaque d’Anonkoua Kouté », l’un des deux villages d’où est originaire le témoin et où il a encore de la famille. « Oui les villageois ont dit que c’était des rebelles qui avaient attaqué le village mais je ne sais pas car beaucoup des membres de ma famille ont fui et moi je n’y étais pas ».

Durant une déposition bouclée avant l’heure prévue, Adamo Bonaventure Guillaume Séverin a prononcé les noms Ouattara et Gbagbo du bout des lèvres, seulement lorsqu’il y était obligé. Il a souvent répété « je ne sais pas » ou « je n’avais pas ces informations ». Ne faisant pas montre d’une curiosité brûlante pour les événements au cœur desquels il a été plongé en tant que policier, le témoin P-560 est resté à distance et semble avoir opté pour la prudence lors de sa déposition. Dans le sens de l’accusation et de la défense, la récolte d’informations s’est révélée assez maigre. Le témoin en savait-il plus que ce qu’il a voulu dire ?

Commentaires Facebook