Rançons de mutineries en Côte-d’Ivoire, « un État affaibli et affaissé »

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L’État ivoirien est dangereusement affaibli. C’est une lapalissade que de le dire, ou de l’écrire. Rien n’indique mieux cet affaiblissement que la série de mutineries qui secouent les différents corps de l’armée nationale depuis le 6 janvier dernier.

Quand les mutins ont commencé à terroriser les paisibles populations de Bouaké, c’est le sommet de l’État qui prit peur ! Ouattara a alors commis deux graves erreurs : primo, il a tenu à se rendre à Accra, au Ghana, pour honorer sa parole donnée à son ami Nana Akufo-Addo. Secundo, il s’est empressé de céder, de tout concéder, en attribuant 12 millions à chacun des 8.400 délinquants entrés en mutinerie – abusivement appelés ‘’militaires’’. Car le militaire, c’est d’abord la discipline !

Certes, il était l’invité d’honneur à la prestation de serment du nouveau président du Ghana, qui l’a pris pour un modèle à suivre. On peut comprendre pourquoi il a tenu à effectuer le déplacement à Accra, mais c’était certainement une faute politique que de prendre l’avion, quand le pays était à feu et à sang. Cela donnait l’impression d’une fuite en avant, et d’une insouciance devant le péril que courait la république. Ce n’était pas la première fois non plus que le président voyageait – ou refusait d’écourter son séjour à l’étranger – tandis que des populations étaient massacrées, comme à Bouna en mars 2016, ou que des positions des forces armées étaient attaquées à l’Est ou à l’Ouest du pays.

Bref, la facilité avec laquelle les mutins sont partis d’une revendication portant sur 5 millions de francs chacun à 12 millions, après la tergiversation du gouvernement pendant 7 petits jours, était spectaculaire. Plus sidérante encore était la célérité avec laquelle Ouattara a succombé à cette arnaque d’État. Il a tout lâché. Les mutins ont perçu 5 millions chacun sous 72 h, plus la ferme promesse d’un virement mensuel d’un million de francs sur les sept prochains mois. Ouattara s’est montré fébrile, ou apeuré, et, le fusil sur la tempe, il s’est exécuté, en concédant aux soldats tout ce qu’ils exigeaient. Ouattara s’est montré trop faible devant la soldatesque, en ouvrant la boîte de Pandore. Ce faisant, l’effet domino s’est mis en branle : les gendarmes ont bientôt commencé à tirer des coups de feu en voyant leurs frères militaires boire dans les maquis, les jolies filles aux bras !

Augustin Thiam est entré en négociation avec eux, à Yamoussoukro le 17 janvier dernier. On ne sait pas très bien ce qu’il leur fut concédé. Cette semaine, c’est la force dite ‘’spéciale’’, une autre unité de 2.600 braqueurs, qui s’est exhibée à Adiaké. Certaines mauvaises langues affirment que ces hommes encagoulés exigent 17 millions de francs chacun. Si cela est vrai, Ouattara leur aura offert le couteau qui servira à égorger l’État. L’État, en effet, n’est plus seulement affaibli ; il est affaissé ! Aussi longtemps que cette boîte de Pandore restera ouverte, tous les corps dits ‘’habillés’’ voudront s’y engouffrer, pour braquer la république en plein jour, avec les armes que le contribuable leur a offertes. Ces hommes ont abandonné depuis longtemps leurs missions de protection de l’intégrité de nos frontières, ainsi que la protection des institutions de la république et celle des populations et de leurs biens. Nous ne leur devons absolument rien du tout !

Les fonctionnaires aussi sont entrés en grève pour exiger leur part du gâteau. Leurs revendications sont plus légitimes, mais ils ont le désavantage de n’être point armés. Leurs négociations seront donc plus longues et à l’issue incertaine. Cependant, Ouattara leur aura donné les munitions avec lesquelles il sera combattu : les fêtes du 1er mai 2011, 2012, 2013 et 2014, il a les tout simplement snobés en se rendant en France pour des visites privées précisément à la veille ou à l’avant-veille de ces célébrations. Ce faisant, il a refusé de les recevoir, laissant cette tâche peu honorable à des lieutenants, qui n’avaient aucune autorité pour satisfaire les revendications des travailleurs. En mai 2015, il a reçu pour la première fois les travailleurs ivoiriens, sans doute parce qu’il avait besoin de leurs voix pendant la présidentielle d’octobre suivant. C’était trop peu et trop tard.

Aujourd’hui, Ouattara est très affaibli. L’État est trop affaibli par ces mouvements d’hommes en armes, qui prouvent que notre stabilité politique n’est que de façade. La 3ème république est déjà sur la balançoire. Chaque corps de l’armée pense à présent pouvoir tordre le bras à l’État et exiger de lui des millions. Ils ne revendiquent plus rien : ils exigent tout désormais. Et l’État, comme un petit garçon apeuré, se dépêche de tout leur octroyer, séance tenante. C’est vraiment pitoyable. Quand l’ONUCI se retirera totalement, et que nous serons livrés à la merci de cette soldatesque, à quelle sauce serons-nous mangés ? Le débarquement des grands commandants des différents corps n’y a rien changé, car sous le général Sékou Touré, les ‘’forces spéciales’’ se sont données en spectacle. Sans que personne en Éburnie ne puisse les sanctionner, ni le CEMA, encore moins le chef suprême des armées. Nous sommes à la merci de bandits braqueurs, qui peuvent, si on refuse de leur concéder des millions à chaque mutinerie, prendre le pouvoir par la force. À tout moment. C’est effarant ! Mais c’est bien fait pour les apprentis politiciens, qui s’étaient précipités pour faire de la récupération politique au lendemain de la première mutinerie du 8 janvier. Certains louaient alors la ‘’grande sagesse’’ et la ‘’maestria’’ du président Ouattara, qui aurait réussi à juguler la crise avec la dextérité d’un orfèvre. Plus personne ne chante encore sa dithyrambe sur ce dossier.

Il faut restaurer l’autorité de l’État et lui rendre sa vigueur. Parfois, comme Laurent Gbagbo, il faut pouvoir regarder ces gens-là droit dans les yeux et leur dire :’’Je ne vous donnerai rien du tout. Je n’augmenterai le salaire de personne’’. Parfois, il faut les pousser à la faute, car personne ne peut réussir un coup d’État aujourd’hui en Côte d’Ivoire. Il suffit de regarder Amadou Haya Sanogo, Gilbert Diendéré, Isaac Yacouba Zida et Yahya Jammeh pour s’en rendre compte. Quiconque renverserait Ouattara serait contraint de rendre le pouvoir, d’une façon ou d’une autre. De quoi avons-nous peur ?

Dr Famahan SAMAKÉ.

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