«Brigigate» : Le Niger perd sa résidence de Central Park à New York
Engendré par l’obstination de Brigi Rafini à attribuer le marché à un groupe nigérian, malgré les conseils avisés de ses collaborateurs qu’attestent des notes et lettres dont le Courrier a copies, et nonobstant un arrêt de la Cour d’Etat, la plus haute juridiction de son pays, le scandale des passeports biométriques n’a pas fini de ruiner le Niger. Après les condamnations successives devant les chambres d’arbitrage de l’Ohada, de Paris et de Columbia, aux Etats Unis, ainsi que la série des saisies-conservatoires puis saisies-ventes des avoirs et biens immobiliers du Niger à travers le monde, l’affaire va se corser davantage en 2017 où Africard, outrée par le comportement inqualifiable des autorités de Niamey, a décidé de procéder à la vente des immeubles saisis.
Prévues pour février, soit dans deux semaines à peine, ces ventes concerneront également le manoir de Central Park, à Ney York. Construit en 1925 et acheté par le Niger depuis de longues générations. Cet hôtel de six étages est situé en face de Central Park et du Metropolitan Museum of Art. Et si la valeur exacte de la propriété reste encore inconnue, des maisons de standing inférieur vendus dans la même rue ont coûté jusqu’à 15 millions de dollars, soit 7 500 000 000 FCFA. De quoi donner une idée de la valeur réelle de l’immeuble du Niger qui sera bientôt mis en vente par Africard. Le 17 janvier 2017, le juge Lewis Kaplan de la Cour de district de Columbia, aux États-Unis d’Amérique, qui a, auparavant, confirmé les jugements précédents contre l’Etat du Niger, vient de saler la facture, déjà lourde, en délivrant à Africard, un mandat d’exécution concernant la propriété nigérienne de East 80 th Street à Manhattan. A cause du refus inexpliqué d’un certain Brigi Rafini qui était si aveuglé d’aider des amis soudanais et nigérians qu’il a carrément refusé de se plier devant un arrêt de la Cour d’Etat, la note devient désormais insupportable pour l’Etat nigérien, déjà asphyxié par une gestion « wassossiste » des ressources publiques. Selon la Cour, cette énième condamnation, une confirmation de la sentence de septembre 2016, a été prononcée devant le refus ou l’incapacité de l’Etat du Niger à présenter des preuves contre Africard et la saisie de l’immeuble. N’ayant pas pris la peine d’être présent au procès – insouciance ou résignation ? – l’Etat du Niger a été condamné par défaut. Et comme si la bourde de Brigi n’a pas produit suffisamment de misères pour le Niger, le Tribunal, en confirmant la sentence de septembre 2016, a décidé de porter l’enveloppe initiale à verser à Africard, de 28 millions de dollars, soit 14 milliards (en raison de 500 FCFA le dollar) à 46 millions de dollars, soit 23 milliards de francs CFA.
La naissance du «Brigigate»
En 2010, sous la Transition militaire de Salou Djibo, conformément à l’article 43 de l’Ordonnance n°2008-6 du 21 février 2008, le ministre de l’Intérieur, de la Sécurité publique, de la Décentralisation et des Affaires religieuses de l’époque, Abdou Labo, initia le lancement d’une procédure d’attribution avec mise à concurrence de trois (3) sociétés spécialisées dans la conception de passeports biométriques. Une procédure entamée après avis favorable de la DGCMP [Ndlr : Direction générale du contrôle des marchés publics] et qui met en compétition les sociétés Panther Holding, Inkript et Africard SA, invitées à soumissionner suivant les modalités de l’Article 41 (nouveau) de la même ordonnance. Le 30 décembre 2011, Abdou Labo adresse une lettre au directeur de Cabinet du Premier ministre Brigi Rafini en vue de l’informer des résultats de la procédure entamée. Il lui dit en substance que » Le marché objet de cette convention est en financement BOOT et a été régulièrement attribué à l’issue d’un processus qui a respecté toutes les dispositions du Code des marchés publics « . Abdou Labo précise par ailleurs que ladite convention a été régulièrement élaborée, conclue et signée et que le contractant, AFRICARD SA, s’emploie d’ores et déjà à honorer ses engagements. En réponse, Brigi Rafini dit marquer son accord pour que le contrat soit fait selon les principes du PPP (Partenariat public-privé) alors que ces types de contrat sont régis par l’ordonnance 2011-07 du 11 septembre 2011. Ça sentait déjà l’hyène qui voudrait manger ses petits ! L’ordonnance portant PPP ayant été publiée au Journal officiel du Niger en décembre 2011, elle ne pouvait s’appliquer à un contrat qui a été régulièrement