Après deux mois de pause, le procès Gbagbo – Blé Goudé a repris ce matin à la Cour Pénale Internationale. Face à une salle remplie par les supporters de l’ex-président ivoirien, le témoin Salif Ouedraogo a été longuement interrogé par la défense.
Par Anne Leray
Le procès Gbagbo-Blé Goudé a repris ce lundi 6 février, après sa suspension le 9 décembre dernier. Une longue pause liée « à un problème de budget » avait alors précisé le juge-président Cuno Tarfusser. Il a d’emblée abordé ce matin la question des délais de cette affaire au long cours, ouverte le 28 janvier 2016. Et a ainsi annoncé une série de mesures pour optimiser le temps de parole dans le prétoire et favoriser la rapidité du procès.
Moins de témoins et absence de Blé Goudé pour raison de santé
Le nombre de témoins à venir a été réduit (seize ont été enlevés de la liste) et leur mode de comparution revu pour accélérer la procédure. Les questions de la défense devront à présent concerner directement les charges, et rester factuelles. Enfin, il est souvent demandé aux témoins de confirmer leurs dires. Un amendement pourrait être adopté afin d’éluder cette étape « inutile et chronophage » pour en venir directement aux questions.
C’est en présence de Laurent Gbagbo mais sans Charles Blé Goudé que s’est ouverte cette première audience de l’année 2017. Son avocat, Maître Knoops a évoqué un cas de force majeure. Suite « à un accident en faisant du sport », Charles Blé-Goudé souffrirait « d’une commotion cérébrale et cela doit être vérifié avec une radio ». La salle de suivi de l’audience affichait pour sa part complet. Plusieurs bus sont arrivés de Paris pour soutenir l’ex-président ivoirien et des manifestations se sont tenues à La Haye, à quelques pas de la gare centrale. A la CPI, la salle comble, toute entière acquise à la cause de son « président », lui a adressé de nombreux saluts.
Peu d’infos sur le Commando invisible
C’est sans protection que P-106 a témoigné suite à ses déclarations au Bureau de la procureure en mars 2012. Né en 1975 au Burkina-Faso, Salif Ouedraogo est un bricoleur touche-à-tout surtout mécanicien, qui avait une petite boutique à Abobo, quartier qui a été le théâtre d’affrontements entre les forces du Commando invisible et celles des FDS (forces de défense et de sécurité). Salif Ouedraogo a été blessé au bras lors de sa participation à la marche pacifique vers la RTI (radio télévision ivoirienne). Une marche dont il aurait eu connaissance via les télévisions ivoiriennes. « Tous mes doigts ne fonctionnent plus bien et j’ai été obligé d’arrêter mon travail », précise-t-il en début de séance.
Le témoin P-106 dit n’avoir participé à aucune réunion ni à aucun meeting organisé par des pro-Ouattara pendant les quatre mois de crise en 2010-2011. Il aurait vu plusieurs fois des cadavres mais jamais les auteurs des crimes. Il s’est révélé au long de la journée n’être vraisemblablement pas politisé, ni au fait des affaires militaires de la Côte d’Ivoire. Précisant que lorsqu’il aurait pu rejoindre les rangs du Commando invisible (appelé Fognon en Dioula ce qui signifie vent) parce que l’un de ses apprentis en faisait partie, il aurait refusé au nom de sa famille. « Je ne voulais pas attaquer, ni tuer l’Homme ». Un témoin qui n’a jamais vu Gbagbo de près, ne lui a jamais parlé et définit la garde-rapprochée de l’ex-président comme « des personnes avec des mallettes et des téléphones ».
« J’ai une bonne mémoire mais je ne me rappelle pas »
La défense l’a essentiellement interrogé sur deux des quatre charges retenues par l’accusation : la marche du 16 décembre 2010 vers la RTI et la marche des femmes le 3 mars 2011 à Abobo. Les problèmes de langues et d’interprétation des mots ont rendu les échanges fastidieux et confus, avec des contradictions entre le témoignage écrit du témoin et ses propos du jour. « Vous avez dit que quand vous avez déposé au bureau de la procureure, il n’y avait pas d’interprète dans votre langue maternelle, est-ce que cela explique la différence entre ce que vous avez écrit et ce que vous dites ? » a questionné maître O’Shea. Ajouté à cela, le témoin a répété tout au long de l’interrogatoire : « J’ai une bonne mémoire mais là je ne me rappelle pas… ». Il en va ainsi par exemple quand il s’est agi de savoir s’il avait versé une contribution financière au Commando invisible. « Je ne me souviens pas, c’est trop loin » a-t-il répondu.
La défense a abordé de nombreuses questions notamment à propos du Commando invisible ou des manifestants de la marche vers la RTI, mais la plupart d’entre elles sont restées sans réponses précises, même celles qui étaient plus personnelles.
Le témoin, les photos envolées et le fétiche
Visions naïves dont on ne saurait affirmer qu’elles aient toujours été volontaires, imprécisions, contradictions, il y a eu quelques moments surréalistes lors de cette reprise. Impossible par exemple de savoir ce que sont devenues les photos prises puis apparemment effacées par le témoin lors de la marche des femmes du 3 mars. Ont-elles été communiquées « à des pro-Ouattara, à Guillaumes Soro, à des rebelles, au Commando invisible ? », avant d’être supprimées à la demande des parents des victimes et des imams présents ce jour-là ? Des photos que le témoin dit pourtant avoir vu plusieurs fois à la télé sans les avoir données lui-même, et qui, cinq ans plus tard, seraient selon lui désormais introuvables.
Avant que l’audience du jour ne se ferme, la défense a ouvert un nouveau sujet, celui des fétiches, sans doute destiné à mettre un peu en plus en difficulté Salif Ouedraogo. Ce dernier raconte alors l’histoire d’un vieil homme qui aurait été épargné par les balles de brigands venus chez lui grâce au fétiche dont il disposait : « Les balles ne rentraient pas dans son corps » répète-t-il.
La salle a réagi tout au long de la journée aux dires du témoin, sortant plus d’une fois de son silence malgré la réprobation des agents de sécurité et une adresse directe du juge-président. Pour le témoin, mis en difficulté par la défense et chahuté par les supporters de Gbagbo, la position n’était sans doute pas facile à tenir.
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