La succession de Ouattara en Côte-d’Ivoire, enjeu des législatives de ce 18 décembre

Issam Zejly- Thruthbird Studio
Issam Zejly- Thruthbird Studio

Pascal Airault | Source: lopinion.fr

Moins de deux mois après l’adoption d’une nouvelle constitution, les Ivoiriens se rendent aux urnes ce dimanche 18 décembre pour élire leurs 250 députés lors d’un scrutin à un tour. Près de 1 300 candidats se présentent dont 248 appartenant à la majorité présidentielle, grandissime favorite qui rafle toutes les consultations électorales depuis 2011. Politologue ivoirien, Franck Hermann Ekra, analyse les enjeux de ce scrutin.

Quels sont les enjeux de ces élections législatives ?

Les enjeux sont de deux ordres. Le premier niveau concerne le pays légal, le second le pays réel, même si ce dernier aspect semble négligé. En ce qui concerne le pays légal, la première législature de la 3e république, représente dans l’histoire de nos institutions une expérience inédite. La nouvelle configuration devrait naturellement renforcer la concentration des pouvoirs du président de la république, Alassane Ouattara. Ce dernier est l’unique métronome d’un système taillé à sa mesure, sans équilibre effectif des pouvoirs. Dans ce dispositif, l’exécutif peut s’inviter, quand bon lui semble, dans le périmètre du législatif et cela sans aucune forme de responsabilité vis-à-vis de lui. Cet absolutisme présidentiel s’inscrit dans une tradition de consentement de l’opinion ivoirienne au pouvoir fort. Quant au pays réel, l’observation du niveau de la participation populaire au scrutin permettra de savoir si le nouvel édifice peut contribuer à enrailler la mécanique d’abaissement de la légitimité démocratique, en cours depuis la guerre post-électorale de 2010-2011. L’abstention structurelle traduit le sentiment de dépossession qui traverse toute la société. L’indigence de la campagne qui s’achève n’incite pas à l’optimisme.

L’opposition, contrairement à 2011, y participe. Le jeu de la chaise vide ne semble pas avoir payée…

La culture de l’épreuve de force et la politique de la chaise vide sont rarement bénéfiques. La frange du Front populaire ivoirien (FPI, principal parti d’opposition) qui s’enferme dans une politique du refus, pour manifester sa solidarité avec l’ex-président Gbagbo, toujours en procès à La Haye, devrait se souvenir que le Rassemblement des républicains (RDR) du président Ouattara avait lui aussi opté pour une politique de boycott systématique, sans plus d’efficacité. Le risque est de se marginaliser, d’insécuriser sa base, de se tenir durablement écarté des voies d’expression démocratique. Cela étant, l’aspect de ses revendications qui porte sur la nécessité de garantir l’équité et la transparence des processus électoraux est compréhensible.

Depuis 2011, la coalition au pouvoir écrase tout politiquement. Est-ce un frein à l’expression de la démocratie ?

Les apparences sont parfois trompeuses. Contrôler tous les leviers peut paradoxalement provoquer des situations d’inconfort. D’abord pour définir les contours de sa majorité, ensuite pour prendre en compte toute la palette de ses sensibilités. Le tour de vis autoritaire qui a prévalu après l’annonce des investitures du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP, majorité au pouvoir) est de ce point de vue symptomatique. Les appareils ont de moins en moins d’emprise. Le légitimisme des militants, n’induit pas qu’ils se comportent en béni-oui-oui, en moutons de Panurge. Le nombre pléthorique des candidatures hors-système pourrait déboucher sur une restructuration du champ politique. La scène gagnerait en horizontalité, si d’aventure les élus indépendants, arrivaient à se fédérer autour d’une plateforme consensuelle. Ce serait un progrès indéniable compte tenu de l’excès de verticalité du système ivoirien, dans lequel tout dépend toujours du ou des mêmes. Cette question va bien au-delà de la cosmétique et du casting, elle touche au partage de responsabilité.

Quelle sera la marge de manœuvre des députés dans la 3e république issue de l’adoption de la nouvelle constitution ?

Pour la première fois, les députés devront partager ce qu’il leur reste d’initiatives et de compétences législatives avec les futurs sénateurs dans le cadre d’un régime bicaméral. En cas de désaccord entre les deux chambres, l’avis de l’assemblée nationale prévaut en théorie. Le système prévoit cependant de permettre au chef de l’Etat de trancher indirectement les litiges, en procédant à la création de Commissions paritaires mixtes entre les deux chambres. Si l’on ajoute à la balance sa capacité de recours à l’usage des ordonnances, on prend la mesure du poids très relatif de cette institution dans la machine à fabriquer les lois.

Si le président de l’Assemblée nationale, l’ex-rebelle Guillaume Soro, n’est pas reconduit au perchoir, ne risque-t-on pas d’entrer plus rapidement dans la guerre de succession ?

Le scénario de la succession est écrit, Alassane Ouattara s’étant engagé à ne pas se représenter à un troisième mandat en 2020. Reste à savoir s’il se déroulera conformément à un script de légitimation d’un successeur désigné parmi ses proches. La création d’une vice-présidence assortie au renforcement du rôle institutionnel du Premier ministre, fait basculer la totalité du pouvoir entre les mains du chef de l’État lequel, répétons-le, est seul maître du jeu. Ce phénomène décuple l’impression de société de cour, avec son cortège de favoris et de disgraciés. Le sort réservé à M. Guillaume Soro, l’actuel titulaire du siège, vient pimenter l’intrigue. Depuis 2003, il a occupé des fonctions de premier plan (ministre, Premier ministre et titulaire du portefeuille de la Défense, président de l’Assemblée nationale). Son influence dans la gestion de la sécurité l’a rendu incontournable dans le jeu de chaises musicales du pouvoir. S’il était privé de cette fonction, il est possible qu’il accélère la construction d’un nouveau rapport à l’opinion. On l’imagine mal dans le costume du député lambda.

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