signé par les deux parties le 11 octobre 2011. C’est ce que de proches collaborateurs ont essayé de lui faire comprendre. Sans succès ! Mohamed Moussa, conseiller du Premier ministre et responsable de la Cellule du PPP créée auprès de son Cabinet, a notamment attiré, avec insistance, l’attention de Brigi Rafini sur les conséquences désastreuses pour le Niger en cas d’annulation de ce contrat. Dans une note écrite datée du 25 juin 2012, il lui souligne, entre autres, que le 13 octobre 2011, date de la signature de la convention avec AFRICARD, la loi portant régime général du contrat de partenariat public- privé n’est pas opposable au tiers car diffusée au journal officiel du 5 décembre 2011. Cette note de Mohamed Moussa est en réalité la quintessence d’une réunion qui a regroupé le Secrétariat général du gouvernement, le secrétariat permanent à l’appui au PPP ainsi que Maître Yankori, la défense d’AFRICARD SA. Une réunion qui a d’ailleurs proposé formellement de » considérer le marché signé le 13 octobre comme conforme et de renégocier le prix de production du passeport par voie d’avenant. Peine perdue, Brigi Rafini passera outre, car étant décidé à aller jusqu’au bout de sa logique : faire profiter ses amis soudanais et nigérians. Il va alors demander au ministre de l’Intérieur, par lettre du 12 octobre 2012, d’examiner avec AFRICARD les conditions d’une rupture amiable du contrat. Or, depuis le 9 juillet 2012, Gandou Zakara, le Secrétaire général du gouvernement, agissant sur instruction du Premier ministre Brigi Rafini, a demandé à Abdou Labo de lui transmettre l’ensemble des éléments constitutifs du dossier pour le règlement du contentieux avec AFRICARD. Ce que Labo a fait le 30 juillet suivant. Il se décharge ainsi d’une affaire qui est en train de tourner au vinaigre.
Brigi Rafini, CONTEC GLOBAL et la Cour d’Etat
Malgré les avis et conseils de Mohamed Moussa, de Abdou Labo et de Gandou Zakara à travers un rapport assez détaillé et rigoureux qui l’a mis devant l’inconséquence de son entêtement, Brigi Rafini ne fléchira pas. Il restera de marbre même après cette fameuse rencontre qu’il a eue avec AFRICARD lors d’un séjour à Paris à l’hôtel Montparnasse. Au cours de cette rencontre, Brigi Rafini a été formellement averti, par le PDG d’AFRICARD, des sévères répercussions d’un éventuel arbitrage judiciaire. Au nom de quels intérêts Brigi Rafini a-t-il refusé de s’incliner devant l’arrêt de la Cour d’Etat, la plus haute juridiction de son pays ? Les spécialistes du droit sont formels : Brigi Rafini tombe, du coup, sous la violation de son serment. Un serment par lequel il s’est notamment engagé, devant Dieu et les représentants du peuple, la main sur le Saint Coran, de respecter la Constitution que le peuple s’est librement donnée ; de remplir loyalement les hautes fonctions dont il est investi de se conduire partout en digne et loyal serviteur du peuple et qu’en cas de parjure, qu’il subisse les rigueurs de la loi. En persistant, malgré un arrêt de la plus haute juridiction de son pays, Brigi Rafini a manifestement violé son serment. D’où la légitime interrogation de bon nombre de ses compatriotes qui se demandent s’il n’aurait pas des intérêts personnels avec CONTEC GLOBAL, cette société nigériane au nom de laquelle il a craché sur la loi, le bon sens et les conseils avisés de ses collaborateurs. L’inquiétude des Nigériens est grande. Si ceux qui sont chargés de veiller sur l’observance des lois et règlements sont les premiers à les violer, ils ne peuvent donner du Niger que l’image d’un Etat-voyou. Brigi Rafini ne peut, en tout cas, se cacher derrière une quelconque ambiguïté de la loi. Aux termes de l’article 108 de l’ordonnance n°2010-16 du 15 avril 2010 déterminant l’organisation et les attributions de la Cour d’Etat, » les arrêts de la chambre administrative de la Cour d’Etat s’impose à tous « . Pourquoi Brigi Rafini s’est entêté à passer outre l’arrêt de la Cour d’Etat ? La question revient tel un refrain, mais pour toute réponse, il n’y a, pour le moment, que ça : Brigi Rfaini a mis en péril de grands intérêts financiers et mobiliers du Niger. À ce jour, le Niger croupit sous une dette de 46 millions de dollars, soit plus de 23 milliards de nos francs, sans aucune voix de recours. Cette dette, qui augmente à raison de 13% par an, atteindra en 2021, si les choses continuent telles qu’elles sont, le montant faramineux de 84 millions de dollars, soit 42 milliards de francs CFA. Une stupidité à laquelle il faut impérativement mettre un terme !
