Côte d’Ivoire: Un policier à la barre du procès Blé Goudé/Gbagbo

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Source: Ivoire-Justice

En service à la direction générale de la police nationale à Abidjan, Adamo Bonaventure Guillaume Séverin est le 32e témoin entendu dans l’affaire Gbagbo-Blé Gloudé. Chef du district d’Adjamé lors des violences postélectorales, il a déposé aujourd’hui.

Par Anne Leray

« Vous pouvez rentrer chez vous monsieur le témoin » avait déclaré jeudi Cuno Tarfusser au témoin P-45, ex-opérateur radio de l’armée, refermant deux jours d’audience chargés en électricité et en huis-clos partiels. La séance de ce vendredi 10 février s’est ouverte avec le témoin P-560, venu lui aussi déposer sans pseudonyme. Cette nouvelle journée de procès a également été sous tension, avec plusieurs altercations entre les parties à propos des méthodes d’interrogation du témoin. Ce dernier a ainsi dû sortir plusieurs fois pour permettre des mises au point à l’intérieur du prétoire.

Le jour de la marche vers la RTI

Ivoirien de 50 ans, Adamo Bonaventure Guillaume Séverin a intégré la police en 1996. Il est aujourd’hui chargé d’études à la direction générale de la police nationale, après avoir officié en section criminelle. Ce témoin revêt un statut particulier dans la mesure où il est actuellement en fonction au sein des autorités ivoiriennes. Pour lui éviter l’auto-incrimination, il dispose donc d’un avocat commis d’office, présent pour le conseiller. « Votre seule obligation est de répondre en disant la vérité », lui a signifié le président.

Le témoin était interrogé par le substitut du procureur, Lucio Garcia. La marche du 16 décembre 2010 vers la Radio-télévision ivoirienne (RTI), menée par les partisans de Ouattara et réprimée par les forces loyales à Gbagbo, est l’une des quatre charges retenues par le procureur. Elle a été au centre de cet interrogatoire.

Lors de cette marche vers la RTI, le témoin était chef du district d’Adjamé, quartier situé au nord d’Abidjan, et officier d’une police nationale encore sous les ordres de L. Gbagbo. Il était alors chargé du maintien de l’ordre et avait sous sa coupe les commissariats de sept arrondissements.

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Sept morts et treize blessés après intervention du CECOS

Quelles instructions a-t-il reçues ou données ce jour, c’était l’enjeu des questions posées par l’accusation. « Y avait-il des consignes du préfet de police par rapport aux marches qui avaient lieu avant celle du 16 décembre ? » demande Lucio Garcia. « Non » répond le témoin. « Le matin du 16 décembre, le préfet de police m’a fait appeler pour me dire que des gens étaient en train de marcher vers la RTI. Il m’a demandé de vérifier l’information, et si elle était exacte, de disperser les manifestants avec des grenades lacrymogènes ».

L’accusation remonte le cours de la journée au fil des comptes-rendus transmis au témoin par différents commissaires présents sur le terrain. Le bilan sera de « sept morts et treize blessés » stipule l’un des rapports. « Je crois savoir que certaines personnes sont décédées par balle et d’autres pendant leur évacuation vers le CHU » précise le policier.

Les commissaires ont eu peur

La question est de savoir à qui imputer ces décès ? Selon ses explications, cela fait suite aux interventions sur place du CECOS et du BMO (1) dans différents arrondissements d’Abidjan, des forces spéciales qui n’ont jamais été sous les ordres du témoin qui s’exprime à la barre. Il faudra cependant attendre plusieurs semaines avant que les commissaires fournissent l’information. « Ils m’ont dit que le CECOS était sur place le 16 décembre quand on leur a demandé des explications et qu’ils avaient eu peur de parler ». Aucune enquête n’aurait ensuite été menée pour éclaircir ces événements sanglants. « Avez-vous personnellement diligenté une enquête ? », demande Lucio Garcia. « Ma position ne me permet pas de le faire, et nous n’avons reçu aucune demande de la part de la hiérarchie » tranche le témoin.

Des différences ont été mises en évidence entre la déposition écrite de ce nouveau témoin, datant de mars 2015, et son témoignage oral à la Cour. Ce à quoi il a répondu tranquillement après avoir prêté serment le matin : « Lors de ma déposition, les enquêteurs de la CPI m’ont surpris avec leurs questions. Cinq ans étaient passés depuis les événements, c’était confus, je n’avais pas tout en tête. Mais avant de venir ici, j’ai eu le temps de me rappeler et le film est revenu dans ma tête. La vraie version est donc celle que je vous donne aujourd’hui ».

La démarche de ce policier ivoirien venu témoigner à La Haye, qui a officié sous Laurent Gbagbo et travaille à présent dans les forces de police de l’actuel président Alassane Ouattara, ne semble pas liée à des intérêts personnels, comme cela a paru être le cas pour d’autres témoins de l’affaire. Ce qui le place ainsi en simple position d’observateur. A suivre, lundi.

(1) Le CECOS (centre de commandement des opérations de sécurité) a été créé en 2005 et dissout en mai 2011, pour lutter contre le grand banditisme et la criminalité. Il était dirigé par le général Guiai Bi Poin. Le BMO (brigade de maintien de l’ordre) est l’une des unités des forces spéciales du CECOS.

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