La gestion calamiteuse du «Brigigate»
Rappel important, c’est seulement après avoir buté sur l’intransigeance aveugle de Brgi Rafini qu’AFRICARD a fait d’abord prévaloir les mécanismes de règlement amiable en introduisant, le 13 avril 2012, un recours hiérarchique auprès du Premier ministre, chef du gouvernement. Elle ne savait pas qu’elle se jetait dans la gueule du loup. N’ayant jamais obtenu la moindre réponse de Brigi Rafini, AFRICARD attaque alors la décision du ministre Labo devant la Chambre administrative de la Cour d’Etat, pour excès de pouvoir à l’effet d’obtenir son annulation. Le 23 janvier 2013, la Cour d’Etat annule la décision du ministre de l’Intérieur et le notifie, le 29 janvier suivant, à Abdou Labo et au Secrétaire général du gouvernement. C’est ensuite qu’Africard a successivement saisi les charmbres d’arbitrage de l’OHADA et de Paris, puis la Cour de Columbia, aux Etats Unis. Et pendant que la situation se compliquait pour le Niger, Brigi Rafini et les siens n’ont rien trouvé de mieux à faire que d’ignorer royalement les décisions de justice. Il aura fallu la saisie de l’avion présidentiel pour qu’enfin, à Niamey, on daigne s’intéresser à ce dossier qui étrangle pourtant le Niger. Le 30 juillet 2016, Mahamadou Issoufou dépêche une mission à Paris en vue de trouver un accord amiable avec Africard Ltd, une société de droit des Iles Vierges Britanniques. Saïdou Sidibé et Gandou Zakara s’envolent pour la capitale française. Mais la mission va tourner au drame pour le Niger. Obnubilés par l’immense désir de Mahamadou Issoufou de démentir ses compatriotes qui commençaient à trop jaser sur l’affaire, les deux envoyés signent un torchon par lequel l’Etat du Niger accepte toutes les compromissions, l’essentiel étant de ramener sur le tarmac de Niamey, l’avion présidentiel. Les milliards devant servir à la reconstruction de la route Tahoua-Arlit ainsi ceux prévus pour la mise en valeur des vallées de l’Irhazer et de l’Aïr, sont délaissés au profit de l’avion présidentiel. Pire, le Niger renonce à l’immunité d’exécution et accepte que cette renonciation à l’immunité d’exécution couvre toutes les catégories de biens listés dans l’accord amiable, quelle que soit leur date d’acquisition, c’est-à-dire qu’elle soit antérieure, concomitante ou postérieure à la signature de l’Accord, soit le 30 juillet 2016. Par cet accord qui renseigne à suffisance sur le rapport des autorités de Niamey avec les intérêts du Niger, la République du Niger accepte irrévocablement la compétence de toutes les juridictions française et étrangères qui pourraient être saisies par Africard d’une procédure d’exécution de la Sentence à l’encontre de la République du Niger, notamment celles des Etats signataires de la Convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères signée à New York le 10 juin 1958. Saïdou Sidibé et Gandou Zakara, qui connaît pourtant l’origine de la faute qui fait si mal au Niger, ne peuvent prétendre avoir été trompés puisqu’à l’article 5, ils déclarent avoir bénéficié des conseils juridiques nécessaires. La mainlevée d’Africard sur l’avion présidentiel étant l’unique préoccupation de Mahamadou Issoufou et le seul objectif véritable de la mission, Gandou Zakara et Saïdou Sidibé reviennent à Niamey avec le sentiment d’avoir rempli leur part de contrat : Mahamadou Issoufou a son avion et peut tranquillement berner ses concitoyens. Le 2 août 2016, il prétendra sans gêne que l’avion présidentiel est bel et bien là et que les rumeurs parlant de sa saisie seraient sans fondement. Mal lui en a pris, car le Courrier publie, dès la semaine suivante, l’accord amiable signé avec Africard. Le pot aux roses est découvert. Ses compatriotes découvrent qu’il a pratiquement ignoré des intérêts stratégiques du Niger pour être en mesure de démentir la saisie du mont Greboun.
Pour amener AFRICARD LTD à faire une mainlevée sur l’avion présidentiel qu’elle avait fait saisir sur la base d’une ordonnance rendue par le Tribunal de grande instance de Paris, le 26 janvier 2015, le Niger s’est engagé à verser un acompte de 3 300 000 euros, soit un plus de deux milliards de nos francs au plus tard le 20 août 2016. En outre, les autorités de Niamey se sont engagées à rencontrer AFRICARD LTD dans les plus brefs délais pour négocier les modalités, les montants et les garanties d’un accord amiable global aux fins de clôturer de manière définitive leur litige portant sur l’exécution de la sentence, un accord transactionnel devant être conclu au plus tard le 30 octobre 2016. Engagements manifestement non tenus puisque Africard a poursuivi les procédures judiciaires engagées.
Au lieu de s’assumer correctement, on met Jeune Afrique à contribution
La semaine dernière, Jeune Afrique a publié un reportage qu’elle a titré » Niger : les vieux comptes ne font pas les bons amis » ; un papier sans doute commandité à grands frais pour deux objectifs essentiels : d’une part, donner de la société Africard, l’image d’une société-voyou dont le travail se résumerait à « plumer » des Etats dits faibles tel que le Niger ; d’autre part, discréditer Le Courrier qui a abondamment informé les Nigériens sur ce Brigigate.
Première contrevérité propagée par Jeune Afrique, il ne s’agit pas d’une dette contractée sous la Transition de Salou Djibo, mais bel et bien d’un contrat régulièrement signé sous Mahamadou Issoufou, par son ministre de l’Intérieur, Abdou Labo. Il est bien vrai que le processus a été entamé vers la fin de la Transition de Salou Djibo, mais la convention a toutefois été signée avec le gouvernement de Brigi Rafini. Manquement grave, Jeune Afrique ne fait nulle part mention de cette convention signée par Abdou Labo qui prit le soin d’informer Brigi par écrit que » Le marché objet de cette convention a été régulièrement attribué à l’issue d’un processus qui a respecté toutes les dispositions du Code des marchés publics « .
Deuxième manquement tout autant grave, Jeune Afrique passe sous silence le fait que c’est Brigi Rafini qui a instruit Abdou Labo de résilier le contrat régulièrement signé avec Africard.
Jeune Afrique, qui fait la part belle à Brigi Rafini, l’absout pratiquement de tout péché, faisant passer Africard pour une société-voyou qui aurait décidé de faire payer à celui-ci l’outrecuidance d’avoir rompu le contrat. Or, il n’en est rien car le Niger est dans cette situation scandaleuse par la faute délibérée de Brigi Rafini.
Le reportage de Jeune Afrique transpire à fond les affaires tronquées. Mais il ne suffit pas pour tirer Brigi Rafini d’affaire. Les faits sont têtus. Car, chose curieuse, Jeune Afrique passe volontairement sous silence la violation délibérée de l’arrêt de la Cour d’Etat par Brigi Rafini.
Jeune Afrique n’a pas également informé sur ces hommes d’affaires soudanais et cette obscure société nigériane, CONTEC GLOBAL, actuel fournisseur du passeport Biométrique nigérien pour les beaux yeux de laquelle Brigi Rafini a craché sur un arrêt de la plus haute juridiction de son pays. Telle est la monstrueuse vérité que Jeune Afrique a tenté d’aider Brigi Rafini à dissimuler. Mais le mensonge fleurit, il ne donne pas de fruits.
Laboukoye
29 janvier 2017
Source : Le Courrier
Commentaires Facebook